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Titre : Régnons ensemble sur les cieux.
Auteur : Lady Tuxedo Mask (Participant 25)
Pour : Cock en Stock (Participant 21)
Fandom : La Ballade de Pern
Persos/Couple : Des personnages originaux, Lessa et plein d'autre (OC/OC).
Rating : PG-13
Disclaimer : Les personnages et l'univers appartiennent à Anne McCaffrey et son fils.
Prompt : - Chroniques de Pern 9ème passage – OC/OC – X et Y sont deux jeunes filles du weyr de Benden, élevées dans les traditions des chevaliers-dragons. L’éclosion de la ponte de Ramoth approche, X est choisie pour être présentée à l’œuf mais pas Y. Cette dernière est contente pour X mais est assez irritée des traditions qui empêchent les filles de donner l’empreinte à autre chose qu’à un œuf d’or. Elle se dispute avec une de ses figures parentales quand elle leur dit vouloir essayer de donner l’empreinte à un dragon. Amère, elle regarde X donner l’empreinte à une jeune reine. Déguisée, elle se glisse parmi les prétendants étrangers au weyr et donne l’empreinte à un bronze. 
Et le bordel qui s’en suit (dans le weyr, sur Pern, dans la relation entre X et Y…) en s’arrêtant là, ou en continuant plus tard, quand le bronze de Y couve la reine de X, et explorer la direction d’un weyr par un couple féminin.
- Bonus : un petit passage coquinou entre X et Y 8D ?
Notes : Vu que le prompt que tu me proposais me permettait de casser pas mal de code de l'univers de Pern, je me suis permise d'aller encore plus loin. Donc cette histoire fait donc partie d'un véritable univers alternatif où les filles/femmes peuvent donner l'empreinte à tous les dragons, comme pour les garçons. D'autres règles contraignantes ont aussi été subtilement cassées, même si cela ne se voit pas forcement. J'ai aussi au passage changé le sort final de Brekke et Kylara (parce qu'après relecture ce n’était vraiment pas possible) et essayé dans un sens général de rendre plus juste l'univers envers ses personnages féminins. Ce qui ne veut pas dire que est rose pour elles. Un peu de peine d'accord, mais les constantes tragédies subies c'est non ! Donc moins de référence aux personnages féminins qui ne sont pas « comme les autres » et pas de viol non plus au moment des vols de dragons (dans un sens ou dans l'autre). J'aurais voulu écrire beaucoup plus, mais le temps m'a manqué.



Aussi loin qu'Alionna se souvienne, Rukiyé se trouvait à ses côtés. Elles avaient grandi ensemble, comme leurs mères avant elles. Une chose courante au Weyr de Benden, compte tenu de son isolation au cours du dernier Intervalle. Celles-ci étaient tombées enceinte au cours de la même Révolution, partageant ainsi toutes les joies et les peines liées à leur état. De plus, elles s'étaient installées avec leur compagnon dans des cavernes qui se trouvaient l’une à côté de l’autre. Gemma, la mère de Rukiyé avait accouché la première et Icelynn, sa mère, l'avait accompagné dans cet événement. Lorsque ce fut son tour, la mère de Rukiyé fut elle aussi à ses côtés. C'est donc tout naturellement qu'une amitié très forte se soit développée entre leur deux filles, en dépit de leurs autres amis.
Le sourire et la gentillesse de Rukiyé avait entouré Alionna dans tous les moments importants de sa vie. Joyeux et tristes. Alionna lui en était extrêmement reconnaissante, car elle avait beaucoup plus de mal à lui rendre la pareille. Elle se sentait tout le temps gauche et inadéquate lorsqu'il s'agissait de consoler Rukiyé. Vu que contrairement à son apparence plaisante, son caractère l'était beaucoup moins. Elle était prompte à la colère et au mépris. Alionna pouvait conserver une attitude dédaigneuse envers une personne pendant un très long moment. Elle détestait les menteurs et les hypocrites, n’oubliait et ne pardonnait jamais. Son agressivité rebutait pas mal de monde. Au grand désespoir de sa famille, qui craignait que son tempérament ne l'empêche d'être présentée à un œuf de Reine.
Tout le contraire de Rukiyé qui avait une apparence sévère, mais le cœur sur la main. Alionna craignait que pour cette raison, les chevaliers-dragons n'envisagent jamais sa candidature à l'Empreinte. La beauté des Dames du Weyrs était connue de tous. Une tragédie qu'Alionna ne laisserait pas se produire, Rukiyé méritait amplement d'être choisie. Il n'y avait aucun doute dans son esprit : sa droiture, son dévouement et sa compassion en faisait une candidate idéale. Elle avait même de quoi être une excellente Dame de Weyr sous la tutelle des trois Dames de Benden.
Seulement, elle savait qu'en tant que nouvelle reine, Rukiyé ne pourrait pas rester indéfiniment au Weyr de Benden. Ramoth ne tolérait dans son domaine que deux autres reines. Et les Dames Juniors actuelles Celina et Katrielle, respectivement maîtresses de la seconde et troisième Reine depuis leur éclosion, ne laisseraient pas leur place. Une fois que son dragon aurait atteint sa maturité, il ne faisait aucun doute qu'elle serait obligée de quitter les lieux. Elle serait immédiatement envoyée dans un Weyr différent pour permettre aux Anciens d'avoir du sang neuf. Telle était la politique de F'lar à ce sujet.
Donner l'Empreinte à un dragon était aussi le rêve le plus cher d’Alionna, mais pas à un œuf de Reine. Être Dame de Weyr ne l’avait jamais intéressé, diriger l’organisation du Weyr ne l’attirait aucunement. Elle ne voulait pas non plus être la maîtresse d’un dragon ne crachant pas le feu. C'est pourquoi Alionna se demandait de plus en plus si la meilleure chose n'était pas de donner l'Empreinte à un dragon d'une autre couleur. Elle aurait ainsi plus de chance de rester avec sa meilleure amie Rukiyé. Seulement voilà, les filles n'étaient choisies que pour donner l'Empreinte à un œuf de Reine. Et il n'y en avait qu'un seul par couvée au maximum.
De toute façon, Rukiyé et elles allaient être rapidement fixées : Ramoth avait pondu un Œuf d'Or tout récemment, le septième depuis son premier vol et la sélection pour les filles du Weyr serait connue dans les jours à suivre.
Raison pour laquelle Rukiyé lui serrait la main aussi fermement. Elles avaient toutes les deux très peu dormi et leurs mères avaient toléré cet écart devant la rareté de la situation.
Toute la nuit durant Alionna avait fait taire ses propres doutes et avait tenté de rassurer Rukiyé de toutes les manières possibles. Elle était tellement persuadée que les chevaliers-dragons ne lui accorderaient pas un second regard à cause de son apparence, qu'elle s'en était rendue malade. Elle n'avait quasiment rien mangé la veille et en plus de cela, les moqueries des plus cruels garçons à son sujet n'avait en rien arrangé la situation. Si Alionna avait pu quitter le côté de son amie, elle aurait sans hésité bondit pour coller une trempe à ces misérables raclures. Mais elle n'avait pas pu et avait donc du se contenter de leur jeter un regard mauvais. Ils n'avaient qu'à bien se tenir, elle leur ferait payer très cher chacun de leur mot ! Cette histoire se réglerait dans le sang. Préférablement le leur !
Ses pensées sanguinaires furent interrompues par le bruit de pas se rapprochant de leur caverne. Ah ! Ils allaient voir ce qu'ils allaient voir, ces petits saligauds. Parce qu'il était sûr que pour eux, aucun chevalier dragon ne viendrait.
La prise sur sa main se fit alors plus forte, ce qui confirma que Rukiyé les avait aussi entendu s'approcher. Après un bref regard échangé, elles se levèrent lentement ensemble, leurs mains toujours entrelacées et s'avancèrent jusqu'à l'entrée des quartiers appartenant aux parents de Rukiyé.
Sur le seuil, discutant avec leurs parents, se tenait deux chevaliers. En arrivant à leur hauteur, Alionna les reconnu. Il s'agissait du chevalier bleu D'wer et du chevalier vert G'sel accompagné de son lézard de feu bronze Rill, qui voletait autour du groupe en pépiant. C'était eux qui choisissaient les futurs candidats à L'Impression. Enfin, leurs dragons plus exactement. Trebith et Cybeth, provenant tous les deux d'une couvée de Ramoth (respectivement la troisième et sixième), possédaient un don rare pour trouver les futurs chevaliers-dragons. Toute la lignée de la reine de Benden comprenait des descendants aux talents précieux et parfois inédits. Si Alionna en savait autant à ce sujet, c’est parce qu’elle s’y intéressait de très près. Elle avait lu tout ce qui était disponible dans les archives et écoutait attentivement la moindre conversation de chevaliers-dragons.
Les deux hommes se rendirent compte de leur présence lorsque le petit Rill vint à leur rencontre, gazouillant avec entrain. Par habitude, Rukiyé leva le bras pour qu'il s'y perche. Ce qu'il fit avec un petit cri joyeux. Ensuite, il tendit sa tête et elle lui gratta le dessus du crâne. Il roucoula de plaisir/contentement. Alionna renifla, ce minuscule dragon avait la belle vie. Lui comme ses congénères ! Ils avaient très vite repéré dans le Weyr les personnes qui les cajoleraient le plus. Ils avaient un sixième sens pour ce genre de choses. C'était des petits malins ! Plus que leurs cousins, qui n'avaient pas vraiment la carrure pour ça. La plupart du temps, ils faisaient peur aux gens. Alors que pour les lézards de feu, les gens se battaient presque pour les cajoler.
Ses réflexions furent interrompues par un sifflement et elle tourna son regard vers le coupable. Rill semblait insatisfait qu'elle ne lui accorde pas toute son attention. Il recommença à siffler et après un soupir, Alionna se joignit à Rukiyé pour lui gratter la tête. Il se mit alors à ronfler de contentement. Oui, ils avaient vraiment la belle vie !
Une fois que Rill fut satisfait, il s'envola après avoir lancé une trille et il retourna se percher sur l'épaule de G'sel, mais continua de les fixer avec intérêt.
Ce n'est qu'à ce moment là qu'Alionna s’aperçut que G'sel et D'wer avait observé la scène avec beaucoup d'attention. L'intensité de leur regard la mit un peu mal à l'aise. Ils donnaient l'Impression de voir et comprendre les tréfonds de son âme, après ce simple échange. Une possibilité qui était envisageable, car nul ne savait par quels moyens les chevaliers-dragons parvenaient à choisir les futurs prétendants à l'Empreinte.
L'une des idées la plus populaire était que leurs dragons arrivaient à lire les esprits de toute personne, ce que Rukiyé et elle pensait être crédible vu leurs propres expériences à ce sujet. L'autre était qu'ils puissent sonder les âmes. Une idée qui pouvait paraître ridicule d'un premier abord, mais qui ne l'était pas tant que ça si on prenait en compte la Dame de Weyr Lessa, mais aussi la Dame de Weyr Brekke qui pouvait entendre tous les dragons et aussi, dans une moindre mesure pour la seconde, influencer les autres.
Le mystère à ce sujet restait entier car personne n'avait jamais encore posé concrètement la question. Même pour les habitants du Weyr, il restait une certaine déférence envers les chevaliers-dragons.
Et même si Alionna avait un caractère curieux et volontaire, elle n'avait pas non plus demandé. Pourtant, à cet exact moment, elle aurait donné tout ce qu'elle pouvait pour connaître la réponse à cette énigme. Parce qu'elle aurait pu faire quelque chose pour faire pencher la balance en sa faveur. N'importe quoi aurait été meilleur que cette incertitude. Son cœur battait si vite. Ses mains se fermaient et s'ouvraient en permanence. Sa gorge était sèche et elle avait du mal à avaler sa salive.
Car contrairement à ce que tout le monde pensait et à ce qu'Alionna faisait croire, elle n'était pas désintéressée par le sujet. C'est juste qu'elle ne voulait pas que quelqu'un devine à quel point la réponse lui était importante. À part Rukiyé et sa mère, personne n'était au courant. Et jusqu'à ce qu'elle soit choisie, elle ne comptait en parler à personne. Elle pouvait bien attendre, non ?
Pendant ce temps-là, le regard des deux chevaliers-dragons n'avait pas fléchit. Alionna redressa les épaules et soutint leurs regards. Il n'était pas plus intense ou bien dérangeant que celui des sales petites pestes qui partageaient avec elle les cavernes inférieures. Ce qui se sentaient puissant parce qu'un membre de leur famille faisait déjà partie des chevaliers-dragons. Comme si la génétique avait à faire avec ça. Ils ne se sentiraient plus supérieurs pour très longtemps. Elle le savait. Les temps changeaient résolument depuis que Lessa avait donné son Empreinte à Ramoth. Il n'y avait qu'à voir Brekke et Jaxom. À présent, elle avait hâte qu'ils répondent. Elle se tint donc le plus droit possible et fixa les deux hommes comme si sa vie en dépendait. Les chevaliers-dragons continuer de les fixer avec un regard indéchiffrable.
S'ils pensaient réellement qu'elle allait baisser les yeux la première ! Elle n'était pas faible de caractère et puis ce n'est pas comme si elle n'avait pas l'habitude de ce genre de situation. Lorsque les vauriens des cavernes inférieures espéraient la faire fléchir, disparaître et se terrer, elle s'était toujours tenue droite face à eux sans flancher. Ils pensaient que parce qu'un membre de leur famille faisait partie des chevaliers-dragons, ils avaient tous les droits. Ils se sentaient puissants et plus légitimes que tous les autres. Comme si ce genre de choses pouvait influencer un dragon ! Elle avait suffisamment étudié le sujet ces dernières années pour savoir que ce n'était absolument pas le cas. Il y avait de nombreux exemples dans les archives indiquant que la fonction de chevalier dragon ne se transmettait pas systématiquement. Même s'il était vrai que cela augmentait les chances.
Alionna sourit en pensant à la mine déconfite qu'ils afficheraient face à leurs échecs. Leur cruauté n'attirerait jamais vers eux un dragonnet. Ils seraient à jamais coincés dans les cavernes inférieures ou bien finiraient par partir de dépit et d'amertume. Bon débarras ! Ce genre de personne n'avait absolument rien à faire dans un Weyr ! Mais dans son esprit, il n'y avait pas de doute qu'elle puisse donner l'Empreinte. Elle n'était pas la meilleure candidate, loin de là, ce titre revenait à Rukiyé. Pourtant, il n'y avait pas de doute dans son esprit. Alionna savait qu'elle ferait un excellent chevalier dragon. Alors elle se tint le plus droite possible, carra les épaules et les regarda droit dans les yeux, ne laissant aucune de ses émotions paraître. Présenter juste un visage neutre, comme si leur annonce ne lui importait pas plus que ça. Comme si cela n'allait pas bouleverser sa vie. Garder sa fébrilité dans un coin. Alionna était prête à entendre la bonne nouvelle.
Pendant ce temps, les deux chevaliers-dragons s’étaient avancés un peu plus vers elles, ce qui permit à Alionna de mieux voir leurs visages et d'y lire les expressions qui s'y trouvaient. Elle avait peut-être du mal à réagir correctement aux émotions des autres, mais cela ne voulait pas dire qu'elle ne pouvait pas les déchiffrer. Même si de ce côté aussi, Rukiyé était beaucoup plus compétente qu'elle. Tellement que parfois, on disait qu'elle était la meilleure version d'elle. Alionna ne faisait aucun cas de cette insulte à peine dissimulée, elle n'avait que faire de l'opinion des autres. Seule comptait celle de Rukiyé, maintenant et à jamais. Sauf que derrière cela, ils ajoutaient que sa laideur gâchait le tout. Et ça, Alionna ne le tolérait pas. Personne ne pouvait s'en prendre à Rukiyé sans en souffrir les conséquences.
Ses pensées belliqueuses furent coupées nettes par la voix ferme du chevalier dragon G'sel, Alionna se concentra alors sur ses paroles.

