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Titre : Et les échos de Dzitbalché
Auteur : Tilki (Participant 21)
Pour : Lili (Participant 6)
Fandom : Lost Souls / Âmes Perdues
Couple : Steve/Ghost
Rating : NC-17
Disclaimer : Ni Steve, ni Ghost, ni aucune des populations grouillantes des déserts amérindiens ne m'appartiennent. Cependant, comme Miss Brite a fini d'écrire sur ces deux garçons qu'elle adore, elle me pardonnera, je l'espère, de les avoir fait vivre à nouveau.
Prompt : Un rêve de Steve, et l'oeil de Ghost, qui n'arrive pas à s'empêcher de regarder.
Notes : Voir en fin de fic pour l'explication des références.
C'était la fin du voyage. Ils avaient traversé des déserts et des rivières, des villes de déchus et de rêves, des charniers et des edens. La vieille Thunderbird avait soufflé et craché, sa carcasse avait manqué rendre l'âme un nombre de fois incalculable; pourtant, elle avait tenu bon, engloutissant les rubans de bitume. Tous ces kilomètres pour que Lost Souls? puisse jouer, encore et encore, disperser aux quatre vents des accords à la guitare et la magie de la voix de Ghost.
Ils avaient traversé les Etats-Unis d'un bout à l'autre jusqu'à atteindre la Californie et son soleil terrible: Steve avait cru rôtir, Ghost s'était réfugié sous son éternel chapeau de paille, dans la fraicheur toute relative de T-shirts trop grands pour lui. Ils avaient donné le dernier concert de la tournée, avaient cueilli une dernière marée d'applaudissements et de frissons. Ils avaient rangé la guitare de Steve, avaient chargé leurs affaires dans la voiture et s'étaient retrouvés sur la route de l'Arizona, serpentant à travers une curieuse collection de pins, de forêts pétrifiées et de cactus.
Steve Finn n'avait pas encore réfléchi à ce qui viendrait ensuite. Ce qui venait maintenant, alors qu'ils remontaient lentement vers Missing Mile, longeant la frontière mexicaine. L'idée lui avait effleuré l'esprit, bien sûr, seulement la fin du voyage semblait si lointaine... Ce n'était qu'un mirage que l'on apercevait vaguement lorsque le soleil tapait trop fort sur la vieille décapotable, un rêve rassurant quand le regard de Ghost se voilait, quand ils faisaient une découverte de trop et qu'ils se sentaient perdus, trop loin de chez eux...
A présent, il l'avouait sans difficultés après quelques bières, la perspective de regagner sa ville natale effrayait Steve. Cette angoisse était peut-être la conséquence directe des nuits de sommeil agité qu'il passait, ces derniers temps. Il dormait mal ; il manquait de sommeil. Ou bien c'était parce qu'il avait un de ces rares éclats de lucidité sur la vie. Il lui semblait aller droit au trou noir, revenir à rien. Il avait envie de faire crisser les freins de la T-bird, de faire une manoeuvre digne des champions de course qu'on voyait à la télé le dimanche, et de revenir tout droit vers San Francisco. Ils savaient délirer, là-bas.
La main de Ghost se posa sur son poignet, fraîche au milieu de la chaleur infernale.
"T'auras jamais la place de faire demi-tour : on va tomber dans le ravin," murmura doucement le chanteur, brisant la mélodie ronronnante du moteur.
Steve grogna, ne cherchant même pas à comprendre comment Ghost avait pu deviner ses projets de profond changement d'itinéraire. C'était Ghost: il savait.
"J'suis sûr que si je braque suffisamment vite, je fais demi-tour sans problème." La patience de Ghost n'avait qu'un défaut : Steve n'hésitait pas à se montrer borné. Il n'avait rien à perdre.
Son compagnon ne s'énervait jamais, encore moins s'il avait passé les dernières heures à téter sagement un goulot de bouteille vide. "Tu sais ce qu'il nous faudrait? Une voiture volante."
"Ouais. J'en parlerai au garagiste la prochaine fois que je l'amène en réparation. Peut-être qu'il pourra rajouter des ailes."
"S'il y a un chat orange sur son enseigne, il t'arrangera ça," déclara Ghost avant de retourner à sa bouteille, fermant les yeux pour mieux apprécier le vent dans ses cheveux pâles. Il avait sur les genoux un autre cadavre de bouteille en verre, difforme et poussiéreux, acheté à des gosses malingres.
Par pur esprit de représailles, Steve désigna la chose du menton. "T'aurais jamais dû claquer cinq dollars pour ce truc."
"Je l'apporterai à Miz Caitlin en souvenir, ça lui fera plaisir," répondit Ghost, indifférent.
"Tu t'es fait arnaquer. C'est pas le soleil qu'a réussi à faire fondre ça," insista Steve.
Ghost se contenta de sourire sans répondre, et Steve réalisa qu'il n'avait plus envie de faire demi-tour. Le blues qui lui pourrissait les entrailles depuis quelques jours avait momentanément disparu.
Il voulut tendre le bras vers Ghost, l'attirer pour une accolade virile, peut-être respirer son odeur rassurante de forêt et de contes de fée, mais ça aurait fait pédale.
Ses mains agrippèrent plus fermement le volant.
Ils continuèrent leur route, se rapprochant à chaque seconde de la Caroline du Nord. La prochaine étape était une ville frontalière de taille moyenne: suffisamment grosse pour abriter une antenne de la Border Patrol, mais trop petite pour figurer dans la majorité des guides touristiques qu'achetaient les gringos.
