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Titre : Les dix princesses (Partie 1)
Auteur : Azmé (Participant 18)
Pour : Qwertz (Participant 32)
Fandom : Ludwig Revolution
Couple : Ludwig x Wilhelm
Rating : PG-13
Disclaimer : Je ne possède aucun droit sur ces personnages qui furent crées par Kaori Yuki. Cependant, j’ai la joie de clamer que le conte des dix princesses est autant mien que puisse l’être quelque chose d’aussi influencé et référencé qu’un conte.
Prompt : Lorsque Lisette découvre que Wilhelm ne l'aimera jamais parce qu'il préfère les hommes et surtout son prince, elle décide de dégoûter Ludwig des femmes pour que celui-ci s'intéresse à Wilhelm, comme ça le valet sera heureux.
Quelques pistes facultatives en bonus : Dorothéa peut donner un coup de main à Lisette (et pourquoi pas finir avec ?). Le fait qu'Amalberga n'aie rien contre les gays peut être un argument utile. Une apparition de Julius pourrait entraîner quelques scènes désopilantes.
Notes : Je me rends compte en relisant le prompt que je me suis un peu éloignée de la lettre mais je pense en respecter l’esprit, en tout ça voilà un univers qu’il m’a plu d’effleurer et dans lequel je replongerai peut-être.
Note de la modératrice : la fic est très longue, j'ai dû la couper en deux parties.
xxx
Les dix princesses
Il était une fois un roi à qui le ciel dans sa clémence avait donné dix filles toutes si belles que lorsqu'elles étaient réunies elles éclipsaient les astres célestes. Le roi aimait tellement ses filles qu'il leur passait chacun de leurs désirs, jamais on ne vit filles avoir telle emprise sur leur père. Telle était l'affection que le roi leur portait que lorsque vint l'heure de les marier il prit conseil auprès de ses enfants.
« Ah mais père, dirent-elles, où trouverons-nous un prince digne de nous. Assurément nous ne saurions nous contenter d'un simple roitelet ou même d'un empereur. Seul un homme courageux et brave et noble et avisé et aussi beau que nous pourrait prétendre à notre main. »
« Mes filles comme vous avez raison, reconnut le roi. Je vous laisse donc le soin de choisir vos prétendants. »
Mais les dix princesses ne l'entendaient pas de cet avis. Fières de leurs qualités, elles décidèrent de mettre à l'épreuve ceux qui viendraient demander leur main.
« Mais en échange, nous promettons à celui qui passera toutes les épreuves qu'il n'épousera pas une mais les dix princesses de ce château. »
Le roi, fit alors envoyer une lettre à son frère le Pape qui pour ses nièces bien aimées se hâta d'envoyer une bulle permettant un tel mariage.
Il vint des princes de toutes les contrées même les plus barbares. L'idée d'avoir non pas une mais dix épouses belles comme le jour ne cessait de faire rêver ces nobles seigneurs. Il en vint tous les jours pendant un an. Mais aucun ne réussit ces épreuves et très vite la rumeur se répandit que la main des dix princesses était impossible à obtenir.
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« Mais Lisette, je te jure que... »
Le petit chaperon rouge ne lui prêta pas attention, continuant avec rage et fureur de se rhabiller.
« Tu pourrais au moins me détacher. » geignit le malheureux homme.
« Quand on est impuissant on la ferme ! » hurla la tueuse en prenant son fusil.
« Mais, enfin, tu ne pouvais pas espérer qu'en m'attachant à un lit j'allais avoir envie de... enfin tu sais... et puis je ne suis pas pour la violence... et si tu posais ce fusil, Lisette ? » bégaya le pauvre prisonnier, ses mains toujours accrochées aux montants de la couche, un drap magnanime seul rempart de sa modestie.
Folle de rage, l'assassin leva son fusil et montra les crocs.
« Non seulement tu me fuis mais en plus tu n'es pas capable de... »
Elle ne termina pas sa phrase, l'un des murs de la chambre venait de s'écrouler et au-delà des décombres apparaissaient deux silhouettes qu'elle connaissait bien.
« Wilhelm, crétin ! Combien de fois faudra-t-il te fouetter pour que tu cesses enfin de te faire enlever ! »
« Mon prince ! » s'écria le jeune homme plein d'espoir.
Le prince Ludwig s'engouffra dans la chambre comme un cyclone arrivant près d'une ville balnéaire : plein d'une rage dévastatrice.
« J'ai été obligé de demander de l'aide à Dorothéa, alors je te préviens que tu vas morfler ce soir ! » expliqua-t-il en s'avançant vers le lit.
Mais il s'arrêta soudain, encore plus furieux.
« D'ailleurs c'est quoi cette tenue ? Ne me dis pas que tu as disparu alors que tu devais m'habiller juste parce que tu avais envie de jouer à pan pan culcul avec le petit chaperon rouge ! »
Wilhelm nia avec force et beaucoup de conviction.
« Je vous jure mon prince que ce n'est pas du tout ça ! »
« Mouais... » répondit son altesse visiblement peu convaincu.
Mais dans sa grande bonté d'âme et sa presse de se faire habiller, il se pencha pour dénouer les liens qui retenaient son valet au lit.
Seul l'oeil aiguisé du tireur d'élite put voir alors ce que tous les autres manquèrent : sous l'innocent drap blanc qui jusque là avait protégé la pudeur du valet, une bosse révélatrice commençait à apparaître. Le sang ne fit qu'un tour dans les veines de Lisette.
« Je vais le tuer ! » hurla-t-elle en se précipitant, crosse à la main sur les deux hommes.
Mais elle fut arrêtée par une horde de chauve-souris qui se jetèrent sur elle.
« C'est pas trop tôt, Dorothéa ! » se plaignit le prince qui avait fini de délier son presque esclave et essuyait ses bottes avec le drap dans lequel Wilhelm essayait de se cacher tout en attrapant les lambeaux de ce qui avait été ses vêtements.
« Oh, mon prince, je suis en retard, punissez-moi ! » dit avec extase la jeune sorcière en se jetant à ses pieds.
Mais Ludwig l'ignora ce qui eut pour effet de la faire se liquéfier encore plus de plaisir. Le prince, ses bottes enfin propres se dirigea vers la porte.
« Wilhelm grouille, j'ai rendez-vous avec la fille de l'aubergiste et je ne sais pas où tu as mis mon manteau rouge à plumes noires. »
Le valet encore à moitié nu mais ayant réussi à couvrir cette partie-là s'extirpa du lit et se précipita à la suite de son maître.
Quant au petit chaperon rouge, elle resta là, seule, contemplant les décombres de sa vie amoureuse.
xxx
Le faisan noyé n'était pas un bar des plus fréquentable, surtout pour une jeune fille. Mais Lisette n'était pas n'importe quelle jeune fille et son fidèle fusil la gardait de toute proposition malhonnête que les truands qui peuplaient l'endroit auraient pu vouloir lui faire. Ce n'était pas un endroit convenable, mais c'était tant mieux, elle pourrait y saouler sa douleur et peut-être endormir l'affreuse tristesse qui rongeait son âme. Pleine de ces bonnes intentions, elle leva sa chope.
« Un autre verre et que ça saute. »
Le patron, un homme rude aux allures d'ours qui serait passé sous un train, se hâta de lui obéir, peu désireux de se retrouver face au fusil d'une fille ayant plus de trois kilogrammes d'alcool dans le sang.
Lorsque le siège à côté du sien fut occupé, Lisette ne s'en préoccupa pas, tant que l'imbécile qui avait assez de noix dans le pantalon ou d'imbécillité dans la cervelle n'essayait pas d'entamer la conversation, il pouvait bien s'asseoir où il voulait qu'elle s'en fichait royalement. Mais bien sûr, le nouvel arrivant n'avait pas choisi ce siège par hasard.
« Si tu continues à boire de l'alcool tu vas prendre du bide, tu sais. » déclara Dorothéa en retirant son capuchon. « Patron, ce sera un verre de lait pour moi, il faut que je grandisse vite. ».
Lisette ne tourna même pas la tête, peut-être que si elle l'ignorait la sorcière la laisserait en paix.
Mais bien sûr c'était prêter au destin des intentions bien trop douces.
« Et donc, tu déprimes parce que ? »
Drapée dans sa dignité et les vapeurs de l'alcool, elle ne répondit rien.
« Laisse-moi deviner : Wilhelm t'a encore mis un râteau, c'est ça ? Je croyais que c'était moi la maso de cette histoire. »
Dorothéa secoua la tête, effarée devant la passivité de sa compagne de boisson.
« C'est pas parce que tu as échoué une fois qu'il faut te laisser aller, il ne te reste plus qu'à recommencer. Comment crois-tu que je fais, moi ? Je n’attends pas qu'il vienne à moi, je m'allonge sur son chemin pour qu'il me piétine et je ne m'avoue jamais vaincue, je reviens me jeter à ses pieds, me rouler dans la boue de ses bottes encore et encore et... »
La sorcière serrait ses bras avec passion, son corps se remplissait d'extase quand elle repensait au bonheur d'être écrasée, dédaignée, malmenée par son prince bien aimé.
« Ça ne marchera pas. » laissa tomber Lisette en reposant avec dépit son verre.
« Quoi ? Découragée pour si peu ? » se moqua la sorcière.
« Je ne suis pas découragée. » s'écria-t-elle.
La sorcière commençait sérieusement à lui échauffer le fusil.
« Ben alors c'est quoi, pauvre petit chaperon perdu ? » demanda la magicienne avec une voix et une moue de petite fille.
« C'est juste que Wilhelm ne bande pas quand il est avec moi! »
Les mots lui avaient échappé.
« Oh, ce n'est que ça ! »
La sorcière lui mit une tape amicale dans le dos et avec son air de vieille commère elle se pencha et lui dit :
« Tu sais, j'ai quelques potions qui peuvent faire des miracles... »
« Par contre, il suffit que le prince l'effleure de ses cheveux pour qu'aussitôt il se mette au garde-à-vous. »
Lisette jouit quelques instants d'un silence délicieux, mais hélas comme toutes les bonnes choses il fut trop court.
« Et tu es sûre que tu n'es pas masochiste ? Non, parce qu'on pourrait fonder un club. » lui proposa l'enchanteresse, le plus calmement du monde.
L'assassin l'ignora, noyant son chagrin et sa rage dans l'eau de vie.
« M'enfin, tu sais, ya plein d'autres poissons dans l'océan, et je suis sûre que tu te trouveras un petit M rien qu'à toi qui remplacera ton Wilhelm. »
Elle leva la tête. Est-ce que la maso-goth était en train de la consoler ?
« J'ai pas besoin de ta pitié ! » s'écria-t-elle totalement dégoûtée par l'expression douce et presque innocente qu'on lisait sur le visage de l'autre.
« Ben en tout cas t'as besoin de quelque chose, » répondit la gamine en reprenant une contenance normale. « sinon tu ne serais pas là. »
Elle baissa la tête dans son verre, la chieuse n'avait pas tort.
« Il est tellement gentil... » soupira-t-elle en laissant tomber sa tête sur son bras qui s'allongeait, dépité, sur le comptoir. « Comment est-ce que je pourrais le laisser avec l'autre enfoiré... »
« Oh, c'est donc ça ! »
Dorothéa sourit de toutes ses dents.
« Et si on réussissait à le rendre heureux, ça te remonterait le moral ? »
Lisette la regarda intriguée.
« Et tu proposes quoi ? Lui donner une lampe magique ? Droguer Ludwig pour qu'il soit gentil et obéissant ? »
« Oh, non, rien d'aussi compliqué, juste lui permettre de se marier et de vivre heureux jusqu'à la fin des temps. »
Elle laissa échapper un rire rauque et strident.
« Bonne chance pour y arriver avec cet impuissant. »
« Oh, mais si c'était avec le prince ce ne serait pas bien difficile. » siffla la sorcière.
La jeune fille releva la tête, surprise.
« Avec le prince ? »
« Oui, après tout, ce serait ça pour lui, le vrai bonheur, être lié à lui pour l’éternité et les siècles des siècles, que son maître chéri ne puisse jamais le renvoyer... »
« Mais… mais... et toi, qu'est-ce que tu aurais à y gagner ? »
Elle fixait sans comprendre le sourire amusé de la magicienne.