-Bonjour Alionna et Rukiyé, je suppose que vous connaissez la raison de notre visite, annonça-t-il en préambule.

Alionna était étonnée qu'il utilise leurs prénoms. D'habitude, les chevaliers-dragons avaient un peu de mal avec ceux qui ne faisaient pas partie des cavernes supérieures. Voire même pour certain, ceux qui ne faisaient pas partie de leur escadrille. Elle en fut étrangement touchée.
Alionna hocha la tête pour répondre à sa question, sachant qu'il ne s'attendait pas à une réponse à voix haute. Personne n'ignorait la raison pour laquelle les chevaliers-dragons s'aventuraient dans les cavernes inférieures aussi proche d'une ponte. Depuis que F'lar avait pris la tête du Weyr de Benden et ouvert la Quête à tout Pern, peu de gens étaient encore dans l'ignorance. Le temps des secrets était révolu, ou presque.

-Très bien. Rukiyé, tu as été choisie comme candidate à l'Empreinte pour l’œuf de reine de Ramoth.

De stupéfaction, Rukiyé lâcha un cri aigu, puis plaqua ses deux mains devant sa bouche afin d'étouffer le reste de ses cris. Tout son corps tremblait et Alionna plaça une main sur son épaule pour l'ancrer au présent.

-Vraiment, finit-elle par demander, la voix étouffée par ses mains et un trop plein d'émotions.

-Vraiment, répondit le second chevalier dragon qui ne leur avait pas encore adressé la parole. Il semblait troublé par la réaction excessive de Rukiyé. Puis il ajouta d'une voix ferme  : nous ne mentirions pas à ce sujet.

Comme si c'était le signal qu'elle attendait, Rukiyé laissa alors pleinement éclater sa joie. Elle était rayonnante. Ses yeux brillaient. Alionna avait le cœur emplit de fierté et d'adoration pour elle, prêt à éclater. Enfin le Weyr tout entier verrait ce qu'elle avait toujours su : Rukiyé était une personne exceptionnelle. Qui ferait une excellente Dame du Weyr. Elle pouvait déjà le voir.
Elles restèrent un moment dans les bras l'un de l'autre, pleurant toutes les deux. Alionna ne savait pas à quel moment elle avait commencé. Si elle s'en était rendu compte maintenant, c'était uniquement parce que ses larmes brouillaient sa vue. Et puis soudain, une terrible pensée traversa son esprit et elle s'arrêta net : les deux chevaliers-dragons n'avait pas mentionné son nom. Alionna essaya de se rassurer : peut-être procédait-il à une pause pour que les futurs candidats puissent digérer l'information et/ ou exprimer leur joie. Mais une petite voix dans un coin de son esprit lui asséna que ce n’était pas le cas.
Rukiyé elle aussi avait dû se rendre compte du problème parce qu'elle avait relâché son étreinte presque en même temps. Se détachant d'Alionna, mais tenant toujours sa main dans la sienne, elle demanda aux deux hommes d'une voix rendue tremblante par l'émotion  :

-Vous n’avez rien dit pour Alionna, mais elle est aussi candidate pour l'Empreinte, n'est-ce pas  ?

Pendant que Rukiyé parlait, elle s'était rapprochée d'Alionna et à présent, épaule contre épaule, elle fixait les chevaliers-dragons d'un air déterminé, comme si par ce simple fait, elle pouvait leur faire changer d'avis.

-Non, répondit alors le chevalier dragon G'sel, reprenant ainsi la parole, nous ne sommes venus que pour toi.

D'une simple phrase, il venait d’anéantir tous les rêves d'Alionna. Rukiyé, elle, porta les mains à sa bouche comme lors de leur première annonce et se mit à pleurer. Lorsqu'elle parvint à se calmer suffisamment elle leur dit  :

-Alors, je ne veux pas être présentée à la future reine  !

-Quoi ? s’exclamèrent-ils tous ensemble.

-Il est hors de question que je m'approche d'un œuf sans Alionna ajouta-t-elle. Ni maintenant ni jamais. Je renonce à ce droit, ma décision est prise.

En entendant cette déclaration, Alionna ne put retenir un hoquet d'horreur. Comment Rukiyé pouvait dire une chose pareille. Avait-elle perdu la tête  ? Elle ne pouvait pas renoncer à cet immense privilège ! Par la Coquille ! C'était l'un de ses rêves les plus chers.
Son regard toujours fixé sur son amie, Alionna constata avec effarement que Rukiyé ne changerait pas d'avis comme ça. Elle se tenait le dos droit, le regard fixé devant elle, déterminée. La posture typique qu'elle adoptait lorsqu'elle se préparait à résister envers et contre tout. Ainsi redressée, elle avait presque la même taille que les chevaliers-dragons.
Alionna soupira, Rukiyé pouvait se montrer extrêmement têtue ! Très rarement, mais cela arrivait. Beaucoup plus qu'elle d'ailleurs. Et gare à ceux qui se mettaient en travers de son chemin  !
Pourtant, Alionna ne pouvait décemment pas laisser la personne qui comptait le plus dans sa vie laisser passer une telle chance par esprit de fidélité. Elle ne pourrait pas vivre en sachant qu'elle avait privé Rukiyé d'une telle opportunité. Ce genre d'avenir n'était absolument pas envisageable. Il fallait qu'elle convainque Rukiyé de laisser tomber cette folie.

-Rukiyé, je t'en prie, commença-t-elle d'une voix chargée par l'émotion, tu ne peux pas faire ça ! Sois raisonnable, continua-t-elle en la suppliant du regard, tu ne peux pas refuser cette offre. Ce serait de la folie. Et tu le regretterais toute ta vie ! Ne pense pas à moi, s'il te plaît. La seule et unique chose qui compte c'est toi. Tu dois faire ce choix avec ton cœur. Ne fais pas passer tes désirs après les miens. Ton bien-être vaut beaucoup plus que notre amitié. Je ne veux pas que tu souffres et que tu m'en veuilles plus tard. Je t’aime beaucoup trop pour te laisser faire sans rien dire, termina-t-elle les larmes aux yeux.