Si la T-bird donnait des signes de fatigue, Steve l'emmènerait chez le garagiste du coin. Il espérait secrètement qu'un chat orange figurerait sur l'enseigne.
***
La ville était aussi mangée de désert que Missing Mile l'était par le kudzu. Un vent poussiéreux et lourd la dévorait vivante.
Les habitants n'étaient que des ombres, terrées derrière les stores d'enseignes écrites tantôt en espagnol, tantôt en américain. Les seuls qui sortirent dehors pour dévisager les étrangers furent des officiers des douanes, hommes bedonnants à la peau mate, posture menaçante.
Ce n'était pas encore le Mexique, mais plus tout à fait les Etats-Unis: une zone intermédiaire.
Ils prirent une chambre sans air conditionné, dans un petit hôtel miteux. La pièce comprenait deux lits séparés: comme d'habitude, ils déplacèrent les matelas afin de les coller l'un à l'autre. Ghost dormait mieux lorsqu'il sentait la chaleur rassurante du corps de Steve contre son flanc ; quant au bassiste, il était plus tranquille à proximité de Ghost, comme un molosse en territoire étranger qui n'aurait pu trouver le sommeil qu'en sachant son maître sous la protection de ses crocs.
Cette proximité avait eu ses inconvénients lors de leur voyage. Néanmoins, elle avait surtout eu des avantages: elle leur avait offert des heures de sommeil réparateur, paisible. Oui, ça avait toujours fonctionné...
...jusqu'à ces derniers jours.
Ca avait commencé après qu'ils aient laissé derrière eux Los Angeles. Ca n'avait fait qu'empirer ensuite.
Au départ, Ghost avait fait semblant de ne rien remarquer. Couché dans la pénombre, il avait écouté avec inquiétude la respiration de Steve devenir irrégulière, avait distingué les crispations qui tordaient son visage de dormeur... pourtant, avant qu'il n'ait pu essayer d'établir un contact avec son esprit endormi, son ami s'était calmé. Et Ghost avait glissé dans un sommeil agité.
A mesure que les jours passaient, le sommeil de Steve était de plus en plus perturbé.
Ghost avait essayé de lui en parler, un matin, autour d'un petit déjeuner acheté la veille dans une minuscule supérette. Il avait fini de lécher le miel sur son doigt, et avait plongé son regard dans celui de Steve.
"Tu fais des cauchemars, en ce moment."
Steve avait haussé les épaules pour signifier que le sujet n'avait que peu d'importance.
"Rien de grave," dit-il avant de se reconcentrer sur la crème épaisse qu'il avait mélangée à des céréales.
"Tu es sûr que...?"
"Ecoute, c'est juste leur bouffe qui me rend malade. Leur maïs à la con. C'est tout, j'te jure" avait ronchonné Steve. Ghost avait compris que mettre ce sujet sur le tapis dès le réveil avait été une erreur stratégique. Il avait laissé tombé.
Pourtant, il devint vite clair que les galettes et rouleaux de maïs n'avaient rien à voir avec ce qui agitait Steve. Non.
Steve venait de crier dans son sommeil. Un cri rauque d'homme torturé.
Le coeur battant, Ghost chercha des bribes de l'odeur de Steve, sueur et nuits au coin du feu à boire des bières en écoutant des histoires. Il ne trouva que des sentiments noirs, des puits qui aspiraient tous les essais de Ghost pour le calmer, pour l'apaiser. Il ne trouva que des murs autour d'une souffrance qu'il ne comprenait pas. Il se dégageait de lui une aura que Ghost détesta et qui lui laboura le coeur.
Alors, pris de panique, Ghost fit quelque chose qu'il s'interdisait en temps normal. Quelque chose que Steve aurait pu mal interpréter. Quelque chose qui aurait pu les séparer.
Sur des jambes tremblantes, il quitta son lit pour s'agenouiller au-dessus du corps de Steve. Le bassiste eut un gémissement guttural: son corps s'arquebouta entre les cuisses de Ghost, qui faillit renoncer.
Mais Steve souffrait.
Ghost posa les mains sur les tempes de son compagnon, et ferma les yeux.
Il lui fallut se concentrer, insister encore et encore, avant d'apercevoir les premières images.
Steve était couché au-dessus d'une masse de chair indistincte, floue. Son corps nu semblait luire dans les ténèbres astrales. Ghost cligna des yeux, se rappela qu'il avait déjà vu Steve nu, un nombre incalculable de fois, que ce n'était pas grave, que ça n'avait jamais rien voulu dire, alors pourquoi se laisser distraire à présent? Il se força à creuser plus loin, à attraper d'autres images.
Steve cherchait à posséder le corps informe sous lui. Non, plus qu'informe... la chose était mouvante. Un instant, Steve était en train de pénétrer Ann. Le suivant, il se livrait à un corps à corps enfiévré dans les bras d'une petite blonde aux larges seins, une fan sans doute, croisée lors d'un concert. Puis la chose fondait à nouveau en une pâte de peau se modelant sous les coups de reins de Steve, l'attirant plus profondément en elle, le faisant plier et se tordre. Steve semblait tour à tour se livrer à elle puis tenter de la fuir. Des cris inarticulés déchiraient sa bouche.
Ghost déglutit. Se força à ne plus regarder ce spectacle. Si ça avait été un rêve érotique ordinaire, jamais il ne serait resté à épier d'avantage. Il respectait toujours l'intimité de Steve, même si cela le torturait parfois, même s'il savait que jamais il ne pourrait avoir accès à cette partie de Steve dans le monde corporel, alors que ç'aurait été si facile d'en profiter ici, si facile...