« Moi ? Mais enfin, tu n'y penses pas ! Le prince épousant son valet, mon prince me rejetant, moi, belle, nubile, consentante, mouillée et offerte, tout ça pour finir avec son valet, le voir sous mes yeux me tromper non pas avec une femme, mais avec un homme, avec un autre masochiste que moi... Oh... je jouis rien qu'à cette idée. »
Et en effet, le corps de la toute jeune fille était assaillit par mille tremblements et ses joues rougissaient et ses yeux s'emplissaient de langueur.
« Assez ! » protesta le chaperon rouge dégoûtée, et d'un coup de ses New Rock elle envoya l'autre rouler à terre.
« Oh, oui, encore, je t'en prie, j'y suis presque ! » fut le râle qui s'exhala du plancher.
Un frisson de pure horreur secoua les épaules de Lisette qui lui envoya quelques autres coups mais ne réussit pas à la faire taire, bien au contraire.
Lorsque Dorothéa eut récupéré de sa petite mort, elle se hissa à nouveau sur le tabouret et commanda un autre verre de lait.
« Alors, est-ce que tu veux que ton Wilhelm soit heureux ? »
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« C'est encore loin ? » demanda le prince Ludwig en geignant comme un enfant de trois ans.
Wilhelm soupira et répéta pour la dixième fois en à peine un quart d'heure.
« Non, mon prince, nous approchons du royaume du roi Sol. »
« Il a un nom stupide. » déclara le prince sur un ton sans appel.
« Oui mais il a dix filles superbes à marier à un seul homme. » rappela Dorothéa.
Ludwig prit son pistolet et tira sur la tête de petite fille qui était apparue à la fenêtre.
Les cris de délice de Dorothéa se répercutèrent depuis le toit du carrosse. Wilhelm soupira longuement. Ce cirque ne finirait-il donc jamais.
« J'ai faim ! » décréta Ludwig. « Je veux manger ! »
« Nous avons des provisions de l'auberge mon prince... »
« Non, je veux manger chaud. » décréta son altesse royale.
Et Wilhelm n'eut d'autre choix que d'ouvrir la trappe et dire au cocher de s'arrêter dans la prochaine auberge qu'il trouverait.
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Bien sûr l'auberge était minable. Bien sûr la nourriture était affreuse, bien sûr les servantes étaient vieilles et laides et bien sûr le prince passait son temps à se plaindre et à aboyer sur tout le monde, forçant Wilhelm à courir en tous sens pour satisfaire le moindre de ses caprices de star. Quand enfin le prince fut mis à table avec un repas presque entièrement préparé par son premier valet sous prétexte qu'il n'avait pas confiance en un cuisinier aux cheveux gras, le pauvre serviteur se retira enfin pour aller se désaltérer au puits qui se trouvait derrière l'auberge au milieu d'un petit potager.
S'aspergeant le visage d'eau fraîche, le jeune homme se sentit enfin revivre. Allant se mettre à l'ombre d'un beau pommier il sortit de sa poche un petit casse-croûte qu'il s'était fait et se mit en passe de le manger tranquillement et de profiter avec délice de son isolement.
Mais c'est alors que des cris désespérés et lancinants se firent entendre. Préférant écouter son bon coeur plutôt que son estomac, le jeune homme remit son repas à plus tard et se dirigea vers la lisière de la forêt d'où provenaient les lamentations. Sur les bords d'un petit ru, il trouva un pauvre chat tellement abîmé qu'il faisait peur à voir. Le garçon fouilla ses poches à la recherche d'un mouchoir pour panser la pauvre bête mais ne trouva rien. Il déchira alors sa chemise et se mit en peine de nettoyer puis d'emmailloter la pauvre petite chose qui le regardait d'un air méchant.
« Et voilà, comme ça tu pourras survivre. » dit-il quand il eut soigné l'animal.
« Tu devrais faire attention, les chats ça griffe. »
A peine Dorothéa apparue par magie derrière lui eut-elle prononcé ces mots que l'animal se jeta au visage du valet, et le lacéra avant de s'enfuir vers la forêt.
Wilhelm tourna un visage ensanglanté et furieux vers la sorcière mais ne trouva pas le courage de dire que tout était de sa faute, alors, baissant la tête face à son manque de chance, il se remit sur pied.
« Eh, docteur, t'as oublié ça ! »
La sorcière lui tendit une moustache.
« Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ? »
« J'en sais rien, moi, c'est toi l'ami des animaux. » déclara la petite fille avant de partir.
Haussant les épaules, Wilhelm mit la moustache dans sa poche et repartit vers le puits où il pourrait peut-être nettoyer ses blessures avant de prendre son repas, enfin, si Ludwig n'était pas déjà à crier après lui...
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« Nous voilà dans le royaume du roi Sol. »
« Tout ce que je vois moi, c'est de la forêt. » dit Ludwig d'un ton lugubre.
« Si vous voulez il y a de la lecture mon prince. » proposa le valet qui craignait que l'humeur sombre de son maître ne le pousse à chercher quel genre de sévices il pourrait bien lui faire subir.
« J'ai pas envie. »
Réprimant l'envie de tancer avec une badine ce gamin de trois ans, Wilhelm persévéra.
« Pourtant vous n'avez pas encore ouvert votre magazine ˜Petites pépés, gros lolos˝ »
Ludwig se laissa amadouer et prit la revue. Soulagé Will regarda un moment son prince s'occuper l'esprit puis il se remit à s'angoisser. Au-dehors le soleil commençait à se coucher et l'immense forêt était emplie de bruits étranges. Il n'y avait pas âme qui vive et encore moins d'auberges accueillantes. Si ça continuait ils allaient devoir passer la nuit à la belle étoile...
Il pria très fort pour qu'ils trouvent un château où passer la nuit. Mais comme à son habitude le destin décida de se jouer du pauvre garçon et il fut obligé d'annoncer au prince qu'ils camperaient là pour la nuit.
Bien sûr les cris du prince ne se firent point attendre et la forêt s'emplit de ses jérémiades et autres crises de diva. Wilhelm monta la tente de sa gracieuse altesse, fit le lit, prépara le repas du soir, plia et rangea les vêtements de son suzerain, lui vernit les ongles des pieds, lui lut une histoire, se laissa vertement insulter et enfin, il reçut l'autorisation de se retirer de la bouche dédaigneuse de sa majesté des emmerdeurs. Et tout ceci sous les regards jaloux de Dorothéa et les yeux méprisants de Lisette.
Quand enfin le pauvre hère put s'occuper de son couchage il n'avait plus la force d'essayer de se monter un abri de fortune. Priant tous les cieux que le temps ne lui joue pas de mauvais tour sans quoi il se verrait obligé de quémander une place au pied du lit de son maître, Wilhelm installa son couchage au coin du feu, et, se glissant dedans ferma les yeux et s'endormit.
Puisque le destin semblait l'apprécier tant il ne passa pas la nuit dans les bras doux de Morphée, au contraire, il n'était pas couché depuis une demi-heure que des grattements, des grognements et des plaintes se firent entendre. Bien sûr personne d'autre ne semblait s'en incommoder. Son altesse dormait du sommeil tranquille des exploiteurs heureux, ces demoiselles ronflaient sous leur tente quant au cocher il maintenait toutes les bêtes sauvages à distance par les bruits de soufflet de ses poumons. Résigné, Wilhelm se leva et parti en quête de ce bruit qui lui volait son doux oubli.
Inconscient comme seuls pouvaient l'être les rêveurs ou les imbéciles, il s'aventura seul au sein de l'immense forêt. Les bruits de grognement se firent plus fort à chaque pas qu'il faisait et peu à peu la brume des rêves laissa place à la peur, sans doute ferait-il mieux de retourner vers la lumière lointaine du feu qu'il apercevait encore entre les arbres. Mais l'envie de dormir le tenaillait, il savait avec toute la force d'un instinct servile que la journée de demain serait au moins aussi chargée que celle d'aujourd'hui et il n'aurait pas assez de toutes ses forces pour satisfaire son prince, alors il continua son chemin, marchant sans courage mais avec une pointe de désespoir résigné vers les bruits effroyables qui arrivaient vers ses oreilles.
Quand il vit enfin de quoi il retournait son sang se gela dans sa poitrine. Un énorme loup, plus gros et plus noir que tous ceux qu'il avait pu voir se tenait là, immense et terrible, rugissant comme un dragon, l'une de ses pattes ensanglantée prise dans un piège. L'animal hirsute plongea ses yeux de charbon dans ceux du valet et le jeune homme manqua de s'évanouir de terreur. Les secondes s'écoulèrent et Wilhelm ne bougea pas, sûrement trop terrorisé pour même penser à s'enfuir. Puis, excédé par tous ces grognements, il s'avança et tout en tremblant il se mit à genoux, présentant son cou à l'animal furieux. Le monstre gronda, hérissant tous les poils sur le corps du valet mais ne fit rien de plus. Tremblotant comme une vieille, Wilhelm banda ses forces et écarta la gueule du piège. L'animal enleva sa patte et le jeune homme blessa sa main en laissant se refermer les crocs d'acier.
Le temps s'arrêta pour le pauvre valet qui prit conscience de l'énorme bête qui le regardait, à présent libre et sûrement furieuse et affamée. Peut-être que si je ne bouge pas... se dit-il.
« Tu devrais faire attention, les loups ça mord. »
Et à peine Dorothéa avait-elle dit ça que le loup se précipita sur le bras du jeune homme et laissa une marque sanglante avant de fuir vers les profondeurs inexplorées du bois.
Assailli par la douleur Wilhelm serra les dents, repoussant cette envie qu'il avait de dire à la jeune sorcière que tout était sa faute. Prenant sur lui et appelant à lui tout son courage, le brave serviteur se redressa et se mit en route vers sa bien aimée trousse de secours qui lui apporterait peut-être enfin l'apaisement.
« Eh, le libérateur, t'a oublié ça ! »
La sorcière lui tendit une touffe de poils noirs comme la nuit.
« Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ? »
« J'en sais rien, moi, c'est toi l'ami des animaux. » déclara l'enfant-femme avant de partir.
Haussant les épaules et grimaçant de douleur immédiatement après, Wilhelm mit la touffe dans sa poche et reprit douloureusement le chemin du campement.
xxx
Ils étaient enfin sortis de la forêt. Wilhelm laissa échapper un sourire fatigué en voyant la première habitation surgir à leur fenêtre. Le prince assis, enfin plutôt avachi en face de lui était en train de feuilleter sans grande conviction un magazine de filles dénudées en ponctuant généreusement de : petits seins, trop vieille, fausse blonde, vilain nez, et autres critiques qu'il pouvait faire à ces poupées de papier. Comme de bien entendu, il finit par lancer la revue à terre, un air d'ennui profond sur son visage. Ses yeux se posèrent sur Will et le coeur de ce dernier se mit à trembler comme une feuille, de peur et de joie mêlées.
Le prince sourit, faisant courir un torrent de feu et de gel dans les veines de son valet. Lentement, il rajusta sa pose, coinçant un coussin derrière sa tête et étalant ses longues jambes sur la banquette de velours.
« Dis-moi, Wilhelm, ça fait combien de temps qu'on se connaît ? »
« Dix ans, mon prince. »
Si Will était surpris par la question il n'en laissa rien paraître, répondant avec douceur.
« Et quelle est ma couleur préférée ? »
« Le noir parce que ça va avec tout et fait ressortir votre teint. » récita le serviteur avec le ton de quelqu'un qui l'a tant entendu qu'il pourrait le redire même muet.
« Bien. Mon sport préféré ? »
« Le sport en chambre. »
Will s'étonnait voilà bien des années que le prince ne lui avait pas fait d'interrogation surprise.
« Qu'est-ce que je déteste le plus ? »
« Les sangsues. »
Le prince le récompensa d'un sourire.
« Quel est mon plat préféré ? »
« Les bouchées à la reine. »
« Quel est mon instrument préféré ? »
« La guitare parce que c'est classe et ça fait tomber les filles. »
« Quel est ton type de femmes ? »
« Vous les aimez à forte poitrine et au caractère prononcé... »
Le prince haussa un sourcil, moqueur. Wilhelm prit le temps de repasser la question dans sa tête. Et s'empourpra aussi sec.