Au départ, Alionna voulait simplement se montrer la plus mature des deux, mais au fur et à mesure qu'elle parlait, ses sentiments s'étaient mis à nu sans qu'elle puisse s'en empêcher. La terreur de l'abandon s'était vue supplantée par celle de la rancœur et de la haine. Que son amie poursuive dans ce sens et qu'elle ne lui pardonne jamais. Alionna ne pourrait le supporter. Une boule s'était alors faite dans son ventre et sa gorge s'était serrée. L'émotion l'avait gagné, jusqu'à ce que les larmes lui viennent.
Elle espérait de tout cœur que ses mots avaient atteint le cœur de Rukiyé et qu'elle renoncerait à cette bêtise. Elle ne trouvait pas ce qu'elle pouvait ajouter pour la faire changer d'avis. Aucune autre idée ne lui traversait l'esprit. Elle ne pensait pas trouver d'autres mots.

Pendant tout son monologue, Rukiyé l'avait fixée d'un air choqué. Comme si elle ne s'était pas attendue à cette réaction. Pensait-elle réellement que sa meilleure amie la laisserait faire ?

-Tu es sûre de toi  ? fini-t-elle par demander.

-Certaine.

-Alors je reviens sur ma décision, dit-elle à l'adresse des deux hommes, j’accepte.

Et sur ses dernières paroles, les deux chevaliers-dragons disparurent avec Rukiyé, laissant Alionna seule avec son cœur en miettes.

Alionna ne se rappela pas avec précision de ce qu'elle fit entre le départ de son amie Rukiyé et les deux jours suivants. Son corps bougea, puisqu'elle s'était nourrie, lavée et couchée, mais son esprit n'avait rien retenu de ces moments. Il n'y avait que du vide. Comme si le choc de la nouvelle rendait impossible toute nouvelle information.
Puis, sans qu'Alionna ne sache pourquoi, tout fut à nouveau clair. Elle reprit le contrôle sur son corps. Pour son esprit par contre... C’était encore le chaos. Pas question que cela ne dure, il lui fallait résoudre tout ce maelström de choses pour pouvoir continuer à avancer. Si elle ne le faisait pas, elle resterait coincée dans le passé.
Alionna se mit à réfléchir attentivement sur les événements qui l'avaient conduite à cet état. La sélection de Rukiyé et son rejet. Le simple fait d'y penser faisait remonter à la surface tout ce qu'elle aurait préféré ignorer. La douleur terrible qui l'avait saisie lorsque le chevalier dragon avait prononcé les mots fatidiques. Son cœur qui s'était brisé en milliers de morceaux. L'Impression d'avoir été plongée dans de la neige sans tenue d'hiver. Et puis le déchirement qu'elle avait ressenti face à son impossibilité de se réjouir pleinement du triomphe de Rukiyé. Comme si elle dénigrait son amie en éprouvant autre chose qu’une joie immense. Alionna ne savait pas de quelle manière elle pouvait se débarrasser de cette bizarre culpabilité. Ne pouvait-elle pas après tout ressentir un peu de déception et de tristesse à ce sujet ? Devait-elle mettre entièrement ses sentiments de côté pour soutenir pleinement son amie ? Afficher une fausse mine réjouie ? N'était-ce pas de l'hypocrisie ?
Plus Alionna y réfléchissait et plus la frustration la gagnait. Elle n'avait jamais été très douée pour faire son introspection, mais sur un tel sujet, que pouvait-elle bien faire d'autre ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Étudier de plus près ses émotions ne menait à rien. Seule, elle ne parvenait pas à grand chose, parce qu'elle avait trop l’habitude de dépendre de quelqu'un d'autre. De Rukiyé. Si seulement elle avait pu parler de ce sujet avec quelqu'un d'autre ! Malheureusement l'unique personne à qui elle se confiait habituellement était aussi la seule personne à qui elle ne pouvait pas demander quoi que ce soit. Par la Coquille, pesta-telle intérieurement, cette situation était vraiment inextricable.
À ce stade, Alionna se demandait si se mettre à pleurer n'était pas l'unique solution qui lui restait. Cela ne résoudrait pas le problème, mais au moins après, elle se sentirait un peu mieux. Enfin, elle espérait. De toute façon, il y avait très peu de chance que son humeur se dégrade un peu plus, non ?
Sauf que pour l'instant, ses yeux restaient secs. Elle soupira. Pleurer sur commande n'était pas évident. Pourtant quelques minutes plus tôt, elle avait été au bord des larmes. En se concentrant un peu, elle devrait y arriver. Et puis tout d'un coup, la voix du chevalier dragon G'sel lui vrilla le crâne. Ses paroles claires et sans appel résonnèrent en un écho infini dans sa tête. Sa respiration se fit courte, son cœur s'accéléra et sa vision se brouilla. Sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte, elle s’effondra par terre. Ses jambes ne supportaient plus son poids. Son équilibre réduite à néant, son corps bascula alors vers l'avant. Alionna ne chercha pas à se retenir, simplement à atténuer légèrement le choc. Elle se recroquevilla sur elle-même juste au moment où de violents sanglots lui échappaient. Tout ce qu'elle avait retenu au fur à mesure du temps s’échappait sans qu’elle ne puisse l’empêcher.
Leur ampleur la surprit. Elle ne s’imaginait pas avoir autant de tristesse et de désespoir enfouis en elle. Et maintenant qu'elle avait commencé, Alionna ne put s'arrêter. Elle resta dans cette position jusqu'à ce que ses larmes se tarissent.
Mais même après ça, elle resta figée, trop épuisée pour faire le moindre geste. Jusqu'à ce qu'une voix familière finisse par la sortir de sa torpeur. Au départ, seul un vague bruit de fond lui parvint, le son rendu distordu à ses oreilles, comme si cela venait de très loin. Et puis elle finit par se rendre compte que ce n'était pas l'écho de quelque chose de lointain, mais bien une voix, qui était toute proche. Son oreille s'accorda à ce nouveau son et elle distingua enfin les mots émis. En se concentrant un peu plus, Alionna put déchiffrer les mots et s’aperçut alors que la voix s'adressait à elle.

-Alionna, est-ce que tu es là  ? demanda sa mère d'une voix tintée par l'inquiétude. Alionna, répéta-t-elle en se rapprochant à pas vifs de l'alcôve qui lui servait de chambre. Et d'un geste brusque, elle souleva la tenture qui la séparait du reste de la caverne familiale.

-Oh Alionna ! s'exclama sa mère en la découvrant.

Alionna ne bougea pas, ni ne répondit. Elle n'en avait pas la force et sa gorge sèche la brûlait. Elle eut un mouvement de surprise lorsqu'elle s’aperçut que sa mère s'était allongée au sol à ses côtés. Après quoi, elle posa une une main légère sur son bras.

-Je me fais beaucoup de soucis pour toi ma fille, commença-t-elle d'une voix douce. Ces derniers temps, tu n'es plus toi-même. Et il n'y a pas que moi qui l'ai remarqué, d'ailleurs. Manora m'en a fait la remarque, ainsi que Felena. Et tu sais comment sont ses deux là ! Maintenant qu'elles ont flairé que quelque chose n'allait pas, elles ne te lâcheront avant d'avoir eu le fin mot de l'histoire.

Malheureusement, ce fait était en deçà de la réalité. Manora et Felena avaient tendance à mettre leur nez partout et à presser les gens jusqu'à ce qu'ils finissent par craquer et déballer tous leurs secrets. Et Alionna ne doutait pas qu'elles ne tarderaient pas à découvrir pourquoi elle était d'une telle humeur. Ce qu'elle voulait éviter à tout prix.

-Mais je me doute d'où vient le problème, reprit sa mère. Depuis que les chevaliers-dragons sont passés, tu agis bizarrement. Je sais que tu désirais vraiment être candidate à l'Empreinte, même si tu as toujours prétendu le contraire et soutenu Rukiyé à la place. Ne sois pas surprise, ma fille, pensais-tu vraiment que je n'aurais rien remarqué ? Même si je n'avais pas été une fine observatrice, il m’aurait été difficile de ne pas entendre et voir ce qui se passait juste sous mon nez ! plaisanta-t-elle. Rukiyé et toi n'avez pas été aussi discrète que vous le pensiez  !

Alionna en resta bouchée bée. Sa mère était au courant ? De tout ? Mais pourquoi n'avait-elle rien dit à ce sujet jusqu'à aujourd'hui ?

-Pour répondre à la question que tu te poses sûrement, si je n'ai rien dit jusqu'à présent, c'est que Rukiyé et toi sembliez ne pas vouloir en parler à des adultes. J'ai donc préféré respecter cette volonté au lieu de me montrer intrusive. Seulement voilà, ajouta-t-elle avec un soupir, ton état actuel me préoccupe grandement. Le fait que tu souffres et que tu ne puisses pas en parler me fend le cœur. Alors je ne veux plus faire semblant de ne pas savoir ce qui se passe. Parle moi, s'il te plaît ! Dis-moi ce qui ne va pas, je peux tout entendre. Je suis sûre qu'ensemble nous pourrons trouver une solution.

Alionna, surprise, sentit à nouveau ses larmes couler. C'était la première fois depuis un très long moment que sa mère la réconfortait de cette manière. Elle avait encore quelques souvenirs de ce genre de moment durant son enfance, mais après avoir atteint ses sept révolutions, cela avait brusquement cessé. Elle s'était toujours demandé qu'elle avait été la raison de ce changement. Pendant un temps, elle avait même pensé en être responsable, parce qu'elle n'était pas aussi parfaite que son apparence. À présent, elle commençait à se douter qu'une influence extérieure en était la cause. Et elle avait une bonne idée sur l'identité de cette personne.
Dans un accès de courage, Alionna trouva la main de sa mère et la serra. Pour lui transmettre toute la force dont elle aurait certainement besoin, celle-ci répondit à son geste par une pression encourageante. Alionna fut aussi heureuse de constater que sa mère ne chercha pas à dégager sa main de la sienne.
Pleine d'assurance, elle prit une légère inspiration pour se préparer à parler à cœur ouvert. Alionna espérait que sa voix ne tremblerait pour ça.