Oui, vraiment, il se serait retiré du rêve. Seulement la chose sous Steve palpitait de néant et d'ombre, faisait se dresser les cheveux sur la nuque de Ghost. A son contact, il partageait sa faim sans fond, son avidité destructrice, et le souvenir du sang dégorgeant du coeur palpitant des éphèbes.
Cette chose allait tuer Steve.
Il fit de son mieux pour se concentrer, se récita ce qu'avait dit Miz Deliverance un soir d'automne, quand Ghost lui avait parlé du point d'ombre qu'il avait vu en rêve. Il se concentra et se laissa guider par le souvenir de la voix de sa grand mère. Avec d'infinies précautions, il laissa couler la lumière.
Il comprit immédiatement qu'il avait adopté la bonne stratégie: la masse de peau se mit à fondre, à goutter comme de l'argile trop liquide. Bientôt, le corps de Steve fut libéré, et disparut.
Il comprit aussi très rapidement qu'il n'était pas préparé à ce qui allait suivre. Lorsque ce qui restait d'argile se mit à siffler et à s'élever jusqu'à dessiner une figure humaine. Une femme à la peau brune et aux cheveux de nuit, qui aurait été magnifique si ses traits n'avaient été déchirés par la rage.
Elle allait passer à l'attaque, exhalant des ondes de néant. La lumière ne servirait à rien. Ghost sentit la peur lui courir dans les veines.
Il se mit à prier.
Apparemment, l'échange avait été observé de près par les puissances de ces royaumes. Un dragon orné de plumes bleues et vertes émergea des limbes en grondant. Il ondula autour de Ghost, comme pour le protéger de sa masse immense. Le médium resta immobile, les sens en alerte, attendant de voir ce qui se passerait. La femme avait reculé, crachant avec une hargne grandissante.
Alors, deux autres arrivants entrèrent dans la danse. Il y eut d'abord un jeune homme au corps argenté, orné de pierreries, qui se plaça aux côtés de Ghost, un sourire rassurant aux lèvres.
Quelques secondes plus tard, l'espace à la droite de la femme se déchira dans un grand bruit de tonnerre, laissant le passage à un guerrier immense. Il lui sembla que le nouvel arrivant n'était fait que d'ombre et de sang. Que ses yeux étaient des miroirs. Il crut entendre le sifflement d'un serpent. Il n'eut pas le temps de vérifier: le dragon avait plongé sur le couple, qui soudain disparut.
Ghost fit un pas en avant, mais avant qu'il n'ait pu se déplacer, le jeune homme couleur de lune lui saisit la main. Des doigts s'entrelacèrent avec les siens, abandonnèrent quelque chose dans sa paume.
Le battement d'ailes d'un oiseau de nuit brisa le rêve.
Ghost rouvrit les yeux à la réalité.
Son corps était trempé de sueur. Il avait mal à la tête. Sous lui, Steve dormait, la respiration régulière.
Il avait dans la main un éclat de pierre noir.
***
Ca prit Ghost le lendemain.
Steve se sentait plus reposé que d'habitude, lorsqu'il ouvrit les yeux. Ca augurait d'une bonne journée: il avait prévu de continuer de suivre la frontière, de s'arrêter peut-être dans un de ces bars où les filles dansaient à moitié nues sur les tables, établissements fréquents le long des itinéraires préférés des routiers.
A la place, Ghost le regarda sortir de la douche en sirotant une boisson non identifiée, avant de déclarer:
"J'ai besoin de voir un médecin."
Steve haussa un sourcil.
"T'es malade?", demanda-t-il. Cette option lui semblait peu probable. Ou alors, malgré leurs années de vie commune, malgré les liens qui les unissait, il connaissait Ghost moins bien qu'il ne le pensait. Son ami fit non de la tête, agitant ses longues mèches blondes, une expression indéchiffrable sur le visage.
"...T'es enceint?" Ok, c'était une blague con, mais ça valait le coup, juste pour voir Ghost s'étrangler autour d'une gorgée.
"Je veux juste voir un médecin, je dois parler d'un truc à quelqu'un."
"Y a une pharmacie à deux rues, on est passés devant en arrivant," soupira Steve.
Ghost fronça les sourcils comme si Steve venait de proférer une absurdité. "Pas ce genre de médecin." Et les deux yeux trop pâles se rivèrent aux siens.
C'était une attaque déloyale, qui faisait mouche à chaque fois.
Une heure plus tard, Steve et Ghost étaient plantés au comptoir d'accueil de l'hôtel, luttant pour se faire comprendre du gérant.
"Un foutu docteur ! Vous devez avoir ça dans ce trou, nan ?" s'énerva Steve.
Le gérant le regarda avec des yeux morts avant d'asséner pour la vingtième fois "No comprendo."
Le poing de Steve se crispa, faillit partir s'écraser en plein sur le nez du mexicain. Ghost le retint à temps. Il se plaça devant Steve, et, paraissant hésiter sur chaque mot, demanda: "Por favor... Uno... marakame?"
L'homme eut un embryon de réaction: il les dévisagea un long moment, sans prononcer le moindre mot. Steve venait de décider qu'ils avaient affaire à un rescapé de lobotomie, quand l'homme grogna "Momentito," avant de disparaitre.