« Mon type de femme ? Mais mon prince... »
« Une réponse et vite sans quoi je considère que tu as perdu, et tu sais ce qui arrive à ceux qui se trompent lors des interrogations ? »
Wilhelm acquiesça, effrayé. Il n'avait pas envie d'être à nouveau obligé de faire le cheval pour son prince et de se faire encore cravacher.
« Je les aime douces et gentilles mon prince. »
« Vraiment ? »
Ludwig lui lança un regard narquois.
« Douces et gentilles ? Et leur corps ? »
« Fin et élancé. »
« Plates donc. » se moqua le prince.
« Non, monseigneur, c'est juste qu'il m'importe peu qu'elles aient une poitrine surdéveloppée. »
« Niveau social ? »
Wilhelm tentait de répondre du tac au tac.
« Il faudrait qu'elles soient de mon rang, je ne voudrais pas causer de problèmes à leur famille. »
« Cheveux ? »
« Roux ou auburn. »
« Âge ? »
« Le mien peu ou prou. »
« Yeux ? »
« Bleus ou verts. »
« Et pour ce qui est de leurs capacités ? »
« J'aimerais qu'elle sache faire la cuisine et peut-être qu'elle soit bonne ménagère... »
« Non, je parlais de leurs capacités au plumard, tu préfères qu'elle soient novices ou expertes en fella.... »
Wilhelm couina comme une pucelle, le visage empourpré. Le prince ravi attrapa alors ses deux joues et se mit à tirer dessus pour voir combien de temps il pourrait continuer à s'empourprer tout en étant ainsi malmené.
Heureusement pour le pauvre valet le carrosse s'arrêta bien peu après ; ils avaient trouvé une accueillante auberge où faire halte et déjeuner.
Comme à l'accoutumée, Ludwig fit courir son domestique par monts et par vaux exigeant de déjeuner dans le verger attenant et demandant que l'on prépare pour lui et sur le champ une tarte des plus beaux fruits que comptaient le jardin.
Quand le prince eut fini de manger et se fut retiré à l'ombre pour faire une sieste légère, le malheureux valet se retrouva seul à débarrasser la table. C'est alors que son oeil fut attiré par un mouvement entre les branches. Curieux comme un chat il s'approcha et vit une pauvre abeille prise dans la toile d'une araignée. Poussé par son bon coeur, il libéra l'insecte malchanceux qui se mit à voltiger et à vrombir.
« Tu devrais faire attention, les abeilles ça pique. »
A peine Dorothéa avait-elle prononcé ces mots que l'abeille piquait sur le col entrouvert du jeune homme et l'éperonnait avant de s'enfuir à tire-d'aile.
Avalant un cri de douleur, Wilhelm serra les poings et se retint de faire comprendre à la sorcière qu'une fois de plus c'était sa faute. Il retourna péniblement vers la vaisselle sale.
« Eh, le sauveur t'as oublié ça ! »
La sorcière lui tendit un minuscule dard.
« Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ? »
« J'en sais rien, moi, c'est toi l'ami des bestioles. » déclara l'enchanteresse avant de voler une part de tarte et de disparaître.
Incapable de comprendre ce qui pouvait bien passer dans la tête de cette lunatique Wilhelm mit le dard dans sa poche et se remit péniblement au travail.
xxx
Or il advint qu'il y avait en ces temps reculés un jeune prince qui n'avait pour seule fortune et pour seule compagnie que son cheval et son épée. Alors qu'il passait au petit jour à la lisière d'une forêt profonde, il entendit des pleurs désespérés. Son coeur bienveillant ne fit qu'un tour et il pénétra dans le bois à la recherche de la créature infortunée. Quelle ne fut sa surprise quand il vit un pauvre chat noir allongé sur le sable d'un ru, une vilaine blessure au ventre. Déjà les corbeaux perchés sur les arbres avoisinants discutaient du festin qu'ils allaient faire. Mais le prince chassa les noirs émissaires et avec douceur, déchirant sa seule chemise propre, il banda la pauvre bête tant et si bien qu'elle revint à la vie.
Une voix s'éleva alors de la gorge duveteuse et dit :
« Merci mon prince, votre bonté fait de moi votre serviteur et si vous voulez bien me hisser sur votre cheval, je vous servirai aussi longtemps que Dieu me gardera en vie. »
C'est ainsi que le prince se retrouva en compagnie d'un chat qui lui parlait et lui prodiguait mille conseils avisés. Voilà donc que Sieur Chat apprit à notre prince l'existence de dix princesses plus belles que les astres du ciel et l'enjoignit à rallier ce royaume pour aller demander leur main. Le prince qui était bonhomme suivit ces conseils et après avoir dépensé ses derniers sous pour se procurer des provisions se mit à traverser l'énorme forêt qui le séparait du royaume des dix princesses.
Au soir du deuxième jour, alors qu'il avait emprunté un chemin que son valet félin lui avait indiqué, le prince se trouva nez à nez avec un loup si énorme qu'il aurait pu avaler le soleil. Mais le prince ne perdit pas courage, il ne s'enfuit pas à toute jambes, ferme et souverain il contempla l'animal rageur qui grondait comme le tonnerre. C'est alors qu'il vit que l'une de ses pattes était retenue dans un piège. Tout autre prince aurait prit son fusil et l'aurait occis pour avoir la gloire de ramener sa tête en trophée. Mais notre prince se contenta de descendre de cheval, et, nullement intimidé par les bruits monstrueux, il ouvrit le piège à loup, blessant ses mains contre les crocs de fer. Avant de partir, le loup se tourna vers lui et lui dit :
« Merci prince, votre bonté fait de moi votre débiteur, or il ne saurait seoir au Roi des Loups de ne point honorer une dette. Prenez donc quelques poils de ma fourrure et, où que vous soyez, il vous suffira de les souffler au vent pour qu'aussitôt j'accoure. »
Et le loup disparut entre les arbres.
Sieur chat ne dit rien mais regarda la scène avec intérêt.
Enfin, après cinq jours sous la voûte de feuillage, le prince et sa suite réduite émergèrent de la forêt. De nombreux vergers longeaient la route et quand vinrent les heures les plus chaudes de la journée, le prince s'installa sous la ramure d'un pommier. C'est alors que son oreille fine perçut des pleurs si douces qu'il n'aurait pu les entendre s'il s'était déplacé ne serait-ce que d'un pouce. Levant les yeux il vit, attrapée dans la toile d'une araignée une pauvre abeille qui se lamentait. Cédant à sa naturelle pitié, le prince libéra l'insecte et se rassit pour manger ce qu'il restait de ses provisions. Quelle ne fut pas sa surprise quand il entendit alors une voix s'élever.
« Merci prince, votre bonté fait de moi votre débitrice... »
Le prince chercha des yeux qui pouvait bien lui parler et finit par distinguer posée sur son genoux l'abeille qu'il venait de libérer.
« Je saurais honorer cette dette que j'ai envers vous. Prenez donc mon dard et où que vous soyez, il vous suffira de le jeter au vent pour qu'aussitôt j'accoure. »
Ceci dit, la gracieuse princesse des vents s'envola.
Sieur chat ne dit rien mais regarda la scène avec intérêt.
Le lendemain, le prince et son maigre cortège arrivèrent au château où le roi les reçut avec les honneurs dus à un prince de son rang.
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Le lendemain ils arrivèrent enfin en vue du château du roi Sol. De petits losanges d'or sertis dans les murs du château faisaient briller cette meringue kitch sous le soleil matinal. Ludwig chaussa ses lunettes de soleil avant de déclarer :
« Nouveau riche. »
Mais ça ne l'empêcha pas de faire hâter le carrosse, il y avait dix poupées bien gaulées qui n'attendaient que lui.
Quelle ne fut pas la déception de ce pauvre prince lorsqu'il se trouva mis en présence non pas de dix donzelles mais d'un gros roi bedonnant qui l'informa que ses filles étaient présentement enfermées dans leurs appartements et qu'il ne pourrait les voir que s'il réussissait au moins la première épreuve.
« Parce que si je laissais tous les petits princes en visite regarder mes précieuses filles elles risqueraient de s'user au contact de leurs yeux avides. Et puis voir de si belles et nobles princesses ça se mérite. »
Wilhelm vit le visage de son maître se contracter de mécontentement, mais contrairement à ce qu'il craignait, le prince resta très courtois.
« Alors, quelle est le première épreuve que je puisse vite baiser la main de vos charmantes filles ? »
Le roi partit d'un grand rire tonitruant.
« Jeune blanc-bec, ce ne sera pas si facile que vous semblez le penser. Voyez-vous, mes poussins d'amour sont parties il y a quelques années se promener dans la forêt à l'est d'ici et elles ont malencontreusement toutes perdu leurs couronnes d'or fin qui sont maintenant entre les griffes d'un terrible sanglier qui ravage la contrée. La première épreuve consiste à me rapporter ces dix couronnes dorées. »
« Et bien considérez que ce sera fait et à demain, cher beau-père. » dit Ludwig en prenant congé, sa cape de plumes flottant avec panache derrière lui.
Wilhelm se précipita à sa suite et dès qu'ils furent sortis du palais demanda :
« Mais comment allez-vous faire mon prince ? »
« N'aie crainte j'ai un plan infaillible. »
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Wilhelm se demanda pourquoi tous les plans infaillibles de son prince semblaient toujours affreusement risqués, surtout pour sa pauvre carcasse.
« Monseigneur, vous êtes sûr que... »
« Bien sûr. » répondit Ludwig tranquillement camouflé dans un arbre haut. « Tu restes là avec ce morceau de viande grillée entre les mains et je suis sûr que le sanglier géant va accourir. »
« Mais monseigneur... »
« Ne t'inquiète pas, le petit chaperon rouge est là pour le tuer dès qu'il apparaîtra, un plan infaillible. Je suis vraiment le plus intelligent des princes que cette terre eût porté. »
Wilhelm ne se sentait pas rassuré pour autant, mais comme à son habitude, il fit taire sa raison pour obéir à son maître.
Lorsque la terre commença à trembler il crut à un séisme, puis il entendit ce tonnerre qui se rapprochait à chaque fois plus de lui et il vit surgir une bête si grande que son souffle suffisait à le pousser à terre. Le sanglier fonçait droit sur lui. Wilhelm eut l'impression que sa vie entière défilait devant ses yeux. Sans attendre un instant de plus il lança le cuisseau de chevreuil qu'il avait entre les mains et se mit à courir en hurlant de frayeur. Il entendit partir un coup de feu mais la terre sous ses pieds continuait de trembler et il sentait bien que le monstre lui courait toujours après. Il se précipita entre les arbres, espérant qu'ils bloqueraient le chemin au monstre, mais les craquements sinistres qu'il entendit lui firent perdre tout espoir. Détalant toujours comme un lapin, il revint dans la clairière dans l'espoir de donner à Lisette une nouvelle chance. Le coup de feu partit mais le monstre était toujours sur ses talons. Son coeur battait follement et il se demanda soudain s'il n'avait pas dans ses poches quelques pétards qui pouvaient l'effrayer ou le ralentir. Hélas il ne trouva rien d'utile et lorsque ses mains ressortirent de son veston ses manches accrochèrent une touffe de poils qui se mit à voler dans le vent. Paniqué à l'extrême, il ne fit pas attention au sol inégal et se prit les pieds dans une racine. Une pensée funeste lui passa par l'esprit, c'était donc la fin !
Renversé sur le sol, meurtri, tentant vainement de retrouver de l'ordre dans ses mouvements, il vit la bête foncer sur lui, prête à le déchirer puis à le piétiner.
C'est alors que du plus profond du bois jaillit un animal sombre comme la nuit. Le loup se jeta sur l'énorme sanglier et un combat terrible prit place entre les arbres. Se relevant avec difficultés, Wilhelm tenta tant bien que mal de s'éloigner de la zone sinistrée. Hélas pour lui, à peine faisait-il un pas que les animaux se jetaient en sa direction et s'il essayait de repartir de l'autre côté ils fonçaient alors en ce sens. Il ne pouvait non plus tenter de monter sur l'arbre contre lequel il était appuyé de peur que les bêtes ne le déracinent. Il était coincé.
Helas, le loup ne faisait pas le poids face au géant aux soies hirsutes. Beaucoup trop vite pour le malheureux valet sacrifié, la pauvre bête qui était venue à son secours fut lancée contre un tronc et resta à terre, visiblement vaincue. Le sanglier fondit sur l'humain.