-Je suis vraiment heureuse pour Rukiyé, commença-t-elle, comme si elle avait peur qu'on puisse interpréter ce qu’elle allait dire comme de la jalousie ou du ressentiment. Elle le méritait tellement, ajouta-t-elle la voix pleine d'émotions. C'est juste que j'avais toujours imaginé les choses d'une manière différente. Nous devions être ensemble, précisa-t-elle. Donner l'Empreinte à un dragon était le meilleur moyen pour que nous ne soyons jamais séparées. Les chevaliers-dragons vivent peut-être à part dans le Weyr, mais ils sont très soudés ! Les escadrilles vivent souvent dans des quartiers adjacents et ils sont quasiment en permanence les uns avec les autres. Alors je dois absolument donner l'Empreinte si je ne veux pas être séparée de Rukiyé. Je ferais n'importe quoi pour ça ! Quoi qu'il advienne, Rukiyé et moi seront ensemble ! termina Alionna d'une voix pleine de ferveur.

Sa déclaration passionnée lui avait laissé le souffle court, mais elle ne regrettait aucun de ses mots. C'était ce qu'elle ressentait au plus profond d'elle-même. Alionna était infiniment reconnaissante à sa mère de ne pas l'avoir interrompue. Elle n'aurait pas eu la force de continuer à parler autrement.
Seulement, maintenant, elle ne savait pas trop quoi faire. Devait-elle attendre de la compassion et du réconfort venant de sa mère  ? Puisque c'est ce qu'elle avait suggéré. Ou bien devait-elle déjà être satisfaite que sa mère n'ait rien dit et n'ait pas non plus cherché à la ridiculiser ? Quelle allait être la réaction de sa mère. Alionna essayait de ne pas trop espérer à ce sujet.
Contre toute attente, sa mère la surprit à nouveau.

-Oh, ma petite chérie ! s'exclama-t-elle en la prenant dans ses bras. Je comprends parfaitement ce que tu ressens. Et cela me brise le cœur. J'avais espéré que tu ne tiendrais pas autant de moi à ce sujet. Oh, je suis tellement désolée mon enfant !

Alionna fronça les sourcils. De quoi parlait sa mère en disant cela ? Pourquoi disait-elle qu'elle lui ressemblait autant ? Quelque chose lui échappait. Sa réflexion resta en suspend lorsqu'un bruit d'inspiration brusque interrompit ses pensées. Sa mère se dégagea alors de leur étreinte et chercha son regard. Elle lui adressa un sourire crispé qu'Alionna ne sut comment interpréter.

-Il semblerait que le moment soit venu pour moi de te dire la vérité à mon sujet, commença t-elle d'une voix hésitante. Je voulais t’en parler une fois que tu aurais été choisie, pour ne pas te brusquer. Mais peut-être est-ce une chance pour moi d'expliquer ce qui s'est réellement passé depuis ta naissance  ?

Cette réponse déconcerta Alionna encore un peu plus. Sa mère lui aurait menti ? À quel sujet  ?

-Tu sais que lorsque nous étions jeunes, Gemma et moi étions très amies, n'est-ce pas ?

Alionna acquiesça automatiquement, sans savoir où sa mère voulait en venir. L'amitié entre sa mère et celle de Rukiyé n'était pas une nouveauté. Elles passaient autant de temps ensemble que Rukiyé et elle. Elle ne voyait pas ce qu'il pouvait y avoir de secret là-dedans.

-Je vois bien que tu es confuse à ce sujet, alors laisse-moi t'expliquer les choses un peu plus clairement. Je n'ai pas été entièrement honnête avec toi jusque là. La vérité, c'est que nous étions bien plus que cela. Nous nous aimions, pas en tant qu'amies, précisa-t-elle, mais en tant qu'amantes.

Le choc de cet aveu rendit Alionna muette. Sa mère et celle de Rukiyé, ensemble ? Comment était-ce possible ? Elle n’avait jamais rien remarqué d’étrange dans leur comportement. Rien qui puisse indiquer une telle histoire. Enfin, à vrai dire, elle n’avait pas vraiment observé Gemma et sa mère dans ce sens. Ce n’était pas vraiment le genre de choses auxquelles elle pensait. Et son père dans tout ça ? Alionna savait que ses parents n’avaient pas une relation facile, ils étaient en désaccord sur trop de choses, mais elle n’avait jamais pensé que ce n’était qu’une façade ! Était-il seulement au courant ? Était-ce pour ça qu’il était aussi froid depuis quelques temps ? Et pour le père de Rukiyé ? Comment leurs mères avaient-elles trahi leurs familles à ce point ? Alionna sentit sa tête tourner, beaucoup trop de questions se bousculaient dans sa tête.

Le regard de sa mère s’était fait distant, comme si elle s’était perdue dans ses souvenirs. Et puis soudainement, elle fixa sa fille intensément avant de dire :

-J’ai aimé ton père pendant un temps, tu sais. Il me tournait autour à l’époque, mais Gemma prenait toute la place dans mon cœur. Avant ce moment, je ne lui avais pas accordé une très grande importance. Si les choses avaient été différentes, peut-être aurions-nous pu être heureux ensemble, déclara-t-elle pensivement. Mais sache une chose Alionna, je ne regrette pas ta naissance. Ta venue au monde n’est pas un accident, c’est ce que je souhaitais. Je t’aime de tout mon cœur mon enfant, termina-t-elle en la serrant fort contre elle. Ne doute jamais de ça. Notre famille n’est pas entièrement fondée sur des mensonges.

Cette déclaration bouleversa Alionna. Elle ne savait plus du tout quoi penser. Comment sa mère avait-elle pu lui cacher cette part de sa vie aussi longtemps ? Lui avait-elle menti à d’autre sujet ? Elle n’avait plus aucune certitude.

-Il vaut mieux que je te raconte tout depuis le début, fini par ajouter sa mère. Je ne veux plus de secrets entre nous. À l’époque, continua-t-elle, je pensais que Gemma et moi serions ensemble à jamais. Nous l’aurions sûrement été, si seulement Zaven n’était pas arrivé au Weyr. Il y a seize révolutions, il accompagnait le convoi annuel venant livrer les dîmes. Plusieurs des convoyeurs habituels étaient malades, alors il s’était porté volontaire pour le remplacer. C’était la première fois qu’il se rendait au Weyr, car comme tu le sais, son père est le Seigneur d’un Fort mineur de Benden. Impossible pour lui d’abandonner son poste en temps normal, ses fonctions étaient bien trop essentielles pour ça. L’épidémie qui les avait touchés ne leur laissait pas trop le choix.

Cette partie de l’histoire, Alionna la connaissait particulièrement bien : Rukiyé adorait raconter ce moment encore et encore à qui voulait l’entendre. Enfin, c’est ce qu’elle avait toujours cru jusqu’à présent. Maintenant, elle n’était plus sûre de rien. Elle se demanda à quel point leurs parents avaient menti à ce sujet.

-Zaven se démarquait des autres hommes, repris sa mère, même au milieu des chevaliers-dragons. Il attirait l’œil par sa très haute taille et son allure générale. Ses vêtements étaient clairement de meilleure facture que ceux du reste du groupe : la coupe plus raffinée, la matière plus fine et les couleurs beaucoup plus vives. Son sourire était éblouissant et il avait de magnifiques yeux ambrés, dont Rukiyé a hérité. Je mentirais si je ne reconnaissais pas qu’il était très beau, soupira sa mère. Il l’est toujours d’ailleurs, ajouta-t-elle sans réfléchir. Mais il n’en jouait pas, ni de son titre. Il parlait librement avec tout le monde. Je l’ai rencontré en premier, parce que je faisais partie du groupe en charge du ravitaillement. Nous avons échangé quelques mots au cours des heures, des banalités. Il me paraissait sympathique. Et puis, Gemma est venue me chercher.

Sa mère s’interrompit à ce moment-là. La tristesse se lisait sur son visage, un peu de colère aussi et beaucoup de lassitude.

- Lorsque j'ai vu leurs regards se croiser, j'ai tout de suite compris ce qu'il allait se passer, bien avant qu'eux ne le réalise. Sous mes yeux, ils tombaient amoureux et je ne pouvais absolument rien y faire. Ils se souriaient, échangeaient constamment des regards intenses, trouvaient des excuses pour se toucher et rester en compagnie l’un de l’autre. Ce fut très difficile à voir pour moi. L’amour de ma vie me filait entre les doigts. Je me rendais bien compte que je ne faisais pas le poids. Alors, je n'ai pas cherché à lutter, je me suis effacée. Je voulais me montrer plus mature, plus responsable, ironisa-t-elle. En y repensant, je retournerais bien en arrière me coller quelques claques.

Sur le visage de sa mère, Alionna perçut un sourire sardonique.

-Enfin, ajouta-t-elle, on ne peut pas changer le passé. Uniquement apprendre de ses erreurs pour améliorer son futur. Je suis donc allée voir Gemma pour lui annoncer ma décision. Seulement, elle ne l'entendait pas de cette oreille. Elle voulait que nous continuions notre histoire comme si de rien n’était, avec juste une personne en plus. Zaven était d'accord. Ils m’ont patiemment expliqué qu’une relation entre nous trois était possible si je n’avais pas de problème pour partager. Je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais. J’étais perdue, mais toujours amoureuse. Ils m'ont presque convaincue. Au final, je n'ai pas pu. J'ai fait alors la chose la plus idiote de ma vie : choisit le premier venu et m'installer avec lui, loin de Gemma. Je pensais que comme ça, ils finiraient par m’oublier. C’était mal connaître leur détermination. Cette fuite n'a pas duré, ils se sont rapidement installés dans la caverne d'à côté. Ils ne comptaient pas me laisser seule.

Alionna pouvait comprendre, Gemma semblait aimer passionnément sa mère. À sa place, elle aurait fait la même chose.

-J’ai essayé de garder mes distances, ajouta-t-elle soudainement, comme si les maintenir à bout de bras pouvait fonctionner sur le long terme. Je ne voulais pas que ton père comprenne qu’il n’était qu’un second choix. Avec le temps, nous avons renoué Gemma, Zaven et moi. Et puis Rukiyé et toi êtes nées. Nous étions tellement heureux. Pourtant, il manquait quelque chose. Au fond de moi, je savais de quoi il s'agissait. J'avais fait une terrible erreur que je ne savais pas comment réparer. Je pensais avoir tout gâché. Cela a changé il y a une révolution. Je ne sais pas pourquoi, mais Gemma et Zaven m'ont refait leur offre. J’ai réfléchi longuement de mon côté et j'ai accepté. Ce ne fut pas évident, mais c'est la meilleure décision que j'ai prise, avoua-t-elle, je ne la regrette absolument pas.

Que pouvait bien répondre Alionna ? Les mots lui échappaient. La colère était là bien sûr, mais son épuisement émotionnel l’empêchait de réagir de manière violente. C’était sans doute une bonne chose d’ailleurs. S’énerver sur sa mère ne servirait pas à grand chose. Même pas à la soulager. Elle avait cependant une question :

- Est-ce que tu en as parlé à père ?

- Non, pas encore. Gemma, Zaven et moi avons pour l’instant simplement discuté de ce que nous attendions de cette relation. Rien de plus. Il vaut mieux que je quitte ton père avant d’aller plus loin.