Steve se retint de crier uniquement parce qu'il savait que leur situation aurait pu être pire: il avait appris, d'expérience, que rien n'était plus décourageant que "momento" sur l'échelle des ordres mexicains.
Un long moment plus tard, le gérant reparut, accompagné d'une petite femme à la peau plus sombre et ridée que l'écorce du grand chêne. Ses yeux étaient deux billes argentées.
Elle tendit les mains vers Ghost, et aussitôt Steve sentit monter en lui un germe d'inquiétude et de colère... d'autre chose aussi, peut-être, cependant il n'avait pas le temps de se lancer dans une psychanalyse: cette sorcière ne lui inspirait pas confiance et elle avait les mains sur Ghost...
Minute. Non, en fait, c'était Ghost qui avait pris les deux mains ridées au creux des siennes.
Ghost hocha la tête sans rien dire, murmura un remerciement, et fit signe à Steve de le suivre.
"Je sais où on doit aller," expliqua Ghost en vissant son chapeau de paille sur son crâne.
"Super," fit Steve d'un ton peu convaincu. ...Il le suivit néanmoins.
Ils laissèrent derrière eux les immeubles de béton tachés de poussière. Ils accordèrent un regard aux musiciens vêtus de noir, jouant devant les volutes jaunes et blanches du palais de justice. Ils dépassèrent les scarifications d'or et d'arc-en-ciel de l'église du coin.
Il fallut encore traverser les rues bordées de maisons, pavés de blancheur éclatante, avant de s'enfoncer plus loin encore, marcher jusqu'à ce que leurs pieds les torturent.
Ils finirent par atteindre le quartier des favelas, le repère des immigrés clandestins, sans cartes de séjour, ceux qui vendaient un peu de leur vie en échange d'un maigre salaire, d'un travail au milieu des pesticides ou des usines frontalières.
Alors, une fois arrivés au coeur d'un dédale de gravats et de cartons percés, devant une bicoque branlante, Ghost déclara qu'ils étaient arrivés.
Au pied du porche se trouvait la gueule grimaçante de jaguars, taillés dans une pierre couleur peau. Steve ne les quitta pas des yeux: il avait cru voir bouger celui de droite.
Ghost ne leur prêta pas la moindre attention. Il s'enfonça plus avant dans l'ombre de la maison. Steve resta sur ses talons, suffisamment près de lui pour sentir la chaleur de son pouls.
Ils étaient une douzaine, groupés autour d'un minuscule feu de cheminée, fredonnant une mélopée. L'atmosphère était étouffante. Ils étaient maigres, recroquevillés sur eux-mêmes. Un instant, Steve crut voir ces momies aztèques que l'on sortait parfois de leur sommeil, afin d'orner de leur photo des couvertures en papier glacé. Des paupières papillonnèrent, ici et là. Des yeux comme des billes de nuit détaillaient les deux arrivants.
Steve eut envie de tirer Ghost vers l'arrière pour le sortir de là.
Un homme aux traits épais et au visage orné de traces blanches se leva, à l'autre bout de la pièce. Faisant signe à Steve de rester immobile, Ghost s'avança, silhouette pure et claire au milieu des fumées et des relents d'orage.
Le jeune homme sortit quelque chose de sa poche, murmura quelques phrases d'explications que Steve ne saisit pas. L'indien ferma les yeux, oscilla d'avant en arrière.
Il s'entretint avec Ghost pendant un moment qui dura une éternité. Durant tout ce temps, Steve demeura debout, sentinelle raide et attentive. Sa gorge le brûlait; ses yeux pleuraient des larmes de poussière. Il poussa un lourd soupir de soulagement quand Ghost s'écarta et lui fit signe de sortir.
Après ça, le soleil était presque rafraichissant.
"Qu'est-ce qu'il t'a refilé?" fit Steve en désignant les deux sachets en plastique que Ghost avait à la main.
"Je sais pas trop. C'est de la part des dieux," répondit Ghost en levant devant son nez les petits sachets. Ils étaient emplis d'une poudre brune et d'une herbe séchée très verte. Steve n'aimait pas trop ça.
"Et qu'est-ce que tu vas en faire?"
"Tu verras. ...ça te dit d'aller prendre une Dos X?" Ghost pivota sur lui-même, un sourire aux lèvres, et Steve arrêta de poser des questions. Après tout, il avait bien besoin d'une bière pour se remettre. Le reste pouvait attendre.
L'utilité du cadeau de l'indien ne fut expliqué que le soir venu.
Steve venait de poser devant lui une canette de bière et s'installait pour feuilleter un magazine en anglais et espagnol peuplé de filles aux poitrines de taille respectable, quand Ghost surgit de nulle part.
"Ferme les yeux," ordonna-t-il avec une lueur taquine dans ses yeux trop bleus.
Steve était écrasé par la fatigue du jour: il obéit.
Quand il rouvrit les yeux, sa despé avait disparut. Trônait à la place un bol plein d'une tisane fumante. Et Ghost, un sourire aux lèvres, de l'air calme du prestidigitateur après un numéro bien fait.
"Tu déconnes, hein?" demanda Steve, regrettant instantanément la note de désespoir qui avait percé dans ces quelques mots.
"Tu veux bien dormir ce soir?" répondit Ghost, de ce petit ton amusé qu'il prenait parfois.
Steve capitula: il se saisit du bol d'une main et approcha le breuvage brûlant de ses narines pour en inspirer prudemment l'arôme. "C'est quoi?"
Ghost récita, aussi sérieusement qu'un écolier déclamant une poésie: "Coquelicot, houblon, valériane. Et autre chose que je n'ai pas reconnu."