Un grand tonnerre retentit et Wilhelm sentit soudain son corps couvert de sang chaud et de chairs molles. Le sanglier venait d'exploser, le couvrant d'une partie de ses restes. Les jambes du malheureux ne tinrent pas plus longtemps et il glissa à terre.
« Décidément j'ai bien fait d'emprunter le lance-roquette de ma mère. » dit Ludwig en se laissant gracieusement tomber de l'arbre où il était tranquillement caché.
Wilhelm ne pouvait toujours pas bouger, tétanisé par la peur et le regarda s'approcher des énormes défenses de la bête.
« Tiens, les couronnes étaient retenues dans l'ivoire avec des clous, comme c'est original ! »
Il se fit apporter un marteau par Dorothéa et retira les précieux diadèmes qu'il jeta entre les mains de son homme à tout faire.
« Tiens, je préfère que ce soit toi qui les garde plutôt que la fille vénale ou la maso. »
Passant les dix cercles d'or autour de son bras, Wilhelm tenta de se relever mais ses jambes ne le soutenaient toujours pas.
« Mon prince... »
Ludwig se retourna et lança un regard exaspéré à son subordonné.
« Quoi encore ? »
« Je crains que je ne puisse pas marcher. »
Le prince leva les yeux au ciel.
« Tu sais que tu vas être puni pour ton inutilité ? »
« Je m'excuse, si nous pouvions attendre, juste un tout petit peu. »
Mais le prince n'attendit pas, et, soufflant comme une forge, il hissa le corps dégoulinant de sang de son valet sur son épaule.
« Tu vas morfler pour avoir osé crader mes fringues. » le prévint-il en avançant avec difficulté vers la clairière où ils avaient laissé leurs chevaux.
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« Sire » dit le prince, « je viens demander la main de vos filles les princesses. »
« Alors » dit le roi, « il vous faudra réussir la première épreuve que voici. Aux frontières de mon royaume s'étend une immense forêt où se trouve un sanglier géant qui a il y a dix ans de cela volé à mes filles leurs royales couronnes, il vous faut donc récupérer ces couronnes. Mais attention aucun n'a jamais réussi. » l'avertit le roi.
« J'ai confiance en dieu et je réussirais. » dit le prince en prenant congé.
Mais dès qu'il fut sorti du château il dit :
« Mais comment ferais-je pour vaincre ce monstre ? »
« N'aie crainte » répondit son fidèle valet soyeux. « Partons dès à présent et je t'aiderai. »
Si le prince n'était pas rassuré il n'en laissa rien paraître et obéissant à son chat il se mit en route.
La forêt était tellement sombre que le soleil ne passait pas. A peine entrés ils entendirent des rugissements si forts qu'ils faisaient trembler la terre. Ils avancèrent, enjambant les arbres centenaires déracinés, évitant les énormes fossés qui zébraient la terre. Quand ils arrivèrent dans la clairière ils virent une forme si grande qu'elle les recouvrait entièrement de son ombre.
« Vite ! » lui dit le chat, « prend les poils du loup et souffle- les dans le vent. »
Le prince obéit et aussitôt il entendit derrière lui un bruit terrible et le loup apparut devant eux.
« Que puis-je faire pour toi, prince ? » demanda le roi des loups. »
« Tue ce sanglier et en échange je pardonnerai ta dette. »
« Considère alors que je ne te dois plus rien. » dit le roi de la forêt en se lançant sur le monstre de toute la force de ses crocs.
Le sanglier et le loup se battirent tout le jour et toute la nuit, renversant les arbres, piétinant les montagnes, fauchant les étoiles du ciel. Mais lorsque l'aube se leva le roi des loups avait remporté la victoire et après une dernière révérence il s'en alla retrouver les siens.
Le prince s'empara des dix couronnes d'or et revint au château du roi.
Quelle ne fut pas la surprise de ce dernier quand il vit les dix diadèmes princiers.
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Le roi n'en croyait pas ses yeux quand le prince Ludwig jeta à ses pieds les dix couronnes ensanglantées.
« Alors, » demanda-t-il, tout émoustillé « Puis-je voir les princesses ? »
Encore sous le choc, le roi Sol fit appeler ses princesses de filles et le prince sourit à la pensée des dix jouvencelles qui allaient paraître devant lui.
Propre, remis de ses émotions et tenant à peu près sur ses jambes, Wilhelm assistait à la scène à quelques pas derrière son maître.
Mais quelle ne fut pas la déconvenue de sa majesté des visual-goths, quand au lieu de voir paraître de charmantes damoiselles décolletées, il fut présenté à dix formes voilées de la tête au pied.
« Qu'est-ce là ? » demanda le fils de la reine Amalberga, de l'orage dans la voix.
« Et bien voilà mes roudoudous d'amour et vous n'obtiendrez le droit de les voir plus qu'après avoir passé la deuxième épreuve. »
Même de loin Wilhelm sentit que Ludwig était sur le point de mettre ses bagues en diamant et sa griffe dans la figure de l'auguste monarque, mais avec des trésors de patience qu'il n'avait jamais destinés à son serviteur, il se contint et dit :
« Alors quelle est-elle cette deuxième épreuve ? »
Le roi se rengorgea :
« C'est que voyez-vous prince Ludwig, il y a tout au nord de mon royaume une montagne si haute qu'elle touche les nuages et c'est au sommet de cette montagne que pousse une fleur merveilleuse qui rayonne de dix couleurs différentes, autant qu'elle a de pétales. Votre quête sera d'aller chercher pour mes dix merveilleux coeurs en sucre-d'orge cette fleur unique. Mais bien sûr elle est gardée par un grand oiseau mangeur d'homme dont aucun chevalier n'a jamais réussi à se défaire. »
« Et bien considérez que ce sera fait et à demain cher beau-père. » dit Ludwig en sortant, son valet sur les talons et sa cape flottant toujours avec autant de classe derrière lui.
Dès qu'ils furent sortis du palais Wilhelm demanda :
« Mais comment allez-vous faire mon prince ? »
« N'aie crainte j'ai un plan infaillible. »
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Il allait sans dire que ce plan était aussi mauvais et faillible que le précédent, mais comme toujours, Wilhelm fit taire son instinct de survie et se plia aux ordres de son suzerain.
« Allez Will, plus que quelques mètres à grimper et tu seras au sommet ! »
Le valet ne répondit pas aux encouragements de son maître de peur de lui hurler dessus, comment osait-il jouer les pom-pom girls emmitouflé dans toutes ses fourrures alors que lui se gelait les extrémités à escalader cette paroi gelée.
Mais, miracle ou résultat de l'incroyable ténacité du valet, il finit par conquérir la cime de la montagne et découvrit un spectacle qui lui arracha le souffle. Une fleur immense et majestueuse étalait sous le soleil de midi ses dix pétales colorés qui brillaient comme des miroirs. Le jeune homme ne vit pas trace du moindre oiseau mangeur d'hommes, et, bénissant sa chance aussi soudaine qu'inespérée, il s'empara de la fleur merveilleuse.
A peine l'eut-il arrachée qu'un cri perçant se fit entendre et une ombre immense obscurcit le soleil. Levant la tête, empli d'un pressentiment fatal, il vit le volatile le plus monstrueux et le plus laid du monde.
Il se mit à courir, mais un seul coup d'aile de l'animal lui envoya une rafale de vent telle qu'il se retrouva à terre, raclant sa joue contre les cailloux du haut plateau. Il entendit des coups de feu mais comme la veille ceux-ci n'eurent aucun effet sur l'énorme chimère qui s'apprêtait à le dévorer.
Se remettant sur pieds, Wilhelm, prit d'une inspiration aussi soudaine que géniale attendit que le géant des cieux se pose. Comme il l'avait prévu, ses immenses ailes traînaient sur le sol, l'empêchant sans aucun doute de se déplacer rapidement. Saisissant sa chance, le jeune homme se mit à courir. Quelle ne fut sa surprise et sa déception quand il vit que l'emplumé relevait intelligemment ses ailes et porté par ses pattes énormes venait directement à sa rencontre. Maudissant le sort et les dieux qui avaient donné à cet énergumène plus d'intelligence qu'à toutes les poules qui peuplaient la terre, Wilhelm tenta désespérément de trouver une autre solution qui le tirerait de cet horrible cauchemar.
Bien, puisqu'il était plus intelligent qu'un albatros peut-être avait-il néanmoins l'esprit cupide des pies. Sans doute pourrait-il détourner son attention s'il lançait un morceau de verre ou de miroir dans la direction opposée. Or n'avait-il point dans les poches la tête brisée de l'épingle de cravate du prince, celle en faux-diamants... Plongeant la main à la poche, il attrapa le cabochon brillant qu'il jeta de toutes ses forces dans le ciel. Hélas, il aurait pu balancer une armoire à glace que le monstre ne lui aurait pas prêté plus d'attention. Wilhelm se remit à courir en hurlant, son souffle se transformant en buée à peine sorti de sa bouche et il ne remarqua pas que de son bouton de manchette glissait lentement dans l'air une moustache de chat.
Il était perdu. Et cette fois pas de bazooka pour le sauver puisque son altesse n'avait pas pris de munition et n'avait trouvé aucun armurier dans ce pays arriéré. S'en était fini de Wilhelm, premier valet et loyal serviteur du prince Ludwig.
Il en était là dans ses lamentations, quand, surgissant de nul part, un chat sauta sur lui et vola la fleur merveilleuse que ses mains tenaient toujours. Aussitôt le busard géant changea de cible et se mit en tête de déchiqueter le félin.
Le valet se remit sur pied, prêt à prendre la fuite et à sauver sa bien aimée peau. Mais le chat était à présent acculé dans une petite cavité et les yeux rouges du monstre ailé le fixaient et son bec luisait sous le soleil. Le domestique se dit qu'il était grand temps de fuir, de prendre ses jambes à son cou, de filer à l'anglaise, bref d'abandonner le félidé à son triste sort.
Mais Wilhelm était aussi bête qu'il était bon esclave, et dans un de ces moments de grandiose impulsion héroïco-suicidaire, il se précipita, attrapant le chat et la fleur avant que le gardien aux plumeaux ne se décide à l'éventrer de son bec acéré.
Bien sûr il se retrouva de nouveau cible du monstre encore plus furieux, et, le destin faisant les choses à merveille pour amoindrir ses chances de survie, il était à présent à deux pas du gouffre, coincé sur une corniche. Derrière lui s'étalait un vide si profond que les nuages s'effilochaient à quelques mètres sous lui.
Les yeux rouges le fixaient avec délice, se réjouissant déjà de la bonne chair qu'ils allaient faire.
Mais la bête ne se précipita pas sur lui, elle s'écroula dans un bruit mat, une épée luisante plantée entre deux vertèbres.
Hébété, Wilhelm contempla son prince qui tentait tant bien que mal de récupérer son bien, ses bottes à talons compensés écrasant généreusement la chair et les plumes du gigantesque poulet.
Le chat dans ses bras tortilla jusqu'à s'extraire de son étreinte et lui griffa vilainement le visage avant de prendre la fuite. Sans prêter plus d'attention à son serviteur, Ludwig qui avait extrait son Excalibur à lui de la colonne vertébrale vint prendre la fleur tant convoitée.
« Made in Acmé. » lut-il sur le derrière d'un des pétales brillant comme du papier à bonbons.
Essuyant sa lame sur le manteau du jeune homme encore prostré à terre, il déclara.
« Un plan infaillible, je te l'avais bien dit. »
Wilhelm se contenta de lever de grands yeux dilatés par l'incompréhension vers son maître.
« Bon, il est temps qu'on redescende. Retire ton manteau, il est tout sale de sang et j'ai besoin que tu te mettes devant moi dans la luge, j'ai froid et je crois que tu pourras me servir d'airbag au cas où on cognerait contre quelque chose. »
Encore paralysé par les évènements et les doigts de la camarde qui s'étaient posés sur son coeur, le pauvre garçon se laissa mener jusqu'au traîneau où il fut installé entre les cuisses de son prince sous de douces et chaudes fourrures. Ce n'est que lorsque la luge fut poussée sur la pente qu'il se rendit compte qu'il aurait mieux valu pour lui descendre à moitié nu, épuisé mais à pied. Ses cris stridents se firent entendre tout le long de la descente pendant que le prince profitait lui de la douce ivresse de la vitesse.