Sur ce point au moins, songea Alionna, sa mère se montrait étonnement respectueuse. Son père n’était peut-être pas l’homme de sa vie, mais le tromper aurait été inutilement cruel. Alionna ne lui aurait jamais pardonné ça. Surtout que dans un Weyr, chacun des membres du couple pouvait quitter l’autre à tout moment. Il n’y avait pas de mariage comme dans les Forts et les familles nobles. Si une personne n’était pas satisfaite, elle pouvait changer de partenaire comme bon lui semblait ou bien rester seule.

-Je suis vraiment désolée de t’accabler à un tel moment, mais je voudrais t’éviter de reproduire mes erreurs. Nos situations se ressemblent énormément. Je voulais que tu saches que je te soutiendrais quoi qu’il advienne. Que tu n’es pas seule. Peu importe ce que tu décides, je suis là pour toi. Alors que veux-tu faire ?

À cet instant, Alionna se figea face au trop plein d’émotions contradictoires. La joie intense que sa mère lui accorde son soutien se mêlait à la colère face à ses mensonges. Il lui fallut un moment pour qu’elle redevienne maîtresse de ses émotions. Et puis tout se fait clair dans son esprit. Elle savait exactement qu’elle était sa priorité : l’Empreinte. Rien d’autre ne lui importait. Elle réfléchirait plus tard aux répercussions des aveux de sa mère.

-Je veux me présenter à l’aire d’éclosion. Je veux donner l’Empreinte à un dragon. Pas pour l’oeuf de Reine. Pour tous les autres.

-D’accord Alionna. Je ne sais pas encore comment nous allons accomplir ça, mais je te promets que quoi qu’il arrive, tu seras avec les autres candidats. Ensemble nous trouverons une solution.

Cette joie ne dura qu’un court instant, car ce fut à ce moment là qu’une voix masculine décida de les couper dans leur élan :

- Il en est hors de question, je vous interdis de faire une chose pareille, tempêta le père d’Alionna. Qui vous a mis en tête de pareilles inepties ? Une fille qui veut donner l’Empreinte a un dragon de combat ! Quelle abomination !

Au son de sa voix, Alionna et sa mère se figèrent. Quand est-il rentré ? Et surtout, qu’avait-il entendu de leur conversation ?

-Je ne veux plus jamais vous entendre parler de ce sujet, continua-t-il d’une voix glaciale. Je vous défends de mentionner ce fait à quiconque et de chercher à empoisonner d’autres esprits avec ces balivernes. Si quelqu’un vous entendait, nous serions chassés du Weyr. Je ne tolérerais pas ce genre de choses dans cette caverne. Comment peux-tu autoriser une telle chose Icelynn ? C’est à toi de guider notre fille dans le droit chemin. Tu me déçois. Quand à toi Alionna, poursuivit-il en la pointant du doigt, je te défends de quitter cette caverne en dehors de tes tâches journalières. Tu as interdiction d’adresser la parole aux autres, jusqu’à ce que cette idée abjecte te sorte de l’esprit. Il n’y a toujours eu qu’un seul œuf pour les filles, penser autrement est une perversion. Me suis-je bien fait comprendre ?

-Si c’est ce que tu veux vraiment, répondit sa femme d’une voix égale, je ne peux pas t’en empêcher.

Sa réaction sidéra Alionna. Sa mère était redevenue la femme passive habituelle. Celle qui s’effaçait devant l’opinion de son compagnon. Elle ne comprenait pas comment une telle chose était possible. Surtout après sa déclaration passionnée. Qu’allait-elle faire à présent ?

-Je suis très heureux de l’apprendre.

-Seulement, je suis au regret de t’annoncer que nous ne pourrons rester dans ces conditions.

Et sans qu’Alionna ne comprenne entièrement, sa mère attrapa sa main et elles quittèrent définitivement la caverne dans laquelle elles avaient passé quinze révolutions.

Au grand étonnement d’Alionna, la transition entre son ancienne vie et la nouvelle se fit sans trop d’à-coups. Peut-être parce que sa mère et elle passaient de toute façon plus de temps dans la caverne voisine, que dans la leur. Tout leur était déjà familier et il ne leur fut pas difficile de s’intégrer à la routine quotidienne. Alionna se rendit compte qu’elle savait beaucoup plus de choses sur Gemma et Zaven que sur son propre père. Les parents de Rukiyé étaient tous les deux très ouverts et n’hésitaient jamais à partager des histoires sur leur jeunesse respective. Contrairement à son père qui préférait rester silencieux et distant. Le contraste avait toujours été visible, mais il était à présent douloureux. Alionna découvrit avec amertume tout ce qu’il lui avait manqué en grandissant. De la tendresse, du réconfort, de la compréhension.
Le parfait exemple à ce sujet vint au moment où sa mère leur fit part de leur décision au sujet de l’Éclosion. Contrairement à tout ce à quoi Alionna s’attendait, Gemma et Zaven n’eurent aucune objection, bien au contraire. Ils acceptèrent et approuvèrent sans réserve sa décision. Elle n’aurait jamais cru qu’une telle chose puisse être possible. L’inquiétude du rejet qui lui avait noué les entrailles jusqu’à ce moment disparu. Le soulagement intense face à leur réaction la fit pleurer.
Surtout qu’ils ne se contentèrent pas de ça, mais participèrent activement à l’élaboration d’un plan. Ensemble, ils cherchèrent la meilleure façon de la faire passer pour l’un des candidats. Zaven leur proposa d’emprunter l’une des tenues blanches et Gemma suggéra de lui couper les cheveux. Ensuite, il fallut trouver qu’elle était le meilleur moment pour qu’elle rejoigne le groupe des candidats sans se faire remarquer. Le passage le plus délicat de leur plan. La moindre erreur leur coûterait extrêmement cher. Toutes ces choses les rapprochèrent encore un peu plus et maintenant que sa mère lui avait avoué leur relation réelle, être une famille se révéla aisé.
Entre temps, Rukiyé avait fait son retour définitif à la caverne. Plus aucune des candidates n’était séparée de sa famille sur une longue période. Celles qui venaient d’en dehors du Weyr pouvait demander à ce que leur famille les accompagne jusqu’à l’éclosion. Sur cette période, elles recevaient toutes les informations qui pouvaient leur manquer. Pour celles du Weyr, qui était proche de leur famille, il n’y avait que quelques séances d’explications. Ils célébrèrent donc l’évènement comme il se devait.
Le seul problème fut de régulariser leur nouvelle situation auprès de la Dame du Weyr. Il n’y avait pas de longue procédure, contrairement à la vie dans les Forts, il suffisait juste que l’un des membres de la famille vienne signaler le changement et la Dame du Weyr inscrivait cette modification sur les plans et dans les archives. Savoir où chacun se trouvait était essentiel, pour éviter toute confusion lors de l’attribution des richesses pour chaque famille.
Avec tout cela, les septaines s’envolèrent sans qu’ils ne le remarquent vraiment. Les jours semblaient s’enchaîner à une vitesse frénétique. Comme si le temps était aussi impatient qu’eux d’arriver à l’éclosion. La fébrilité de tous se sentait. Les gestes étaient nerveux, les voix toujours trop hautes, les commentaires sarcastiques abondaient et tout le monde se déplaçait d’un endroit à l’autre au pas de course. Tout le Weyr semblait vivre à un rythme accéléré. Régulièrement des petits groupes essayaient de rester, sans en avoir l’air, le plus près possible de l’Aire d’Éclosion. Même s’il y avait à présent au moins une éclosion par Révolution, la réaction euphorique qu’elle provoquait ne quittait jamais les habitants du Weyr.