"Sympa. Un bouquet. ...Tu sais, fallait pas, c'est pas la Saint Valentin." Il devait probablement ressembler à un gamin boudeur, mais vu le goût de ce truc, il se trouvait parfaitement le droit d'émettre quelques critiques. D'autant plus que... "Je dois aussi avaler ce qui traine au fond?"
Ghost cligna des yeux, de l'air du chat surpris par l'envol multicolore d'un papillon. "...ce qui traine...?"
"Le caillou noir."
Les lèvres de Ghost firent un o silencieux; une mèche de cheveux retomba sur son visage, comme une aile que l'on replie. "Tu n'es pas censé le boire, mais tu peux l'avaler si tu veux. Tu digéreras mieux le maïs."
Steve baissa la tête dans son bol, s'emplit les poumons de l'odeur d'étés morts et de roulades dans les champs secs. Il réussit à le finir sans s'étouffer.
Quand il ne resta plus au fond que la petite pierre noire, il alla s'effondrer sur son lit, signalant son exploit d'un grognement profond.
Le matelas s'enfonça sous le poids d'un corps; Steve pensa que Ghost venait lui rendait la bière en guise de récompense. Cependant, le parfum lourd et épicé qui lui fit frémir les narines le détrompa.
"Il y a aussi ça," fit Ghost en lui tendant le joint allumé.
Steve goûta distraitement les traces de la salive de Ghost, tira sur le joint. Il ferma les yeux, se laissa rouler sur le dos. La fumée qui lui réchauffa les poumons était plus capiteuse que d'habitude. Ghost se mit à chanter, une mélodie aux paroles incompréhensibles, qui lui évoquait quelque chose sans qu'il sache quoi.
Une à une, les circonvolutions de son cerveau se déroulèrent. D'une main déjà paresseuse, il repassa le joint à Ghost, sentit son sourire contre ses doigts. Les muscles de son corps se détendaient les uns après les autres.
Il le savait déjà: il passerait une nuit excellente.
***
Ghost se laissait bercer par l'herbe et le vrombissement étouffé de la route. Il avait cessé de fredonner depuis longtemps, vaincu par la danse langoureuse de la fumée. A ses côtés, la poitrine de Steve se soulevait en mouvements amples et réguliers, signe qu'il était profondément endormi.
Oui, Steve était détendu, à cet instant; il n'aurait pas peur. Il ne fuirait pas. Et Ghost avait besoin de respirer sa chaleur réconfortante. Tellement besoin, lui qui se sentait perdu, loin de son univers familier, confronté à des serpents et des créatures de nuit.
Avant que son esprit ne parte complètement en territoire mouvant, Ghost roula sur le côté, jusqu'à se couler au creux des draps trempés de sueur, enfouir le nez dans le parfum de bières et de routes. Il s'installa confortablement, dos au torse maigre, sentant la cage thoracique de Steve se gonfler comme pour se mêler à celle de Ghost. Il sourit avant de fermer les yeux.
Son rêve n'était qu'une crème de nuages, un océan blanc. Ghost s'aventura un peu au hasard dans ce paysage, attendant de voir quelles histoires les songes allaient lui apporter.
Quand il les rencontra, il n'eut pas peur. C'était les grands-parents éternels, les éclats de vie, le feu primitif. Ils lui prirent chacun un bras, le guidèrent de leurs 8 mains, écartant les brumes sur leur passage. Ghost ne pouvait penser qu'à ces quatre sourires qui le bénissaient.
Les deux hommes à sa droite s'effleuraient mutuellement de leur main libre et lui murmuraient la fusion ultime et l'amour des origines. Les deux femmes chantaient entre deux baisers une litanie faite de remerciements et de cadeaux. Ils riaient sans faire le moindre bruit: leur escorte était tout à la fois naturelle et solemnelle.
Il s'arrêtèrent brusquement. Ils soufflèrent. Tout ce qui restait de nuages autour d'eux se dissipa.
Il y avait un jeune homme et une jeune femme agenouillés, à quelques mètres: leurs têtes et leurs seins étaient parés de fleurs des champs, leur peau dorée de soleil. Ils étaient penchés au-dessus d'un corps.
Long, maigre, anguleux, cheveux en bataille et joues mal rasées, lui dévorant son visage.
Ghost retint sa respiration.
Steve.
Il tomba à genoux devant ce corps nu, offert. La peau rendue pâle par des virées sur la lune et dans les enfers terrestres baignés de fumée. Les paupières légèrement rouges, porteuses de rêves morts, et qui seraient soyeuses sous ses lèvres. Les mèches couleur aile de corbeau, indisciplinées et douces. Sous les ondulations des côtes, le ventre, mis à nu, vulnérable et...
Ghost trembla.
Il savait que ces divinités ne songeaient pas à mal, ne voulaient que le récompenser, qu'elles ignoraient tout de Steve, qu'elles ne voyaient certainement pas ça comme un viol. Il savait qu'il aurait du fuir, se couper de cette image, quitter le rêve, s'il voulait éviter que son monde s'effondre, s'il voulait garder avec lui ce qui soutenait son univers.
Cependant la fatigue des mois d'errance lui rongea le coeur. Il était épuisé. Il voulait retrouver la paix qu'il connaissait dans son nid.
Les deux jeunes dieux parés de fleurs posèrent une main légère comme les herbes folles sur son épaule. L'encouragèrent à se pencher en avant.
Et Ghost cessa de résister.