Vers la partie 2
Auteur : Azmé (Participant 18)
Pour : Qwertz (Participant 32)
Fandom : Ludwig Revolution
Couple : Ludwig x Wilhelm
Rating : PG-13
Disclaimer : Je ne possède aucun droit sur ces personnages qui furent crées par Kaori Yuki. Cependant, j’ai la joie de clamer que le conte des dix princesses est autant mien que puisse l’être quelque chose d’aussi influencé et référencé qu’un conte.
Prompt : Lorsque Lisette découvre que Wilhelm ne l'aimera jamais parce qu'il préfère les hommes et surtout son prince, elle décide de dégoûter Ludwig des femmes pour que celui-ci s'intéresse à Wilhelm, comme ça le valet sera heureux.
Quelques pistes facultatives en bonus : Dorothéa peut donner un coup de main à Lisette (et pourquoi pas finir avec ?). Le fait qu'Amalberga n'aie rien contre les gays peut être un argument utile. Une apparition de Julius pourrait entraîner quelques scènes désopilantes.
Notes : Je me rends compte en relisant le prompt que je me suis un peu éloignée de la lettre mais je pense en respecter l’esprit, en tout ça voilà un univers qu’il m’a plu d’effleurer et dans lequel je replongerai peut-être.
Note de la modératrice : la fic est très longue, j'ai dû la couper en deux parties.
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Il était une fois un roi à qui le ciel dans sa clémence avait donné dix filles toutes si belles que lorsqu'elles étaient réunies elles éclipsaient les astres célestes. Le roi aimait tellement ses filles qu'il leur passait chacun de leurs désirs, jamais on ne vit filles avoir telle emprise sur leur père. Telle était l'affection que le roi leur portait que lorsque vint l'heure de les marier il prit conseil auprès de ses enfants.
« Ah mais père, dirent-elles, où trouverons-nous un prince digne de nous. Assurément nous ne saurions nous contenter d'un simple roitelet ou même d'un empereur. Seul un homme courageux et brave et noble et avisé et aussi beau que nous pourrait prétendre à notre main. »
« Mes filles comme vous avez raison, reconnut le roi. Je vous laisse donc le soin de choisir vos prétendants. »
Mais les dix princesses ne l'entendaient pas de cet avis. Fières de leurs qualités, elles décidèrent de mettre à l'épreuve ceux qui viendraient demander leur main.
« Mais en échange, nous promettons à celui qui passera toutes les épreuves qu'il n'épousera pas une mais les dix princesses de ce château. »
Le roi, fit alors envoyer une lettre à son frère le Pape qui pour ses nièces bien aimées se hâta d'envoyer une bulle permettant un tel mariage.
Il vint des princes de toutes les contrées même les plus barbares. L'idée d'avoir non pas une mais dix épouses belles comme le jour ne cessait de faire rêver ces nobles seigneurs. Il en vint tous les jours pendant un an. Mais aucun ne réussit ces épreuves et très vite la rumeur se répandit que la main des dix princesses était impossible à obtenir.
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« Mais Lisette, je te jure que... »
Le petit chaperon rouge ne lui prêta pas attention, continuant avec rage et fureur de se rhabiller.
« Tu pourrais au moins me détacher. » geignit le malheureux homme.
« Quand on est impuissant on la ferme ! » hurla la tueuse en prenant son fusil.
« Mais, enfin, tu ne pouvais pas espérer qu'en m'attachant à un lit j'allais avoir envie de... enfin tu sais... et puis je ne suis pas pour la violence... et si tu posais ce fusil, Lisette ? » bégaya le pauvre prisonnier, ses mains toujours accrochées aux montants de la couche, un drap magnanime seul rempart de sa modestie.
Folle de rage, l'assassin leva son fusil et montra les crocs.
« Non seulement tu me fuis mais en plus tu n'es pas capable de... »
Elle ne termina pas sa phrase, l'un des murs de la chambre venait de s'écrouler et au-delà des décombres apparaissaient deux silhouettes qu'elle connaissait bien.
« Wilhelm, crétin ! Combien de fois faudra-t-il te fouetter pour que tu cesses enfin de te faire enlever ! »
« Mon prince ! » s'écria le jeune homme plein d'espoir.
Le prince Ludwig s'engouffra dans la chambre comme un cyclone arrivant près d'une ville balnéaire : plein d'une rage dévastatrice.
« J'ai été obligé de demander de l'aide à Dorothéa, alors je te préviens que tu vas morfler ce soir ! » expliqua-t-il en s'avançant vers le lit.
Mais il s'arrêta soudain, encore plus furieux.
« D'ailleurs c'est quoi cette tenue ? Ne me dis pas que tu as disparu alors que tu devais m'habiller juste parce que tu avais envie de jouer à pan pan culcul avec le petit chaperon rouge ! »
Wilhelm nia avec force et beaucoup de conviction.
« Je vous jure mon prince que ce n'est pas du tout ça ! »
« Mouais... » répondit son altesse visiblement peu convaincu.
Mais dans sa grande bonté d'âme et sa presse de se faire habiller, il se pencha pour dénouer les liens qui retenaient son valet au lit.
Seul l'oeil aiguisé du tireur d'élite put voir alors ce que tous les autres manquèrent : sous l'innocent drap blanc qui jusque là avait protégé la pudeur du valet, une bosse révélatrice commençait à apparaître. Le sang ne fit qu'un tour dans les veines de Lisette.
« Je vais le tuer ! » hurla-t-elle en se précipitant, crosse à la main sur les deux hommes.
Mais elle fut arrêtée par une horde de chauve-souris qui se jetèrent sur elle.
« C'est pas trop tôt, Dorothéa ! » se plaignit le prince qui avait fini de délier son presque esclave et essuyait ses bottes avec le drap dans lequel Wilhelm essayait de se cacher tout en attrapant les lambeaux de ce qui avait été ses vêtements.
« Oh, mon prince, je suis en retard, punissez-moi ! » dit avec extase la jeune sorcière en se jetant à ses pieds.
Mais Ludwig l'ignora ce qui eut pour effet de la faire se liquéfier encore plus de plaisir. Le prince, ses bottes enfin propres se dirigea vers la porte.
« Wilhelm grouille, j'ai rendez-vous avec la fille de l'aubergiste et je ne sais pas où tu as mis mon manteau rouge à plumes noires. »
Le valet encore à moitié nu mais ayant réussi à couvrir cette partie-là s'extirpa du lit et se précipita à la suite de son maître.
Quant au petit chaperon rouge, elle resta là, seule, contemplant les décombres de sa vie amoureuse.
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Le faisan noyé n'était pas un bar des plus fréquentable, surtout pour une jeune fille. Mais Lisette n'était pas n'importe quelle jeune fille et son fidèle fusil la gardait de toute proposition malhonnête que les truands qui peuplaient l'endroit auraient pu vouloir lui faire. Ce n'était pas un endroit convenable, mais c'était tant mieux, elle pourrait y saouler sa douleur et peut-être endormir l'affreuse tristesse qui rongeait son âme. Pleine de ces bonnes intentions, elle leva sa chope.
« Un autre verre et que ça saute. »
Le patron, un homme rude aux allures d'ours qui serait passé sous un train, se hâta de lui obéir, peu désireux de se retrouver face au fusil d'une fille ayant plus de trois kilogrammes d'alcool dans le sang.
Lorsque le siège à côté du sien fut occupé, Lisette ne s'en préoccupa pas, tant que l'imbécile qui avait assez de noix dans le pantalon ou d'imbécillité dans la cervelle n'essayait pas d'entamer la conversation, il pouvait bien s'asseoir où il voulait qu'elle s'en fichait royalement. Mais bien sûr, le nouvel arrivant n'avait pas choisi ce siège par hasard.
« Si tu continues à boire de l'alcool tu vas prendre du bide, tu sais. » déclara Dorothéa en retirant son capuchon. « Patron, ce sera un verre de lait pour moi, il faut que je grandisse vite. ».
Lisette ne tourna même pas la tête, peut-être que si elle l'ignorait la sorcière la laisserait en paix.
Mais bien sûr c'était prêter au destin des intentions bien trop douces.
« Et donc, tu déprimes parce que ? »
Drapée dans sa dignité et les vapeurs de l'alcool, elle ne répondit rien.
« Laisse-moi deviner : Wilhelm t'a encore mis un râteau, c'est ça ? Je croyais que c'était moi la maso de cette histoire. »
Dorothéa secoua la tête, effarée devant la passivité de sa compagne de boisson.
« C'est pas parce que tu as échoué une fois qu'il faut te laisser aller, il ne te reste plus qu'à recommencer. Comment crois-tu que je fais, moi ? Je n’attends pas qu'il vienne à moi, je m'allonge sur son chemin pour qu'il me piétine et je ne m'avoue jamais vaincue, je reviens me jeter à ses pieds, me rouler dans la boue de ses bottes encore et encore et... »
La sorcière serrait ses bras avec passion, son corps se remplissait d'extase quand elle repensait au bonheur d'être écrasée, dédaignée, malmenée par son prince bien aimé.
« Ça ne marchera pas. » laissa tomber Lisette en reposant avec dépit son verre.
« Quoi ? Découragée pour si peu ? » se moqua la sorcière.
« Je ne suis pas découragée. » s'écria-t-elle.
La sorcière commençait sérieusement à lui échauffer le fusil.
« Ben alors c'est quoi, pauvre petit chaperon perdu ? » demanda la magicienne avec une voix et une moue de petite fille.
« C'est juste que Wilhelm ne bande pas quand il est avec moi! »
Les mots lui avaient échappé.
« Oh, ce n'est que ça ! »
La sorcière lui mit une tape amicale dans le dos et avec son air de vieille commère elle se pencha et lui dit :
« Tu sais, j'ai quelques potions qui peuvent faire des miracles... »
« Par contre, il suffit que le prince l'effleure de ses cheveux pour qu'aussitôt il se mette au garde-à-vous. »
Lisette jouit quelques instants d'un silence délicieux, mais hélas comme toutes les bonnes choses il fut trop court.
« Et tu es sûre que tu n'es pas masochiste ? Non, parce qu'on pourrait fonder un club. » lui proposa l'enchanteresse, le plus calmement du monde.
L'assassin l'ignora, noyant son chagrin et sa rage dans l'eau de vie.
« M'enfin, tu sais, ya plein d'autres poissons dans l'océan, et je suis sûre que tu te trouveras un petit M rien qu'à toi qui remplacera ton Wilhelm. »
Elle leva la tête. Est-ce que la maso-goth était en train de la consoler ?
« J'ai pas besoin de ta pitié ! » s'écria-t-elle totalement dégoûtée par l'expression douce et presque innocente qu'on lisait sur le visage de l'autre.
« Ben en tout cas t'as besoin de quelque chose, » répondit la gamine en reprenant une contenance normale. « sinon tu ne serais pas là. »
Elle baissa la tête dans son verre, la chieuse n'avait pas tort.
« Il est tellement gentil... » soupira-t-elle en laissant tomber sa tête sur son bras qui s'allongeait, dépité, sur le comptoir. « Comment est-ce que je pourrais le laisser avec l'autre enfoiré... »
« Oh, c'est donc ça ! »
Dorothéa sourit de toutes ses dents.
« Et si on réussissait à le rendre heureux, ça te remonterait le moral ? »
Lisette la regarda intriguée.
« Et tu proposes quoi ? Lui donner une lampe magique ? Droguer Ludwig pour qu'il soit gentil et obéissant ? »
« Oh, non, rien d'aussi compliqué, juste lui permettre de se marier et de vivre heureux jusqu'à la fin des temps. »
Elle laissa échapper un rire rauque et strident.
« Bonne chance pour y arriver avec cet impuissant. »
« Oh, mais si c'était avec le prince ce ne serait pas bien difficile. » siffla la sorcière.
La jeune fille releva la tête, surprise.
« Avec le prince ? »
« Oui, après tout, ce serait ça pour lui, le vrai bonheur, être lié à lui pour l’éternité et les siècles des siècles, que son maître chéri ne puisse jamais le renvoyer... »
« Mais… mais... et toi, qu'est-ce que tu aurais à y gagner ? »
Elle fixait sans comprendre le sourire amusé de la magicienne.