Comme à chaque fois pourtant, les premiers grondements prirent le Weyr au dépourvu. Tout le monde stoppa brusquement sa tâche et se précipita vers l’Aire d'Éclosion pour assister à l’événement. Un chevalier-dragon vint chercher Rukiyé pour l’escorter jusqu’à L’œuf d’Or, avec ses parents pour l’accompagner. L’occasion parfaite pour Alionna et sa mère de rester en arrière afin de mettre leur plan à exécution. Avec une étonnante rapidité, sa mère lui coupa sa longue chevelure dorée qui attirait l’attention. Il ne lui resta plus que des longueurs recouvrant à peine ses oreilles. Le résultat n’était pas parfait, mais devrait faire suffisamment l’illusion. Après tout, même si toute l’attention se porterait sur les candidats potentiels et les œufs, personne ne regarderait vraiment. Les émotions de chacun seraient beaucoup trop fortes pour ça.
Ensuite, Alionna masqua comme elle le put sa poitrine proéminente qui ne passerait pas inaperçue autrement. Pour compléter l’illusion, Alionna enfila la tenue blanche caractéristique des candidats. Une fois correctement apprêtée, elle se précipita hors de sa caverne et emprunta des couloirs dérobés. Ils la mèneraient dans une partie sombre de l’Aire d'Éclosion et lui permettrait de se joindre discrètement aux candidats. Il n’y avait aucune possibilité de le faire avant sous peine de se faire remarquer. Une fois que tous auraient atteint l’Aire d’Éclosion, personne ne prêterait plus aucune attention aux nombres exact de candidats. L’occasion pour elle d’intégrer le groupe en toute discrétion.
Dans sa course effrénée, Alionna manqua plusieurs fois de tomber. Les passages qu’elle prenait n’étaient que très faiblement éclairés, car très peu utilisés. L’excitation et la peur lui donnaient des ailes. Il fallait à tout prix qu’elle atteigne son but avant que le premier dragon ne sorte de son œuf. À ce moment précis, l’attention se tournerait vers le groupe de candidat et si elle arrivait là, la supercherie serait découverte. Si Alionna tardait trop, elle craignait aussi de manquer l’Empreinte de son dragon. Trop loin, aucun ne la choisirait.
Le cœur battant à vive allure et le souffle court, Alionna vit enfin l’ouverture menant à l’Aire d'Éclosion. Elle pouvait à présent entendre très clairement le bourdonnement crescendo des dragons. Le son se réverbérait contre les parois et jusque dans ses os. Elle ralentit alors le pas jusqu’à l’arrêt. S’appuyant à la paroi, elle jeta un rapide coup d’œil à la scène devant elle. Elle constata avec soulagement qu’aucun œuf n’avait encore éclot. Pour l’instant, ils continuaient à se balancer. Tout se passait comme prévu. Soudain, des cris fébriles attirèrent son attention et elle vit avec bonheur qu’un des œufs se fendait enfin. Le moment était venu.
Profitant de l’agitation croissante, Alionna s’élança à vive allure hors de sa cachette pour rejoindre le groupe. Dès qu’elle atteignit la lumière, elle ralentit sa course et adopta une démarche plus relâchée. Elle s’avança aussi calmement qu’elle le put jusqu’aux derniers garçons faisant partie des candidats. Ceux-ci ne la remarquèrent même pas, trop occupés à regarder droit devant eux. Ils avaient déjà adopté la formation spécifique en demi-cercle pour pouvoir permettre aux dragonnets de mieux les repérer. Sur trois lignes à cause de leur nombre exceptionnel.
Une sélection de candidats aussi importante était rare, mais la réponse normale à cette ponte élevée. Quarante-cinq œufs ! Un record pour Ramoth. Pas étonnant qu’il y ait presque le double de candidats sur le sable. Déjà qu’auparavant ses pontes étaient prisées, celle-ci avait provoqué un émoi sur tout Pern. Tous souhaitaient avoir une chance de donner l’Empreinte à un dragon de Benden. La réputation du Weyr ne connaissait pas de baisse. Cette ponte ne faisait qu’augmenter encore un peu plus son prestige.
Alionna était arrivée juste à temps, car l’attention de tous se reporta sur les candidats. Le premier dragonnet se dirigeait vers eux. Alionna ne voyait pas grand chose, plusieurs des garçons présent lui masquaient la vue. Sa petite taille n’arrangeait pas la situation non plus. Elle tenta de se rassurer, même si elle ne pouvait pas les voir, les dragons avaient d’autre moyen de trouver leur compagnon. Mais cachée au fond du groupe, Alionna doutait.
Devant elle, les garçons commencèrent à se pousser et Alionna aperçut enfin le jeune dragon. C’était un petit bronze. Il avançait d’une manière pataude mais déterminée. Plus il avançait, plus ses grognements se faisaient frénétiques. Il n’arrivait pas à atteindre celui qu’il avait choisit. Le cœur d’Alionna se serra. L’entendre ainsi était insupportable. Elle aurait voulu courir le prendre dans ses bras. Mais elle ne pouvait pas. Il était le premier et le public n’était pas encore assez distrait pour ne pas voir qu’il y avait quelque chose d’étrange chez elle. Alionna devait attendre une fois de plus. La frustration et l’amertume la gagna un peu plus. Si les filles pouvaient elles aussi donner l’Empreinte aux dragons combattants, toute cette mascarade n’aurait pas lieu d’être. En être réduite à ce genre de stratagème pour avoir une chance équivalente était humiliant.
Alionna prit une profonde inspiration pour se calmer. Elle n’allait pas se gâcher ce précieux moment par des pensées inutiles. Fronçant les sourcils, elle constata que le petit bronze n’avait toujours pas trouvé son compagnon. La première Empreinte prenait-elle autant de temps d’habitude ? Il lui semblait que non. Elle jeta un œil aux autres œufs. Deux d’entre eux semblait prêt à délivrer leur occupant. Généralement la cadence s’accélérait dès que le premier dragon donnait l’Empreinte, ce qui n’était pas encore le cas.
Un groupe s’était constitué autour du petit bronze et semblait à tout prix vouloir arrêter sa progression. Alionna renifla. Ils pouvaient continuer à espérer, ce n’était pas comme ça que les choses fonctionnaient. Soudainement, le petit bronze émit une trille enthousiaste et renversa les garçons qui se trouvaient sur son passage. Alionna constata qu’ainsi il s’était considérablement rapproché d’elle. Seulement, elle savait très bien qu’il ne la cherchait pas. Il restait autour d’elle trois autres candidats dont un qu’elle connaissait suffisamment pour se douter qu’il était la cible du petit bronze. D’ailleurs, il était l’un des favoris pour donner l’Empreinte à un bronze. Le candidat parfait : il était l’enfant d’un chevalier-brun juste et loyal, avait un physique solide, bon caractère, ne rechignait pas aux tâches ingrates et fréquentait très régulièrement les baraques des Aspirants. Beaucoup avaient parié qu’il serait le premier à donner l’Empreinte. Les évènements semblaient leur donner raison.
Impatiente, Alionna dirigea ses pensées vers le petit bronze pour qu’il se dépêche de faire son choix. Elle attendrait son tour, mais s’il pouvait accélérer le mouvement tout de même ! Toute cette agitation commençait à lui peser.
Pourtant, le petit bronze l’ignora lui aussi et continua son avancée vers elle. Stupéfaite, Alionna se figea. Il ne pouvait la vouloir elle ! Impossible. Pas un bronze. Les archives étaient formelles à ce sujet. Des bruns, bleus et vertes étaient possibles, mais pas les bronzes. Cela ne s’était jamais produit.
Alionna ne savait pas quoi faire. Devait-elle l’ignorer ? Prétendre que quelqu’un d’autre se trouvait derrière elle ? En son for intérieur, elle connaissait déjà la réponse. Alors tremblante, elle s’agenouilla. Le cœur battant et le souffle court, Alionna tendit sa main vers le petit bronze qui se précipita vers elle avec roucoulement triomphant. Lorsque ses doigts touchèrent le cuir chaud légèrement humide, sa respiration s’interrompit. Elle n’arrivait pas à croire ce qui se produisait. Les yeux miroitants du dragonnet plongèrent dans les siens… et Alionna fut envahit d’une chaleur réconfortante. Toutes ses inquiétudes disparurent. Son esprit, son cœur et son âme étaient en paix. Une douce sensation de plénitude et de béatitude lui inondait le corps. Elle savait avec une certitude absolue qu’elle ne serait plus jamais seule. Que Kerianth serait avec elle maintenant et à jamais. Rien ni personne ne pourrait les séparer. Quoiqu’il advienne, il lui apporterait son soutien inconditionnel. L’intensité de toutes ses émotions lui provoqua une montée incontrôlable de larmes. Elle ne chercha pas à les retenir. En même temps, un début de rire s’échappa de ses lèvres. Kerianth lança une petite trille interrogative, clairement inquiet.

-Ne t’inquiète pas, répondit-elle en le serrant contre son torse. Tout va bien.

Distraitement, son esprit nota une montée croissante de murmures et de cris autour d’elle, mais elle n’y prêta qu’une faible attention. Tout son être était concentré sur le petit bronze entre ses bras. Plus rien d’autre que lui et son bien-être ne lui importait. D’ailleurs, il avait tellement faim. N’avait-elle donc rien à manger pour lui ?

-Non, désolée, s’excusa-t-elle terriblement chagrinée. L’impossibilité de satisfaire immédiatement sa demande lui brisait le cœur. Je vais voir ce que je peux faire.

La déception de Kerianth lui parvint distinctement. Les dragonnets sortaient toujours de leur œuf affamés, donc il fallait les nourrir rapidement. Avant qu’Alionna ne fasse quoi que ce soit, un large bol remplit de viande fraîche apparut dans son champ de vision. Soulagée, elle s’en saisit aussitôt et prit l’un des morceaux sanguinolents pour l’offrir à Kerianth. Il s’en empara goulûment, manquant s’étouffer avec. Avec un petit rire, Alionna lui rappela de manger plus doucement s’il ne voulait pas suffoquer. Ce à quoi Kerianth lui répondit par un grondement. Il essaya de plonger son museau dans le bol pour se servir directement, mais Alionna l’en empêcha. C’était un petit malin pensa-t-elle avec fierté.

-Faites attention à ne pas lui en donner trop, il pourrait se rendre malade, lui conseilla une voix proche.

Alionna leva les yeux vers la personne en question et reconnu avec horreur le chevalier-vert G’sel. De tous ceux qui apportaient les bols pour les dragonnets, il avait fallu qu’elle tombe sur lui. Son euphorie retomba d’un coup. L’avait-il reconnue ? Certes, son apparence était différente, mais on ne pouvait pas tromper un chevalier-dragon d’aussi près. Et il y avait Rill son lézard de feu…
Comme s’il l’avait entendu penser son nom, Rill apparut près d’elle et se mit à virevolter au-dessus de sa tête. Il poussait des trilles joyeuses. L’effroi s’empara d’Alionna. L’avait-il entendue ? Allait-il en faire par au chevalier G’sel ? Que pouvait-elle faire dans ce cas ? La terreur la rendait de plus en plus fébrile. Tellement que Kerianth le perçut et se mit à roucouler d’angoisse. Machinalement, elle lui gratta le contour de l’œil pour le rassurer et elle lui présenta un morceau de viande. Il lui renvoya de la gratitude et de l’affection. La raison reprit alors le dessus. Il était trop tard. Elle avait donné l’Empreinte, ils ne pouvaient plus rien faire.

-Merci, finit-elle par répondre sans changer sa voix. Tant pis. Elle n’avait plus peur.

Étrangement, le chevalier ne fit aucune remarque. Au contraire, il la fixa avec un sourire. Alionna fronça les sourcils. Il n’était pas crédule à ce point tout de même ? Non, il lui avait toujours semblé très intelligent, contrairement à certains. Alors pourquoi ce silence ? Quelque chose ne tournait pas rond. Seulement sa concentration à ce sujet était rendue difficile par le sentiment de joie que son lien avec Kerianth lui procurait.

-Rassure-toi Alionna, je ne te veux aucun mal. Je te promets que tout ira bien.

Alionna ne comprenait absolument rien. Confrontée à un menteur, elle aurait réagit d’une toute autre manière. Elle aurait cherché la confrontation. Qui avait-il de différent avec elle ? Le tumulte crescendo qui se réverbérait dans l’Aire d’Éclosion vint alors interrompre ses réflexions. Perplexe, elle distingua des cris et des vociférations. Ce n’était pas normal. Maintenant qu’elle se concentrait sur les sons, toute cette agitation lui paraissait bizarre. Inquiète, Alionna se releva pour comprendre ce qu’il se passait. La scène qu’elle découvrit la laissa bouche bée.
Aucun des garçons candidats n’avaient donné l’Empreinte. Elle était la seule avec un compagnon à ses côtés. Tous les dragonnets les avaient ignorés au profit des jeunes femmes candidates pour la Reine. Autour de la quinzaine d’entre elles se trouvait deux bronzes, quatre bruns et un nombre plus important de bleus et de vertes. Alionna ne voyait pas les autres dragonnets. S’étaient-ils aventurés jusqu’aux gradins ? Cela arrivait parfois, mais jamais autant ! Et pour l’œuf de la Reine ? La coquille était vide, mais elle ne distinguait rien au milieu de la masse de candidates. Pas d’éclat doré caractéristique, ni de Rukiyé d’ailleurs. Où était-elle passée ?
Par le Premier Œuf ! Que s’était-il passé pendant qu’elle s’occupait de Kerianth ?

-Eh bien, le Chef et la Dame du Weyr voulaient du changement, je crois qu’ils sont servis ! déclara G’sel avec ironie.

C’était une manière de voir les choses pensa Alionna. À ses côtés, Kerianth poussa un petit grondement et frotta sa tête triangulaire contre elle.