Leurs lèvres s'effleurèrent, et Ghost sentit son âme entière être traversée d'un courant électrique, un éclair bleu foudroyant, dévastateur. Ghost sentit la paroi de verre qui le séparait toujours de Steve fondre, se mêler à autre chose, et ce sentiment était tellement nouveau... tellement...
Les lèvres s'entrouvrirent et leurs langues glissèrent l'une contre l'autre. L'éclair implosa en un millier d'étincelles.
La bouche de Steve était aussi accueillante qu'elle l'avait été, tous ces soirs trop arrosés, lorsque Steve pouvait rendre l'alcool responsable de la tendresse échangée. Ghost gémit.
C'était meilleur. Bien meilleur. C'était leurs âmes qui se connectaient, leurs coeurs qui fondaient l'un dans l'autre, comme si Ghost avait soudain accès à tout ce qu'était Steve, comme si Ghost abandonnait toutes les barrières qu'il avait dressé pendant des années autour de lui.
Il lui sembla qu'il pleurait, des larmes de soulagement, celles que l'on verse en trouvant une source pure, après avoir erré toute une existence dans le désert. C'était une sensation absolue, vertigineuse.
Et puis quelque chose commença à déraper.
Un sentiment de peur le submergea: il n'aurait pas du faire ça, non, il ne pouvait pas. Il sentit la culpabilité lui tordre l'âme. Peut-être que Steve ne voulait pas ça, peut-être... Il paniqua.
Il fuit.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, la première chose dont il eut conscience fut la lumière, aveuglante malgré les stores baissés. Le soleil du matin nouveau qui se lève.
La seconde chose dont il prit conscience fut la bouche contre la sienne, le goût de Steve, et son odeur.
Il s'écarta, coeur battant plus vite qu'un cavalier de l'orage. Le lien entre eux s'atténua.
Steve était réveillé. Steve le fixait d'un air perdu, le souffle court. Steve avait l'expression hésitante qu'il adoptait généralement lorsque Ghost le prenait en faute.
"Ghost, je... je suis désolé, je sais pas ce qui..."
Il chercha des yeux autour de lui, à la recherche peut-être d'un t-shirt pour retrouver un peu de dignité, ou pour chercher une issue de secours.
"Je voulais pas..."
Il bredouilla le reste de sa phrase, cherchant à sortir du lit dans le même temps.
Ghost lui saisit le poignet pour l'immobiliser.
C'était incroyable, ce contact. Une seconde de séparation puis être connecté à nouveau. Commencer à apprivoiser cette nouvelle sensation, différencier ses sentiments de ceux de Steve, ne pas les laisser s'emballer dans une tornade de peurs et d'hésitations... calmer Steve, qui devait avoir ressenti cet échange, oui, qui avait agi concrètement, avec ses mains et son corps, selon la vieille méthode instinctive brevetée Steve Finn. Calmer Steve, qui avait finalement paniqué, entraînant avec lui Ghost sans le vouloir, Ghost qui ne savait pas encore, mais qui comprenait, maintenant, oh oui...
Steve ne voulait pas fuir parce qu'il ne voulait pas de Ghost. Il n'allait pas le détester. Il était mal à l'aise, oui, et hésitant. Cependant, cela n'était que le résultat de moqueries entendues dans les cours de récréation, de réflexions haineuses de son père, de ses propres doutes et incertitudes....
Ghost relâcha progressivement son étreinte sur le poignet de Steve. Sa main remonta lentement le long de son bras. Jusqu'à effleurer doucement ses tempes, pour ne pas rompre le contact intime, mais ne pas forcer non plus...
"Tu me fais confiance...?" Ghost n'avait pas réellement besoin de poser cette question. Il savait. Néanmoins, Steve avait besoin d'entendre ces mots.
C'était une clé. Il suffisait de doucement l'utiliser, pour finir par ouvrir cette porte terriblement impressionnante, pour dévoiler le chemin vers un territoire sur lequel ni l'un ni l'autre n'avait eu le courage de s'aventurer.
Steve avait peur, oui. Pourtant, pas plus qu'il n'avait reculé devant la forêt de royaumes morts, ce soir d'octobre, il ne perdit courage. Il fixa Ghost un long instant, hésitant, tremblant presque, de précieuses secondes durant lesquelles Ghost laissa tomber le peu de barrières qui restaient encore entre eux, pour que son ami comprenne, qu'il sente... Les pupilles de Steve étaient dilatées, mangeaient son regard sombre. Il hocha doucement la tête.
Ghost lui offrit son sourire, une caresse légère contre ses lèvres, un baiser aussi doux qu'une bulle de coton.
Et Steve, Steve qui était rongé de doutes mais qui tentait d'être honnête avec lui-même, l'éternel Steve Finn, ouvrit la bouche. Leva les bras pour attirer à lui Ghost.
Ils restèrent ainsi, l'un contre l'autre, coeurs apaisés et corps fiévreux, impatients de compléter leur union, comme s'ils ne pouvaient supporter plus longtemps de rester séparés. Ils cherchaient à retrouver leur intégrité, retrouver cette moitié d'âme perdue, redevenir complets, entrevoir l'absolu.
Ghost sentit leurs sueurs se mêler, créer un nouveau nectar au goût unique, le sel de la peau de Steve et la saveur giroflée de l'essence de Ghost. Il sentit les courants d'énergie qui passaient entre eux s'enflammer, sentit un peu de sa conscience partir, emportée par les vieux instincts, par les cris de son corps.