« Moi ? Mais enfin, tu n'y penses pas ! Le prince épousant son valet, mon prince me rejetant, moi, belle, nubile, consentante, mouillée et offerte, tout ça pour finir avec son valet, le voir sous mes yeux me tromper non pas avec une femme, mais avec un homme, avec un autre masochiste que moi... Oh... je jouis rien qu'à cette idée. »
Et en effet, le corps de la toute jeune fille était assaillit par mille tremblements et ses joues rougissaient et ses yeux s'emplissaient de langueur.
« Assez ! » protesta le chaperon rouge dégoûtée, et d'un coup de ses New Rock elle envoya l'autre rouler à terre.
« Oh, oui, encore, je t'en prie, j'y suis presque ! » fut le râle qui s'exhala du plancher.
Un frisson de pure horreur secoua les épaules de Lisette qui lui envoya quelques autres coups mais ne réussit pas à la faire taire, bien au contraire.
Lorsque Dorothéa eut récupéré de sa petite mort, elle se hissa à nouveau sur le tabouret et commanda un autre verre de lait.
« Alors, est-ce que tu veux que ton Wilhelm soit heureux ? »
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« C'est encore loin ? » demanda le prince Ludwig en geignant comme un enfant de trois ans.
Wilhelm soupira et répéta pour la dixième fois en à peine un quart d'heure.
« Non, mon prince, nous approchons du royaume du roi Sol. »
« Il a un nom stupide. » déclara le prince sur un ton sans appel.
« Oui mais il a dix filles superbes à marier à un seul homme. » rappela Dorothéa.
Ludwig prit son pistolet et tira sur la tête de petite fille qui était apparue à la fenêtre.
Les cris de délice de Dorothéa se répercutèrent depuis le toit du carrosse. Wilhelm soupira longuement. Ce cirque ne finirait-il donc jamais.
« J'ai faim ! » décréta Ludwig. « Je veux manger ! »
« Nous avons des provisions de l'auberge mon prince... »
« Non, je veux manger chaud. » décréta son altesse royale.
Et Wilhelm n'eut d'autre choix que d'ouvrir la trappe et dire au cocher de s'arrêter dans la prochaine auberge qu'il trouverait.
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Bien sûr l'auberge était minable. Bien sûr la nourriture était affreuse, bien sûr les servantes étaient vieilles et laides et bien sûr le prince passait son temps à se plaindre et à aboyer sur tout le monde, forçant Wilhelm à courir en tous sens pour satisfaire le moindre de ses caprices de star. Quand enfin le prince fut mis à table avec un repas presque entièrement préparé par son premier valet sous prétexte qu'il n'avait pas confiance en un cuisinier aux cheveux gras, le pauvre serviteur se retira enfin pour aller se désaltérer au puits qui se trouvait derrière l'auberge au milieu d'un petit potager.
S'aspergeant le visage d'eau fraîche, le jeune homme se sentit enfin revivre. Allant se mettre à l'ombre d'un beau pommier il sortit de sa poche un petit casse-croûte qu'il s'était fait et se mit en passe de le manger tranquillement et de profiter avec délice de son isolement.
Mais c'est alors que des cris désespérés et lancinants se firent entendre. Préférant écouter son bon coeur plutôt que son estomac, le jeune homme remit son repas à plus tard et se dirigea vers la lisière de la forêt d'où provenaient les lamentations. Sur les bords d'un petit ru, il trouva un pauvre chat tellement abîmé qu'il faisait peur à voir. Le garçon fouilla ses poches à la recherche d'un mouchoir pour panser la pauvre bête mais ne trouva rien. Il déchira alors sa chemise et se mit en peine de nettoyer puis d'emmailloter la pauvre petite chose qui le regardait d'un air méchant.
« Et voilà, comme ça tu pourras survivre. » dit-il quand il eut soigné l'animal.
« Tu devrais faire attention, les chats ça griffe. »
A peine Dorothéa apparue par magie derrière lui eut-elle prononcé ces mots que l'animal se jeta au visage du valet, et le lacéra avant de s'enfuir vers la forêt.
Wilhelm tourna un visage ensanglanté et furieux vers la sorcière mais ne trouva pas le courage de dire que tout était de sa faute, alors, baissant la tête face à son manque de chance, il se remit sur pied.
« Eh, docteur, t'as oublié ça ! »
La sorcière lui tendit une moustache.
« Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ? »
« J'en sais rien, moi, c'est toi l'ami des animaux. » déclara la petite fille avant de partir.
Haussant les épaules, Wilhelm mit la moustache dans sa poche et repartit vers le puits où il pourrait peut-être nettoyer ses blessures avant de prendre son repas, enfin, si Ludwig n'était pas déjà à crier après lui...
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« Nous voilà dans le royaume du roi Sol. »
« Tout ce que je vois moi, c'est de la forêt. » dit Ludwig d'un ton lugubre.
« Si vous voulez il y a de la lecture mon prince. » proposa le valet qui craignait que l'humeur sombre de son maître ne le pousse à chercher quel genre de sévices il pourrait bien lui faire subir.
« J'ai pas envie. »
Réprimant l'envie de tancer avec une badine ce gamin de trois ans, Wilhelm persévéra.
« Pourtant vous n'avez pas encore ouvert votre magazine ˜Petites pépés, gros lolos˝ »
Ludwig se laissa amadouer et prit la revue. Soulagé Will regarda un moment son prince s'occuper l'esprit puis il se remit à s'angoisser. Au-dehors le soleil commençait à se coucher et l'immense forêt était emplie de bruits étranges. Il n'y avait pas âme qui vive et encore moins d'auberges accueillantes. Si ça continuait ils allaient devoir passer la nuit à la belle étoile...
Il pria très fort pour qu'ils trouvent un château où passer la nuit. Mais comme à son habitude le destin décida de se jouer du pauvre garçon et il fut obligé d'annoncer au prince qu'ils camperaient là pour la nuit.
Bien sûr les cris du prince ne se firent point attendre et la forêt s'emplit de ses jérémiades et autres crises de diva. Wilhelm monta la tente de sa gracieuse altesse, fit le lit, prépara le repas du soir, plia et rangea les vêtements de son suzerain, lui vernit les ongles des pieds, lui lut une histoire, se laissa vertement insulter et enfin, il reçut l'autorisation de se retirer de la bouche dédaigneuse de sa majesté des emmerdeurs. Et tout ceci sous les regards jaloux de Dorothéa et les yeux méprisants de Lisette.
Quand enfin le pauvre hère put s'occuper de son couchage il n'avait plus la force d'essayer de se monter un abri de fortune. Priant tous les cieux que le temps ne lui joue pas de mauvais tour sans quoi il se verrait obligé de quémander une place au pied du lit de son maître, Wilhelm installa son couchage au coin du feu, et, se glissant dedans ferma les yeux et s'endormit.
Puisque le destin semblait l'apprécier tant il ne passa pas la nuit dans les bras doux de Morphée, au contraire, il n'était pas couché depuis une demi-heure que des grattements, des grognements et des plaintes se firent entendre. Bien sûr personne d'autre ne semblait s'en incommoder. Son altesse dormait du sommeil tranquille des exploiteurs heureux, ces demoiselles ronflaient sous leur tente quant au cocher il maintenait toutes les bêtes sauvages à distance par les bruits de soufflet de ses poumons. Résigné, Wilhelm se leva et parti en quête de ce bruit qui lui volait son doux oubli.
Inconscient comme seuls pouvaient l'être les rêveurs ou les imbéciles, il s'aventura seul au sein de l'immense forêt. Les bruits de grognement se firent plus fort à chaque pas qu'il faisait et peu à peu la brume des rêves laissa place à la peur, sans doute ferait-il mieux de retourner vers la lumière lointaine du feu qu'il apercevait encore entre les arbres. Mais l'envie de dormir le tenaillait, il savait avec toute la force d'un instinct servile que la journée de demain serait au moins aussi chargée que celle d'aujourd'hui et il n'aurait pas assez de toutes ses forces pour satisfaire son prince, alors il continua son chemin, marchant sans courage mais avec une pointe de désespoir résigné vers les bruits effroyables qui arrivaient vers ses oreilles.
Quand il vit enfin de quoi il retournait son sang se gela dans sa poitrine. Un énorme loup, plus gros et plus noir que tous ceux qu'il avait pu voir se tenait là, immense et terrible, rugissant comme un dragon, l'une de ses pattes ensanglantée prise dans un piège. L'animal hirsute plongea ses yeux de charbon dans ceux du valet et le jeune homme manqua de s'évanouir de terreur. Les secondes s'écoulèrent et Wilhelm ne bougea pas, sûrement trop terrorisé pour même penser à s'enfuir. Puis, excédé par tous ces grognements, il s'avança et tout en tremblant il se mit à genoux, présentant son cou à l'animal furieux. Le monstre gronda, hérissant tous les poils sur le corps du valet mais ne fit rien de plus. Tremblotant comme une vieille, Wilhelm banda ses forces et écarta la gueule du piège. L'animal enleva sa patte et le jeune homme blessa sa main en laissant se refermer les crocs d'acier.
Le temps s'arrêta pour le pauvre valet qui prit conscience de l'énorme bête qui le regardait, à présent libre et sûrement furieuse et affamée. Peut-être que si je ne bouge pas... se dit-il.
« Tu devrais faire attention, les loups ça mord. »
Et à peine Dorothéa avait-elle dit ça que le loup se précipita sur le bras du jeune homme et laissa une marque sanglante avant de fuir vers les profondeurs inexplorées du bois.
Assailli par la douleur Wilhelm serra les dents, repoussant cette envie qu'il avait de dire à la jeune sorcière que tout était sa faute. Prenant sur lui et appelant à lui tout son courage, le brave serviteur se redressa et se mit en route vers sa bien aimée trousse de secours qui lui apporterait peut-être enfin l'apaisement.
« Eh, le libérateur, t'a oublié ça ! »
La sorcière lui tendit une touffe de poils noirs comme la nuit.
« Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ? »
« J'en sais rien, moi, c'est toi l'ami des animaux. » déclara l'enfant-femme avant de partir.
Haussant les épaules et grimaçant de douleur immédiatement après, Wilhelm mit la touffe dans sa poche et reprit douloureusement le chemin du campement.
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Ils étaient enfin sortis de la forêt. Wilhelm laissa échapper un sourire fatigué en voyant la première habitation surgir à leur fenêtre. Le prince assis, enfin plutôt avachi en face de lui était en train de feuilleter sans grande conviction un magazine de filles dénudées en ponctuant généreusement de : petits seins, trop vieille, fausse blonde, vilain nez, et autres critiques qu'il pouvait faire à ces poupées de papier. Comme de bien entendu, il finit par lancer la revue à terre, un air d'ennui profond sur son visage. Ses yeux se posèrent sur Will et le coeur de ce dernier se mit à trembler comme une feuille, de peur et de joie mêlées.
Le prince sourit, faisant courir un torrent de feu et de gel dans les veines de son valet. Lentement, il rajusta sa pose, coinçant un coussin derrière sa tête et étalant ses longues jambes sur la banquette de velours.
« Dis-moi, Wilhelm, ça fait combien de temps qu'on se connaît ? »
« Dix ans, mon prince. »
Si Will était surpris par la question il n'en laissa rien paraître, répondant avec douceur.
« Et quelle est ma couleur préférée ? »
« Le noir parce que ça va avec tout et fait ressortir votre teint. » récita le serviteur avec le ton de quelqu'un qui l'a tant entendu qu'il pourrait le redire même muet.
« Bien. Mon sport préféré ? »
« Le sport en chambre. »
Will s'étonnait voilà bien des années que le prince ne lui avait pas fait d'interrogation surprise.
« Qu'est-ce que je déteste le plus ? »
« Les sangsues. »
Le prince le récompensa d'un sourire.
« Quel est mon plat préféré ? »
« Les bouchées à la reine. »
« Quel est mon instrument préféré ? »
« La guitare parce que c'est classe et ça fait tomber les filles. »
« Quel est ton type de femmes ? »
« Vous les aimez à forte poitrine et au caractère prononcé... »
Le prince haussa un sourcil, moqueur. Wilhelm prit le temps de repasser la question dans sa tête. Et s'empourpra aussi sec.