Dire que les Weyrs se trouvaient au bord de la rupture était un euphémisme. Les événements actuels avaient provoqué la panique générale. Quarante-cinq filles qui donnaient l’Empreinte, ce n’était jamais arrivé. D’ailleurs, ça n’aurait même pas dû être possible. Les bronzes ne donnaient pas l’Empreinte à des jeunes femmes. Certains criaient à la manipulation. Lessa aidée de Brekke et Vikky avaient dû jouer de leur Pouvoir pour apaiser la situation. F’lar et elle avaient craint que la tension ne finisse par donner lieu à de la violence. Il avait fallu s’assurer que les plus belligérants se calment avant de les laisser repartir. Pour l’instant, ils avaient évité le pire, mais le plus dur restait encore à faire.
L’attitude de Vikky n’avait pas non plus amélioré la situation. Depuis le moment où les dragonnets avaient ignoré tous les candidats sauf un, elle ne pouvait pas s’empêcher de partir dans des éclats de rire à intervalle régulier. Pour elle, toute cette affaire était une chose excellente et l’amusait énormément. Il avait fallu la tenir éloignée de peur que les spectateurs ne finissent par s’en offusquer.
Lessa devait avouer qu’une partie d’elle-même était extrêmement satisfaite de ce retournement total de situation. Il lui avait toujours semblé étonnant qu’actuellement les filles ne puissent donner l’Empreinte qu’à des Reines. Alors que les archives démontraient le contraire. Elle en avait bien fait une fois par à F’lar. Il s’était contenté de lui répondre que ce genre de révélation risquait de provoquer trop de problèmes avec les Anciens. Nul besoin de leur donner une raison de plus de les détester. Lessa n’en avait plus reparlé, mais y pensait régulièrement. Et maintenant, ils étaient brutalement confrontés au sujet avec le pire des schémas possibles.
Comment s’est passé l’arrivée des nouveaux dragonnets à leurs quartiers ? demanda Lessa à sa Reine. Très bien. Ils sont déjà tous endormis, répondit Ramoth d’un ton affectueux. Les autres Aspirants ne leur ont pas posé de problème ? ajouta Lessa. Non, Celina les surveille. Lessa était rassurée. Au moins les jeunes n’étaient pas perturbés par tout ce chaos. Elle avait craint que toute cette agitation ne leur soit néfaste. Ils étaient encore si fragiles. Et Rukiyé ? demanda-t-elle ensuite. Lessa déplorait que ni elle, ni les autres Dames n’aient pu s’occuper correctement de la dernière arrivée. Katrielle est restée avec elle et sa Reine. Katrielle te fait savoir qu’elle nous rejoindra dès qu’elles se seront endormies, précisa Ramoth. Parfait. Au moins certaines choses se déroulaient correctement.
Tournant enfin toute son attention sur le Conseil, Lessa étudia attentivement le visage de ceux assis autour d’elle. Elle essaya de jauger qui serait raisonnable durant leur réunion et qui leur serait clairement hostile. Bien que les Anciens les plus réfractaires aux changements ne soient plus sur ce continent, les restants ne leur seraient pas forcément plus favorable. Ils avaient eux aussi, beaucoup d’idées préconçues sur la vie dans un Weyr. Et des filles donnant l’Empreinte à des dragons combattants serait peut-être le point de rupture.
Elle n’avait aucun doute sur le soutien inconditionnel de F’nor et de Brekke, présent en tant que spectateurs pour l’Éclosion. L’ancien second de Benden et sa Dame seraient un atout pendant les débats. Ils étaient la preuve que des changements incongrus se montraient bénéfiques pour le Weyr. Le vol nuptial de la Dorée Winreth et du brun Canth ayant produit une Reine (chose que Prideth n’avait jamais réussi) ainsi que trente-cinq œufs, personne n’avait plus émit d’objection à leur sujet.
Parmi les Chefs et Dames de Weyr, T’bor avait toujours été de leur avis et Pilgra semblait être raisonnable. Elle avait survécu à Kylara après tout ! Quant à G’narish et Nadira, tous deux s’étaient prononcés en faveur de Benden de manière enthousiaste. Leur jeunesse respective y devait sans doute beaucoup. Peut-être que ce nouveau fait ne les déstabiliserait pas trop ?
Les trois autres couples poseraient malheureusement plus de problèmes. P’zar et Margatta en tant que leader de substitution, pouvaient souhaiter ne pas trop bouleverser le reste de leur Weyr. D’ram et Fanna avaient toujours essayé de ménager le reste des Anciens. Par peur, ils s’accrochaient encore désespérément à certaines traditions. Pour R’mart et Bedella les choses étaient aussi compliquées. Ils soutenaient certes Benden avec joie, mais Lessa craignait qu’ils hésitent à prendre parti cette fois-ci. Ce changement était d’une toute autre envergure. Surtout si D’ram et Fanna tentaient quelque chose.
Inquiète face à toutes ces incertitudes, Lessa dut se résoudre à employer un moyen plus efficace pour faire taire ses craintes. Elle étendit légèrement son Pouvoir pour évaluer l’état émotionnel de chacun. Comme elle s’y attendait, F’nor, Brekke et T’bor, n’étaient ni inquiets ni indécis. Lessa était un peu surprise de la force de leur confiance en eux. Pilgra, bien que légèrement inquiète, semblait elle aussi accepter le fait avec bienveillance.
D’ram et Fanna par contre, dégageaient beaucoup d’agitation et de tension. Leurs émotions fluctuaient violemment. Il en faudrait beaucoup pour les convaincre. Les deux derniers couples étaient clairement indécis, un rien pourrait les faire basculer d’un côté ou de l’autre. Il faudrait que F’lar et elle avance prudemment pour ne pas les brusquer.
Lessa sentit son agacement monter. Par la Coquille ! Ils n’avaient pas de temps à perdre sur ce genre de détail ! Les Fils, eux, n’attenteraient pas. Ils tomberaient. Que leurs problèmes soient résolus ou non. Lessa ferma les yeux pour se calmer, elle ne pouvait pas laisser ce genre d’émotions la dominer. Elle risquait de provoquer l’antagonisme des Anciens. En les ouvrant, elle vit F’nor qui lui adressa un signe de tête, imperturbable. Brekke lui sourit, tout comme Pilgra. On pouvait dire que l’évincement de Kylara au profit de cette dernière avait été un cadeau. La nouvelle Dame des Hautes Terres se montrait sage et ferme. Depuis, T’bor avait gagné en calme et en discernement. Un changement radical après des dizaines de Révolutions soumis aux caprices de Kylara. Ce qui serait extrêmement profitable pour ce Conseil. Moins de risques de remarque déplacée. Heureusement que des esprits raisonnables se trouvaient à la table songea Lessa. Autrement, cela aurait pu rapidement tourner au carnage.
Ses réflexions furent interrompues par le retour de Monarth au-dessus de Benden et sur son dos, Robinton. Enfin ! F’lar l’attendait en bas des marches avant de prendre la tête de ce Conseil. Le Maître Harpiste avait été invité à se joindre à eux dans ce contexte exceptionnel. T’gellan et son bronze Monarth s’étaient proposés pour aller le chercher. Quoiqu’il ressorte de cette réunion, ils avaient besoin du soutien de Robinton et de tous ses harpistes. Ils devraient s’assurer que les dragonnets donnant l’Empreinte à des jeunes filles soit bien perçu par le reste de Pern. Le risque d’un soulèvement ou de protestations étaient grands. Et ils ne pouvaient pas se le permettre tout juste après avoir réconcilié les Forts et les Weyrs.
F’lar rentra le premier, Robinton un pas derrière lui. Ils s’arrêtèrent tous deux pour saluer le groupe présent :

-Chefs Du Weyr, Dames du Weyr, commença F’lar poliment. Je vous remercie d’avoir répondu présent aussi vite.

Chacun répondit d’un signe de tête bref et F’lar alla s’installer à l’autre bout de la grande table. Robinton, lui, s’assit sur la chaise libre à côté d’elle.

-Alors Dame du Weyr, est-ce que ce qu’on m’a dit est vrai ? demanda Robinton à voix basse en se penchant vers elle. Il n’y a que des filles ?

-Oui, répondit Lessa sur le même ton. Comment êtes-vous déjà au courant, Maître Harpiste ?

-J’ai des yeux et des oreilles partout !

-Il semblerait, convint Lessa avec résignation.

Pas moyen d’avoir un secret avec le Maître Harpiste. Parfois, elle se demandait s’il ne savait pas les choses avant qu’elles se produisent.

-Oh ! Je vois que vous avez pensé à moi, déclara-t-il à l’attention de tous en apercevant le verre de vin plein devant lui.

Comme à chaque fois qu’il posait les pieds à Benden, une bouteille lui était réservée. Il était toujours accueillit avec le respect et les honneurs qui lui étaient dus. Il avait soutenu la position des chevaliers-dragons envers et contre tous. C’était le moins qu’ils puissent faire.

-Bien, maintenant que tout le monde est là, commença F’lar, je voudrais confirmer de vive voix ce que vous avez dû entendre : il n’y a que des filles qui ont donné l’Empreinte. Je comprends que ce fait soit déstabilisant, tempéra-t-il, nous avons tous été surpris. Mais pour l’instant, notre priorité est de calmer les esprits de tous. Une panique générale ne pourra entraîner que des désagréments. Il faut expliquer qu’aucune jeune fille n’a été forcée et que dans le futur, aucune ne sera enlevée à sa famille. Que les futures Quêtes se feront avec l’approbation de tous. Les rumeurs se rependent vite et font beaucoup de dommage.

Tous hochèrent la tête. Lessa qui suivait toujours les émotions de chacun perçut une montée de tension. Avec son Pouvoir, elle essaya de tempérer cette ambiance chargée. F’lar n’aimait pas qu’elle influence les autres, mais Lessa ne pouvait pas laisser les choses dégénérer.

-Cela n’explique pas comment une telle chose a pu arriver ! s’exclama D’ram. Des filles avec des dragons de combats, c’est une impossibilité.

-Les lézards de feux peuvent s’attacher indépendamment de leur couleur à des femmes et des hommes, non ? pointa calmement F’nor. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les dragons ?

-C’est vrai que vous, Brekke, Mirrim et G’sel défiez les règles que nous connaissions à ce sujet, reconnut Pilgra.

Lessa se félicita de l’intervention de l’une des Anciennes. Ses paroles calmèrent l’appréhension générale.

-Peut-être, seulement les lézards de feux et les dragons ne sont pas la même chose, crut bon de préciser D’ram. Les règles qui s’appliquent à l’un ne s’appliquent pas forcément à l’autre.

-Et pourquoi pas ? rétorqua aussitôt Pilgra. Quasiment toutes leurs autres caractéristiques sont communes. Ils peuvent aller dans l’Interstice, communiquent par la pensée, effectuent des vols nuptiaux, pondent des œufs et peuvent donner l’Empreinte. La majeure différence étant qu’une personne peut avoir plusieurs lézards de feux.

-Mais pourquoi cela ne s’est-il pas produit avant cette Éclosion ? insista D’ram.