A mesure que ses battements de coeurs se précipitaient, Steve devenait moins hésitant. Il repoussa Ghost vers l'arrière, couvrit sa gorge de baisers, et ses mains se perdirent sur le corps de Ghost au gré de caresses appuyées, fortes, là où auraient dû se trouver des seins, là où auraient dû se courber les hanches, là où des plis humides auraient dû l'accueillir... Quand ses doigts atteignirent l'érection tendant le caleçon de coton de Ghost, il eut un sursaut, voulut retirer sa main. Ghost lui attrapa le poignet avec précaution, le guida vers le membre gonflé en lui murmurant mentalement des paroles apaisantes.
Il faillit crier lorsque Steve le prit en main. Ghost avait déjà vaguement ressenti ces fièvres, les avait devinées dans les souvenirs de corps à corps, dans les propositions d'adolescents dans des toilettes sales ou dans des baisers volés par quelques âmes de passage. Mais ça n'avait rien à voir avec ce qu'il ressentait à présent.
Il voulait que ça ne s'arrête jamais, que Steve continue de toucher, ici, oui, et lorsqu'il effleurait le gland du bout du pouce, qu'il faisait exploser des étincelles dans le bas-ventre de Ghost, oh dieux...! Il ne pensait plus. Tout son corps se tendait vers cette exquise torture, pressait Steve de mettre plus de force, oui, plus de force...
Ghost gémit en sentant l'éclair de plaisir le traverser. Il se contracta lorsqu'il jouit.
Il resta immobile un instant, incapable du moindre mouvement. Il se reconnecta petit à petit au monde réel, au rythme de la pluie de baisers angoissés que Steve déposait sur son front.
"Steve..." réussit-il à exhaler dans un sourire, et aussitôt, la bouche au goût de tabac froid et d'errances fut sur la sienne. Ghost réalisa que c'était ce qu'il voulait, rester ainsi connectés, toujours.
Il réalisa aussi, avec un temps de retard, qu'il s'était égoïstement laissé emporter par le plaisir.
Se laissant guider par son instinct, luttant pour se souvenir des bribes de rêves qu'il avait perçues, il les fit rouler tous les deux sur le côté, de sorte qu'il pouvait faire face à Steve, continuer de l'embrasser sans rester écrasé sous lui. Surtout, cela lui dégageait une main, et il tenta d'imiter ce qu'avait fait Steve, laissa ses doigts explorer le corps de son amant, s'attardant sur les tétons qui faisaient frissonner Steve, puis sur la peau tendue de son bas-ventre et de son aine.
'Comme avec une fille, mais par derrière, du calme, c'est comme avec une fille...' faisait l'onde de nervosité qu'exhalait le ventre de Steve. Ghost eut un petit rire léger.
"Plus ou moins," répliqua-t-il à voix haute, et Steve fronça les sourcils. Sa tête retomba lourdement lorsque la main de Ghost effleura sans le vouloir son sexe dressé. Juste pour voir l'effet que cela produirait, Ghost recommença, un peu plus fort, un peu moins innocemment: Steve prit une inspiration entre ses dents serrées. Le bras qu'il avait passé autour de Ghost se crispa un peu.
Se laissant emporter par le plaisir qu'exhalait chaque pore de la peau de Steve, Ghost continua ses mouvements de va-et-vient autour du sexe tendu. A un moment, inquiet, il s'interrompit, juste le temps de s'humidifier la main: les cils à demi-baissés, Steve l'observa se lécher la paume et les doigts. Les ondes de plaisir doublèrent lorsque Ghost reprit ses caresses.
Il s'émerveillait de sentir ce sexe lourd dans sa main, à peine moins long que le sien, veines gonflées et rougies, de la couleur d'un fruit mûr. Il rit intérieurement de son association d'idées, se demandant s'il fallait le goûter, le sentir fondre contre sa langue, s'abreuver de son jus...
Cependant, il avait bien trop fait durer les choses. Steve perdait pied.
Ghost fut soudain ramené à sa position initiale, le lourd corps de Steve au-dessus du sien, désespéré d'augmenter la friction entre eux deux, de se plonger au sein d'une chaleur accueillante. Il lui dévorait la gorge de baisers, suçait avidement la peau: Ghost sentit les vagues du plaisir l'emporter à nouveau.
Ils jouèrent avec le corps de l'autre avec une urgence renouvelée, jusqu'à ce que soudain Steve écarte plus fermement les jambes de son partenaire, guide ses cuisses jusqu'à placer son sexe contre les fesses de Ghost. Le médium cligna des yeux, lutta contre l'appréhension qui l'avait saisit: il se mordit la lèvre inférieure, se força au calme, tout en essayant désespérément de savoir ce qu'il devait faire, si...
"Dans mon jean..." grogna Steve, regard aveuglé par la fièvre, mains fouillant dans le sac plastique lui servant de trousse de toilette. Au milieu du kaléidoscope d'images que Steve envoyait, Ghost réussit à apercevoir la poche arrière du jean sale, les pochettes que l'on déchire du bout des dents, la fine membrane que l'on déroule.
Se penchant avec précaution, il attrapa le jean abandonné au sol, en sortit un préservatif. D'une main légèrement tremblante, il ouvrit l'emballage, plaça le disque de latex sur le sexe tendu, en pinça légèrement le haut. Le déroula lentement. Il prit une grande inspiration lorsque les doigts de Steve vinrent masser son anus, y appliquant une substance froide.
Et puis...
Ghost plongea ses yeux dans ceux de Steve.