« Mon type de femme ? Mais mon prince... »
« Une réponse et vite sans quoi je considère que tu as perdu, et tu sais ce qui arrive à ceux qui se trompent lors des interrogations ? »
Wilhelm acquiesça, effrayé. Il n'avait pas envie d'être à nouveau obligé de faire le cheval pour son prince et de se faire encore cravacher.
« Je les aime douces et gentilles mon prince. »
« Vraiment ? »
Ludwig lui lança un regard narquois.
« Douces et gentilles ? Et leur corps ? »
« Fin et élancé. »
« Plates donc. » se moqua le prince.
« Non, monseigneur, c'est juste qu'il m'importe peu qu'elles aient une poitrine surdéveloppée. »
« Niveau social ? »
Wilhelm tentait de répondre du tac au tac.
« Il faudrait qu'elles soient de mon rang, je ne voudrais pas causer de problèmes à leur famille. »
« Cheveux ? »
« Roux ou auburn. »
« Âge ? »
« Le mien peu ou prou. »
« Yeux ? »
« Bleus ou verts. »
« Et pour ce qui est de leurs capacités ? »
« J'aimerais qu'elle sache faire la cuisine et peut-être qu'elle soit bonne ménagère... »
« Non, je parlais de leurs capacités au plumard, tu préfères qu'elle soient novices ou expertes en fella.... »
Wilhelm couina comme une pucelle, le visage empourpré. Le prince ravi attrapa alors ses deux joues et se mit à tirer dessus pour voir combien de temps il pourrait continuer à s'empourprer tout en étant ainsi malmené.
Heureusement pour le pauvre valet le carrosse s'arrêta bien peu après ; ils avaient trouvé une accueillante auberge où faire halte et déjeuner.
Comme à l'accoutumée, Ludwig fit courir son domestique par monts et par vaux exigeant de déjeuner dans le verger attenant et demandant que l'on prépare pour lui et sur le champ une tarte des plus beaux fruits que comptaient le jardin.
Quand le prince eut fini de manger et se fut retiré à l'ombre pour faire une sieste légère, le malheureux valet se retrouva seul à débarrasser la table. C'est alors que son oeil fut attiré par un mouvement entre les branches. Curieux comme un chat il s'approcha et vit une pauvre abeille prise dans la toile d'une araignée. Poussé par son bon coeur, il libéra l'insecte malchanceux qui se mit à voltiger et à vrombir.
« Tu devrais faire attention, les abeilles ça pique. »
A peine Dorothéa avait-elle prononcé ces mots que l'abeille piquait sur le col entrouvert du jeune homme et l'éperonnait avant de s'enfuir à tire-d'aile.
Avalant un cri de douleur, Wilhelm serra les poings et se retint de faire comprendre à la sorcière qu'une fois de plus c'était sa faute. Il retourna péniblement vers la vaisselle sale.
« Eh, le sauveur t'as oublié ça ! »
La sorcière lui tendit un minuscule dard.
« Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ? »
« J'en sais rien, moi, c'est toi l'ami des bestioles. » déclara l'enchanteresse avant de voler une part de tarte et de disparaître.
Incapable de comprendre ce qui pouvait bien passer dans la tête de cette lunatique Wilhelm mit le dard dans sa poche et se remit péniblement au travail.
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Or il advint qu'il y avait en ces temps reculés un jeune prince qui n'avait pour seule fortune et pour seule compagnie que son cheval et son épée. Alors qu'il passait au petit jour à la lisière d'une forêt profonde, il entendit des pleurs désespérés. Son coeur bienveillant ne fit qu'un tour et il pénétra dans le bois à la recherche de la créature infortunée. Quelle ne fut sa surprise quand il vit un pauvre chat noir allongé sur le sable d'un ru, une vilaine blessure au ventre. Déjà les corbeaux perchés sur les arbres avoisinants discutaient du festin qu'ils allaient faire. Mais le prince chassa les noirs émissaires et avec douceur, déchirant sa seule chemise propre, il banda la pauvre bête tant et si bien qu'elle revint à la vie.
Une voix s'éleva alors de la gorge duveteuse et dit :
« Merci mon prince, votre bonté fait de moi votre serviteur et si vous voulez bien me hisser sur votre cheval, je vous servirai aussi longtemps que Dieu me gardera en vie. »
C'est ainsi que le prince se retrouva en compagnie d'un chat qui lui parlait et lui prodiguait mille conseils avisés. Voilà donc que Sieur Chat apprit à notre prince l'existence de dix princesses plus belles que les astres du ciel et l'enjoignit à rallier ce royaume pour aller demander leur main. Le prince qui était bonhomme suivit ces conseils et après avoir dépensé ses derniers sous pour se procurer des provisions se mit à traverser l'énorme forêt qui le séparait du royaume des dix princesses.
Au soir du deuxième jour, alors qu'il avait emprunté un chemin que son valet félin lui avait indiqué, le prince se trouva nez à nez avec un loup si énorme qu'il aurait pu avaler le soleil. Mais le prince ne perdit pas courage, il ne s'enfuit pas à toute jambes, ferme et souverain il contempla l'animal rageur qui grondait comme le tonnerre. C'est alors qu'il vit que l'une de ses pattes était retenue dans un piège. Tout autre prince aurait prit son fusil et l'aurait occis pour avoir la gloire de ramener sa tête en trophée. Mais notre prince se contenta de descendre de cheval, et, nullement intimidé par les bruits monstrueux, il ouvrit le piège à loup, blessant ses mains contre les crocs de fer. Avant de partir, le loup se tourna vers lui et lui dit :
« Merci prince, votre bonté fait de moi votre débiteur, or il ne saurait seoir au Roi des Loups de ne point honorer une dette. Prenez donc quelques poils de ma fourrure et, où que vous soyez, il vous suffira de les souffler au vent pour qu'aussitôt j'accoure. »
Et le loup disparut entre les arbres.
Sieur chat ne dit rien mais regarda la scène avec intérêt.
Enfin, après cinq jours sous la voûte de feuillage, le prince et sa suite réduite émergèrent de la forêt. De nombreux vergers longeaient la route et quand vinrent les heures les plus chaudes de la journée, le prince s'installa sous la ramure d'un pommier. C'est alors que son oreille fine perçut des pleurs si douces qu'il n'aurait pu les entendre s'il s'était déplacé ne serait-ce que d'un pouce. Levant les yeux il vit, attrapée dans la toile d'une araignée une pauvre abeille qui se lamentait. Cédant à sa naturelle pitié, le prince libéra l'insecte et se rassit pour manger ce qu'il restait de ses provisions. Quelle ne fut pas sa surprise quand il entendit alors une voix s'élever.
« Merci prince, votre bonté fait de moi votre débitrice... »
Le prince chercha des yeux qui pouvait bien lui parler et finit par distinguer posée sur son genoux l'abeille qu'il venait de libérer.
« Je saurais honorer cette dette que j'ai envers vous. Prenez donc mon dard et où que vous soyez, il vous suffira de le jeter au vent pour qu'aussitôt j'accoure. »
Ceci dit, la gracieuse princesse des vents s'envola.
Sieur chat ne dit rien mais regarda la scène avec intérêt.
Le lendemain, le prince et son maigre cortège arrivèrent au château où le roi les reçut avec les honneurs dus à un prince de son rang.
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Le lendemain ils arrivèrent enfin en vue du château du roi Sol. De petits losanges d'or sertis dans les murs du château faisaient briller cette meringue kitch sous le soleil matinal. Ludwig chaussa ses lunettes de soleil avant de déclarer :
« Nouveau riche. »
Mais ça ne l'empêcha pas de faire hâter le carrosse, il y avait dix poupées bien gaulées qui n'attendaient que lui.
Quelle ne fut pas la déception de ce pauvre prince lorsqu'il se trouva mis en présence non pas de dix donzelles mais d'un gros roi bedonnant qui l'informa que ses filles étaient présentement enfermées dans leurs appartements et qu'il ne pourrait les voir que s'il réussissait au moins la première épreuve.
« Parce que si je laissais tous les petits princes en visite regarder mes précieuses filles elles risqueraient de s'user au contact de leurs yeux avides. Et puis voir de si belles et nobles princesses ça se mérite. »
Wilhelm vit le visage de son maître se contracter de mécontentement, mais contrairement à ce qu'il craignait, le prince resta très courtois.
« Alors, quelle est le première épreuve que je puisse vite baiser la main de vos charmantes filles ? »
Le roi partit d'un grand rire tonitruant.
« Jeune blanc-bec, ce ne sera pas si facile que vous semblez le penser. Voyez-vous, mes poussins d'amour sont parties il y a quelques années se promener dans la forêt à l'est d'ici et elles ont malencontreusement toutes perdu leurs couronnes d'or fin qui sont maintenant entre les griffes d'un terrible sanglier qui ravage la contrée. La première épreuve consiste à me rapporter ces dix couronnes dorées. »
« Et bien considérez que ce sera fait et à demain, cher beau-père. » dit Ludwig en prenant congé, sa cape de plumes flottant avec panache derrière lui.
Wilhelm se précipita à sa suite et dès qu'ils furent sortis du palais demanda :
« Mais comment allez-vous faire mon prince ? »
« N'aie crainte j'ai un plan infaillible. »
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Wilhelm se demanda pourquoi tous les plans infaillibles de son prince semblaient toujours affreusement risqués, surtout pour sa pauvre carcasse.
« Monseigneur, vous êtes sûr que... »
« Bien sûr. » répondit Ludwig tranquillement camouflé dans un arbre haut. « Tu restes là avec ce morceau de viande grillée entre les mains et je suis sûr que le sanglier géant va accourir. »
« Mais monseigneur... »
« Ne t'inquiète pas, le petit chaperon rouge est là pour le tuer dès qu'il apparaîtra, un plan infaillible. Je suis vraiment le plus intelligent des princes que cette terre eût porté. »
Wilhelm ne se sentait pas rassuré pour autant, mais comme à son habitude, il fit taire sa raison pour obéir à son maître.
Lorsque la terre commença à trembler il crut à un séisme, puis il entendit ce tonnerre qui se rapprochait à chaque fois plus de lui et il vit surgir une bête si grande que son souffle suffisait à le pousser à terre. Le sanglier fonçait droit sur lui. Wilhelm eut l'impression que sa vie entière défilait devant ses yeux. Sans attendre un instant de plus il lança le cuisseau de chevreuil qu'il avait entre les mains et se mit à courir en hurlant de frayeur. Il entendit partir un coup de feu mais la terre sous ses pieds continuait de trembler et il sentait bien que le monstre lui courait toujours après. Il se précipita entre les arbres, espérant qu'ils bloqueraient le chemin au monstre, mais les craquements sinistres qu'il entendit lui firent perdre tout espoir. Détalant toujours comme un lapin, il revint dans la clairière dans l'espoir de donner à Lisette une nouvelle chance. Le coup de feu partit mais le monstre était toujours sur ses talons. Son coeur battait follement et il se demanda soudain s'il n'avait pas dans ses poches quelques pétards qui pouvaient l'effrayer ou le ralentir. Hélas il ne trouva rien d'utile et lorsque ses mains ressortirent de son veston ses manches accrochèrent une touffe de poils qui se mit à voler dans le vent. Paniqué à l'extrême, il ne fit pas attention au sol inégal et se prit les pieds dans une racine. Une pensée funeste lui passa par l'esprit, c'était donc la fin !
Renversé sur le sol, meurtri, tentant vainement de retrouver de l'ordre dans ses mouvements, il vit la bête foncer sur lui, prête à le déchirer puis à le piétiner.
C'est alors que du plus profond du bois jaillit un animal sombre comme la nuit. Le loup se jeta sur l'énorme sanglier et un combat terrible prit place entre les arbres. Se relevant avec difficultés, Wilhelm tenta tant bien que mal de s'éloigner de la zone sinistrée. Hélas pour lui, à peine faisait-il un pas que les animaux se jetaient en sa direction et s'il essayait de repartir de l'autre côté ils fonçaient alors en ce sens. Il ne pouvait non plus tenter de monter sur l'arbre contre lequel il était appuyé de peur que les bêtes ne le déracinent. Il était coincé.
Helas, le loup ne faisait pas le poids face au géant aux soies hirsutes. Beaucoup trop vite pour le malheureux valet sacrifié, la pauvre bête qui était venue à son secours fut lancée contre un tronc et resta à terre, visiblement vaincue. Le sanglier fondit sur l'humain.