-Vos suggestions sont aussi bonnes que les miennes Chef de Weyr, répondit poliment F’lar.

-Les archives mentionnent des femmes qui ont été chevaliers-dragons de bruns, bleus et vertes, précisa alors Lessa. Histoire que personne ne se mette à penser qu’elle était responsable de cet événement. On aurait pu l’accuser d’avoir utilisé son Pouvoir pour influencer les dragonnets. Elle, Brekke et Vikky. Surtout que cette dernière avait beaucoup de pouvoir. Plus qu’elle. Tellement que ça en était insultant. Heureusement, sa maîtrise était catastrophique. Lessa se félicitait de son contrôle parfait. Mais malgré tous ses défauts, Vikky n’aurait pas pu accomplir une telle chose. Lessa ne pensait pas que forcer mentalement autant d’esprits sans les briser soit possible.

-Les ballades aussi, ajouta Robinton. Et nous savons à présent qu’elles sont basées sur des faits réels.

Le silence se fit en réponse. Chacun prenait le temps de réfléchir à ces nouveaux faits. Les esprits étaient certes plus calmes, mais il faudrait un peu plus pour que tous soient convaincus.

-Il se peut que nos prédécesseurs aient inhibé les dragons pour qu’ils ne choisissent plus de jeunes filles. Probablement pour s’assurer la pérennité du Weyr, expliqua Lessa. Si trop d’entre elles mourraient avant d’avoir des enfants, la population aurait diminué trop brutalement. Et je doute que les Forts de l’époque aient accueillit ce fait à bras ouvert. Surtout si l’on prend en compte les femmes mourant régulièrement en couche et les différentes épidémies.

-On pourrait influencer les dragons sortant de l’œuf ? demanda G’narish qui s’exprimait pour la première fois.

-En quelque sorte, répondit Lessa. Si les jeunes filles étaient tenues éloignées à ce moment-là ou pas en présence suffisante, les choses ont dû se réguler d’elles-mêmes au fur et à mesure. C’est probablement devenu une question de survie au bout de deux ou trois Éclosions.

-C’est vrai que cela expliquerait pas mal de choses, concéda alors Fanna.

-Maintenant que la population générale de Pern est plus importante, la survie n’est plus la priorité et les dragons peuvent faire leur choix avec plus de liberté.

Avec réticence, D’ram et Fanna acquiescèrent. Les autres Anciens suivaient l’échange sans trop s’impliquer. Ils préféraient attendre avant de se décider.

-Tout de même, c’est une chose difficile à avaler. Je ne suis pas sûr que tous les chevaliers-dragons de notre Weyr accueille cette nouvelle avec joie.

-Ils n’auront pas le choix, indiqua F’lar. Ce n’est pas comme s’ils pouvaient empêcher les événements.

-Que pouvons-nous faire pour réduire le choc dans ce cas ? demanda Fanna pragmatique.

-Eh bien, il me semble que c’est ici que je rentre en scène, déclara Robinton. Mes harpistes et moi feront le tour des Forts et des Weyrs pour rafraîchir les mémoires de tout le monde. Je pense que ressortir quelques ballades ne pourra pas faire de mal.

-Espérons que cela suffise, bougonna D’ram.

-Ne soyez pas pessimiste Chef de Weyr D’ram, le taquina gentiment Robinton, les changements effrayent toujours. Mais je suis persuadé qu’une fois que les avantages d’une telle chance seront perçues, les protestations s’éteindront d’elles-mêmes.

-Il faudra probablement être extrêmement prudent durant les deux Révolutions prochaines. Si nous nous y prenons mal, ils risquent de nous fermer leurs portes lors des Quêtes futures ! insista F’lar.

-Peut-être devrions-nous inviter les gens des Forts à visiter les Weyrs afin de les rassurer ? proposa Brekke. Elle rougit en s’apercevant de toute l’attention sur elle, mais continua : s’ils se rendent compte par eux-mêmes des conditions de vie ici, ils seront plus calmes.

-C’est une idée, dit F’lar. Nous avons déjà mis en place un plan de ce genre pour les Candidats. Peut-être serait-il bon de le généraliser à tous les Weyrs.

D’ram et Fanna acquiescèrent et tous les autres suivirent. Lessa était extrêmement satisfaite : la réunion s’était bien passée et elle n’avait pas eu à trop utiliser son Pouvoir. Enfin la vie au Weyr allait reprendre son cours normal, ou presque.

-Très bien, puisque les choses sont claires, je vous propose d’arrêter là ce Conseil. À moins que quelqu’un ne veuille ajouter quelque chose ?

Personne ne prit la parole. Tant mieux, pensa Lessa, elle était pressée de se reposer car elle savait que les jours suivants promettaient d’être éreintants.

-Excellent. Je vous libère alors.

Les autres Chefs de Weyrs prirent rapidement congés et il ne resta plus que F’nor, Brekke, Robinton et F’lar.

-Je suis étonné que les choses se soient aussi bien déroulées pour un sujet aussi grave, dit F’lar avec un regard en biais vers sa compagne.

Lessa haussa les épaules. S’il pensait qu’elle allait avouer quoi que ce soit.

-Si vous n’avez plus besoin de moi, demanda brusquement Robinton, je vais aller secouer et disperser mes Harpistes.

Juste à ce moment-là, Vikky entra dans la salle, N’ton sur les talons. Ces deux là étaient inséparables, ce qui était un problème pour leurs futurs plans. Vikky devait être présentée à l’Oeuf d’Or de Brekke et N’ton serait envoyé au vol nuptial ouvert de Margatta et de sa Reine. Ils avaient besoin de lui en tant que nouveaux Chefs de Weyr. Il était fait pour ça. Toute relation entre eux était impossible et elle ne laisserait pas la nouvelle arrivée ruiner leurs plans.
Celle-ci, sans aucune idée de ses arrières-pensées, souriait.

-Pas de carnage alors ? demanda-t-elle espiègle.

-Non, tout c’est résolu paisiblement, répondit F’lar amusé. Il n’y aura pas de problème si d’autres filles donnent l’Empreinte. Pourquoi cette question ?

-Oh, rien. Je me demandais juste comment vous réagiriez lorsqu’un garçon donnera l’Empreinte à une Reine, dit-elle nonchalamment.

Le bruit d’étranglement collectif qui suivit fut sans aucun doute une réponse parfaite pour Vikky.




Cela faisait deux septaines qu’Alionna avait donné l’Empreinte à Kerianth et autant de temps qu’elle n’avait pas vu Rukiyé. Les nouveaux Aspirants étaient mis à l’écart des autres à cause du trop plein d’émotions de leur nouveau lien. Une frustration constante pour elle. Alionna voulait voir Rukiyé et constater d’elle-même que son amie allait bien. Mais pour l’instant, on lui interdisait de s’éloigner de leurs quartiers. Les dernières nouvelles au sujet de Rukiyé venaient des candidates pour l’Œuf d’Or. Elle avait été ravie d’apprendre que son amie était la dernière Dame. Mais Alionna voulait aussi lui parler, la serrer dans ses bras, la voir. Elle en avait un besoin irrépressible. Personne ne pouvait la séparer de Rukiyé.
Alors, profitant de l’inattention de l’un de leurs instructeurs, Kerianth et elle s’éclipsèrent. Ils traversèrent le Weyr en se faisant le plus petit possible, choisissant de longer le mur pour ne pas trop attirer l’attention. Pas une mince affaire avec tous ses yeux. Pourtant, personne ne vint arrêter leur progression et après un périple très fatiguant pour son petit bronze, ils atteignirent enfin les cavernes des Dames Dragons Juniors. Alionna hésita, elle ne savait pas dans laquelle se trouvait Rukiyé et elle n’avait pas envie de se faire prendre. Kerianth résolut le problème, car d’une simple trille, il fit pointer son museau à la nouvelle Reine.
En l’apercevant, Alionna dut bien admettre qu’elle était magnifique. Sa robe dorée scintillait même dans l’ombre. Elle avait quelque chose de délicat et gracieux à la fois. Kerianth poussa un grondement de mécontentement. Il n’aimait pas du tout le fait qu’elle apprécie plus la petite Reine que lui. Alionna trouva sa jalousie adorable et lui gratta le dessus du crâne pour l’apaiser. Il se mit à roucouler de ravissement. Les dragons étaient facilement satisfaits.
Soudain, Rukiyé apparut à l’entrée de la caverne et se jeta immédiatement dans ses bras. La force faillit la faire tomber à terre. Elles se serrèrent l’une contre l’autre en pleurant, euphoriques. Après un long moment, pourtant trop court, elles se séparèrent.

-Tu m’as tellement manqué, avoua Rukiyé.

Alionna rougit. Ses simples mots lui faisaient immensément plaisir. Rukiyé ne l’avait pas oublié. Elle avait craint que l’Empreinte ne la change. Elle avait bien changé, elle. Mais tout semblait comme avant ou presque.

-Toi aussi, répondit-elle.

Son sourire éblouissant lui avait tellement manqué. Sa présence à ses côtés la remplit de sérénité. Tout était parfait. Un coup de tête suivi d’un grognement, lui rappela qu’elle avait oublié une chose très importante.

-Rukiyé, je te présente Kerianth, annonça-t-elle en le poussant devant elle.

-Enchantée, répondit Rukiyé. Comme à son habitude, elle se mit aussitôt à le gratter avec expertise.

Kerianth se mit à roucouler de satisfaction et se frotta contre sa jambe. Rukiyé se mit à rire et un frisson de plaisir parcourut Alionna toute entière. Soudain, un éclair doré fit son apparition et Kerianth se retrouva museau contre museau avec la nouvelle Reine. Elle le dominait largement et le fixait d’un regard curieux. Elle s’était collée à Rukiyé et avait enroulé sa queue autour d’elle, un brin possessive. Contrarié, Kerianth en avait fait de même.

-Voici ma précieuse Yunith. N’est-elle pas merveilleuse ? demanda avec ravissement Rukiyé.

Elle l’était et en cet instant, le tableau qu’elles offraient bouleversa Alionna. Son cœur battait à tout rompre et elle avait le souffle court. Alionna ne comprenait pas vraiment ce qu’il se passait. Pourquoi réagissait-elle d’une telle manière face à son amie ? Elle essaya de sourire, mais ne fut pas sûre du résultat.

-Ta nouvelle coupe te va bien, déclara Rukiyé avec un air intense.

-Oh tu trouves ? demanda Alionna en portant une main à ses cheveux. Jusque là, elle avait un peu oublié ce changement radical.

-Oui, tu es toujours très belle, ajouta Rukiyé avec un immense sourire.

-Merci, bafouilla Alionna rougissante.

Une curieuse idée s’empara alors de son esprit : lorsque Yunith effectuerait son vol nuptial, Kerianth l’attraperait. Elle ne laisserait personne d’autre s’approcher de Rukiyé. À ses côtés, Kerianth émit une trille d’approbation.

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