Un grand tonnerre retentit et Wilhelm sentit soudain son corps couvert de sang chaud et de chairs molles. Le sanglier venait d'exploser, le couvrant d'une partie de ses restes. Les jambes du malheureux ne tinrent pas plus longtemps et il glissa à terre.
« Décidément j'ai bien fait d'emprunter le lance-roquette de ma mère. » dit Ludwig en se laissant gracieusement tomber de l'arbre où il était tranquillement caché.
Wilhelm ne pouvait toujours pas bouger, tétanisé par la peur et le regarda s'approcher des énormes défenses de la bête.
« Tiens, les couronnes étaient retenues dans l'ivoire avec des clous, comme c'est original ! »
Il se fit apporter un marteau par Dorothéa et retira les précieux diadèmes qu'il jeta entre les mains de son homme à tout faire.
« Tiens, je préfère que ce soit toi qui les garde plutôt que la fille vénale ou la maso. »
Passant les dix cercles d'or autour de son bras, Wilhelm tenta de se relever mais ses jambes ne le soutenaient toujours pas.
« Mon prince... »
Ludwig se retourna et lança un regard exaspéré à son subordonné.
« Quoi encore ? »
« Je crains que je ne puisse pas marcher. »
Le prince leva les yeux au ciel.
« Tu sais que tu vas être puni pour ton inutilité ? »
« Je m'excuse, si nous pouvions attendre, juste un tout petit peu. »
Mais le prince n'attendit pas, et, soufflant comme une forge, il hissa le corps dégoulinant de sang de son valet sur son épaule.
« Tu vas morfler pour avoir osé crader mes fringues. » le prévint-il en avançant avec difficulté vers la clairière où ils avaient laissé leurs chevaux.
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« Sire » dit le prince, « je viens demander la main de vos filles les princesses. »
« Alors » dit le roi, « il vous faudra réussir la première épreuve que voici. Aux frontières de mon royaume s'étend une immense forêt où se trouve un sanglier géant qui a il y a dix ans de cela volé à mes filles leurs royales couronnes, il vous faut donc récupérer ces couronnes. Mais attention aucun n'a jamais réussi. » l'avertit le roi.
« J'ai confiance en dieu et je réussirais. » dit le prince en prenant congé.
Mais dès qu'il fut sorti du château il dit :
« Mais comment ferais-je pour vaincre ce monstre ? »
« N'aie crainte » répondit son fidèle valet soyeux. « Partons dès à présent et je t'aiderai. »
Si le prince n'était pas rassuré il n'en laissa rien paraître et obéissant à son chat il se mit en route.
La forêt était tellement sombre que le soleil ne passait pas. A peine entrés ils entendirent des rugissements si forts qu'ils faisaient trembler la terre. Ils avancèrent, enjambant les arbres centenaires déracinés, évitant les énormes fossés qui zébraient la terre. Quand ils arrivèrent dans la clairière ils virent une forme si grande qu'elle les recouvrait entièrement de son ombre.
« Vite ! » lui dit le chat, « prend les poils du loup et souffle- les dans le vent. »
Le prince obéit et aussitôt il entendit derrière lui un bruit terrible et le loup apparut devant eux.
« Que puis-je faire pour toi, prince ? » demanda le roi des loups. »
« Tue ce sanglier et en échange je pardonnerai ta dette. »
« Considère alors que je ne te dois plus rien. » dit le roi de la forêt en se lançant sur le monstre de toute la force de ses crocs.
Le sanglier et le loup se battirent tout le jour et toute la nuit, renversant les arbres, piétinant les montagnes, fauchant les étoiles du ciel. Mais lorsque l'aube se leva le roi des loups avait remporté la victoire et après une dernière révérence il s'en alla retrouver les siens.
Le prince s'empara des dix couronnes d'or et revint au château du roi.
Quelle ne fut pas la surprise de ce dernier quand il vit les dix diadèmes princiers.
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Le roi n'en croyait pas ses yeux quand le prince Ludwig jeta à ses pieds les dix couronnes ensanglantées.
« Alors, » demanda-t-il, tout émoustillé « Puis-je voir les princesses ? »
Encore sous le choc, le roi Sol fit appeler ses princesses de filles et le prince sourit à la pensée des dix jouvencelles qui allaient paraître devant lui.
Propre, remis de ses émotions et tenant à peu près sur ses jambes, Wilhelm assistait à la scène à quelques pas derrière son maître.
Mais quelle ne fut pas la déconvenue de sa majesté des visual-goths, quand au lieu de voir paraître de charmantes damoiselles décolletées, il fut présenté à dix formes voilées de la tête au pied.
« Qu'est-ce là ? » demanda le fils de la reine Amalberga, de l'orage dans la voix.
« Et bien voilà mes roudoudous d'amour et vous n'obtiendrez le droit de les voir plus qu'après avoir passé la deuxième épreuve. »
Même de loin Wilhelm sentit que Ludwig était sur le point de mettre ses bagues en diamant et sa griffe dans la figure de l'auguste monarque, mais avec des trésors de patience qu'il n'avait jamais destinés à son serviteur, il se contint et dit :
« Alors quelle est-elle cette deuxième épreuve ? »
Le roi se rengorgea :
« C'est que voyez-vous prince Ludwig, il y a tout au nord de mon royaume une montagne si haute qu'elle touche les nuages et c'est au sommet de cette montagne que pousse une fleur merveilleuse qui rayonne de dix couleurs différentes, autant qu'elle a de pétales. Votre quête sera d'aller chercher pour mes dix merveilleux coeurs en sucre-d'orge cette fleur unique. Mais bien sûr elle est gardée par un grand oiseau mangeur d'homme dont aucun chevalier n'a jamais réussi à se défaire. »
« Et bien considérez que ce sera fait et à demain cher beau-père. » dit Ludwig en sortant, son valet sur les talons et sa cape flottant toujours avec autant de classe derrière lui.
Dès qu'ils furent sortis du palais Wilhelm demanda :
« Mais comment allez-vous faire mon prince ? »
« N'aie crainte j'ai un plan infaillible. »
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Il allait sans dire que ce plan était aussi mauvais et faillible que le précédent, mais comme toujours, Wilhelm fit taire son instinct de survie et se plia aux ordres de son suzerain.
« Allez Will, plus que quelques mètres à grimper et tu seras au sommet ! »
Le valet ne répondit pas aux encouragements de son maître de peur de lui hurler dessus, comment osait-il jouer les pom-pom girls emmitouflé dans toutes ses fourrures alors que lui se gelait les extrémités à escalader cette paroi gelée.
Mais, miracle ou résultat de l'incroyable ténacité du valet, il finit par conquérir la cime de la montagne et découvrit un spectacle qui lui arracha le souffle. Une fleur immense et majestueuse étalait sous le soleil de midi ses dix pétales colorés qui brillaient comme des miroirs. Le jeune homme ne vit pas trace du moindre oiseau mangeur d'hommes, et, bénissant sa chance aussi soudaine qu'inespérée, il s'empara de la fleur merveilleuse.
A peine l'eut-il arrachée qu'un cri perçant se fit entendre et une ombre immense obscurcit le soleil. Levant la tête, empli d'un pressentiment fatal, il vit le volatile le plus monstrueux et le plus laid du monde.
Il se mit à courir, mais un seul coup d'aile de l'animal lui envoya une rafale de vent telle qu'il se retrouva à terre, raclant sa joue contre les cailloux du haut plateau. Il entendit des coups de feu mais comme la veille ceux-ci n'eurent aucun effet sur l'énorme chimère qui s'apprêtait à le dévorer.
Se remettant sur pieds, Wilhelm, prit d'une inspiration aussi soudaine que géniale attendit que le géant des cieux se pose. Comme il l'avait prévu, ses immenses ailes traînaient sur le sol, l'empêchant sans aucun doute de se déplacer rapidement. Saisissant sa chance, le jeune homme se mit à courir. Quelle ne fut sa surprise et sa déception quand il vit que l'emplumé relevait intelligemment ses ailes et porté par ses pattes énormes venait directement à sa rencontre. Maudissant le sort et les dieux qui avaient donné à cet énergumène plus d'intelligence qu'à toutes les poules qui peuplaient la terre, Wilhelm tenta désespérément de trouver une autre solution qui le tirerait de cet horrible cauchemar.
Bien, puisqu'il était plus intelligent qu'un albatros peut-être avait-il néanmoins l'esprit cupide des pies. Sans doute pourrait-il détourner son attention s'il lançait un morceau de verre ou de miroir dans la direction opposée. Or n'avait-il point dans les poches la tête brisée de l'épingle de cravate du prince, celle en faux-diamants... Plongeant la main à la poche, il attrapa le cabochon brillant qu'il jeta de toutes ses forces dans le ciel. Hélas, il aurait pu balancer une armoire à glace que le monstre ne lui aurait pas prêté plus d'attention. Wilhelm se remit à courir en hurlant, son souffle se transformant en buée à peine sorti de sa bouche et il ne remarqua pas que de son bouton de manchette glissait lentement dans l'air une moustache de chat.
Il était perdu. Et cette fois pas de bazooka pour le sauver puisque son altesse n'avait pas pris de munition et n'avait trouvé aucun armurier dans ce pays arriéré. S'en était fini de Wilhelm, premier valet et loyal serviteur du prince Ludwig.
Il en était là dans ses lamentations, quand, surgissant de nul part, un chat sauta sur lui et vola la fleur merveilleuse que ses mains tenaient toujours. Aussitôt le busard géant changea de cible et se mit en tête de déchiqueter le félin.
Le valet se remit sur pied, prêt à prendre la fuite et à sauver sa bien aimée peau. Mais le chat était à présent acculé dans une petite cavité et les yeux rouges du monstre ailé le fixaient et son bec luisait sous le soleil. Le domestique se dit qu'il était grand temps de fuir, de prendre ses jambes à son cou, de filer à l'anglaise, bref d'abandonner le félidé à son triste sort.
Mais Wilhelm était aussi bête qu'il était bon esclave, et dans un de ces moments de grandiose impulsion héroïco-suicidaire, il se précipita, attrapant le chat et la fleur avant que le gardien aux plumeaux ne se décide à l'éventrer de son bec acéré.
Bien sûr il se retrouva de nouveau cible du monstre encore plus furieux, et, le destin faisant les choses à merveille pour amoindrir ses chances de survie, il était à présent à deux pas du gouffre, coincé sur une corniche. Derrière lui s'étalait un vide si profond que les nuages s'effilochaient à quelques mètres sous lui.
Les yeux rouges le fixaient avec délice, se réjouissant déjà de la bonne chair qu'ils allaient faire.
Mais la bête ne se précipita pas sur lui, elle s'écroula dans un bruit mat, une épée luisante plantée entre deux vertèbres.
Hébété, Wilhelm contempla son prince qui tentait tant bien que mal de récupérer son bien, ses bottes à talons compensés écrasant généreusement la chair et les plumes du gigantesque poulet.
Le chat dans ses bras tortilla jusqu'à s'extraire de son étreinte et lui griffa vilainement le visage avant de prendre la fuite. Sans prêter plus d'attention à son serviteur, Ludwig qui avait extrait son Excalibur à lui de la colonne vertébrale vint prendre la fleur tant convoitée.
« Made in Acmé. » lut-il sur le derrière d'un des pétales brillant comme du papier à bonbons.
Essuyant sa lame sur le manteau du jeune homme encore prostré à terre, il déclara.
« Un plan infaillible, je te l'avais bien dit. »
Wilhelm se contenta de lever de grands yeux dilatés par l'incompréhension vers son maître.
« Bon, il est temps qu'on redescende. Retire ton manteau, il est tout sale de sang et j'ai besoin que tu te mettes devant moi dans la luge, j'ai froid et je crois que tu pourras me servir d'airbag au cas où on cognerait contre quelque chose. »
Encore paralysé par les évènements et les doigts de la camarde qui s'étaient posés sur son coeur, le pauvre garçon se laissa mener jusqu'au traîneau où il fut installé entre les cuisses de son prince sous de douces et chaudes fourrures. Ce n'est que lorsque la luge fut poussée sur la pente qu'il se rendit compte qu'il aurait mieux valu pour lui descendre à moitié nu, épuisé mais à pied. Ses cris stridents se firent entendre tout le long de la descente pendant que le prince profitait lui de la douce ivresse de la vitesse.
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