D'un regard, il lui transmit toute la confiance et l'amour qu'il avait pour lui. 'Je ne te laisserai pas tomber, Steve Finn. Jamais.'
Steve s'enfonça en lui lentement, prenant appui sur le matelas, attendant que Ghost lui fasse signe de commencer à bouger.
C'était bon. Obtenir enfin ce qu'ils avaient toujours voulu tous les deux. Leur compagnon sur la route du grand hiver.
Les mouvements de reins de Steve s'accélérèrent. Ghost cueillit ses larmes une à une, du bout des lèvres, tendrement, jusqu'à ce que le sexe enfoncé en lui effleure un point de plaisir caché quelque part dans ses entrailles, le faisant se courber, crisper ses muscles autour de Steve.
Il ne sut pas qui d'entre eux avait crié lorsque l'orgasme les prit. Ils glissèrent dans le sommeil, ensuite, un repos que ne troublèrent ni dieux ni monstres, un écho de la paix ultime, le délice d'une petite mort.
***
Ils ne discutèrent pas de ce qui venait d'arriver. De ce qui se passerait ensuite. Steve n'était pas certain de vouloir s'aventurer sur ce terrain-là.
Au réveil, il avait passé un long moment à contempler Ghost endormi. Il s'était passionné pour la manière dont une des mèches de cheveux pâles se soulevait en rythme avec sa respiration. L'expression paisible qu'il arborait, confiante, le visage de celui qui détient tout le savoir du monde, qui connait les jours passés et les siècles à venir.
Quand Steve fut un peu plus réveillé, il ne put s'empêcher de noter qu'en dépit de sa beauté éthérée, le corps de Ghost possédait une mâchoire carrée, des hanches étroites, une maigreur ne laissant que peu de place aux formes charnelles. Sa pomme d'adam cassait la colonne pâle qu'était son cou.
Steve promena ses yeux sur la petite chambre miteuse: pas de lingerie délicate au milieu des habits gisants au sol.
Steve alla se réfugier sous une longue douche froide, parce qu'il était trop tôt pour de la tequila.
Quand il en sortit -en ayant bien pris soin de se vêtir entièrement-, Ghost avait préparé un petit déjeuner de fortune. Des biscuits, un yaourt et un gobelet de café instantané l'attendaient.
Ghost, aussi étrangement que cela puisse paraître, ne paraissait pas affecté par ce qui s'était passé. La seule chose qui le différenciait du Ghost d'avant, c'était le petit sourire s'allumant dans ses yeux bleus, chaque fois que son regard se posait sur Steve.
C'était incompréhensible. Steve, lui, avait toutes les peines du monde à ne rien laisser paraître de son malaise, à arrêter de se répéter que Ghost était son bon dieu de presque frère, et qu'on ne fait ce genre de choses avec un frangin. Surtout, il essayait de s'empêcher de remarquer les suçons sur la peau pâle, ou la manière dont Ghost se baissait pour ramasser son sac de voyage usé.
Parce que *non*, ce n'était pas *normal*
En revanche, il s'autorisa un regard intimidant à l'attention du gérant, qui s'était permis de murmurer quelque chose à l'oreille de Ghost.
Ils n'évoquèrent pas non plus le sujet alors que Steve conduisait. Ghost se contentait de chantonner un vieux tube des années 50 d'un air rêveur, tête appuyée au bord de la portière. Steve se sentait tour à tour déçu de ne pouvoir crever l'abcès, et soulagé de ne pas avoir à affronter une discussion perturbante alors qu'ils longeaient le bord d'un à-pic. Si Steve était responsable de la mort de Ghost, la dernière goutte de magie en ce monde, il s'en voudrait jusque dans la tombe. Et sans doute au delà.
Ils finirent par s'éloigner de la frontière, suivirent une nationale qui fendait de grandes plaines désertiques. Ils avaient roulé pendant presque une demi-journée. Et Steve se rendait toujours dingue à force d'efforts pour ne pas penser.
"Pour vaincre l'anxiété, ma grand-mère disait qu'il suffisait d'avoir sur soi un sachet empli de gros sel, de houx et d'un clou rouillé, fermé par un ruban rouge." Ghost marqua une pause avant d'ajouter. "Mais tu pourrais aussi crier un grand coup."
Steve jeta un regard en coin à Ghost, immobile sur le siège du passager, yeux fermés et air calme, comme s'il n'avait rien dit.
Ils continuèrent de rouler en silence, jusqu'à ce que les nerfs de Steve ne lâchent.
"Ghost, je suis désolé. Je..." Steve s'interrompit lorsque la main de Ghost s'égara sur sa nuque.
"Tu ne peux pas me mentir, Steve Finn. Tu n'es pas plus désolé que moi."
Les doigts sur sa nuque commencèrent un léger massage. "Je suis heureux."
Il se demanda toute sa vie s'il s'était laissé emporter, ou si un courant chaud comme un après-midi d'été avait vraiment couru de la main de Ghost au reste de son être. Une onde d'amour, rassurante et protectrice.
Son bras attrapa Ghost de son propre accord, entoura ses épaules avec toute la tendresse maladroite dont Steve était capable. S'il fut surpris d'abord de cette démonstration d'affection intime, Ghost le cacha bien.
Il eut un sourire, et ferma les yeux en posant la tête sur l'épaule de Steve.
Leurs cheveux entraînés par le vent se mêlaient, mèches d'or et d'ombre.
"...Je t'aime."
Notes:
-Les Dieux Aztèques qui font une apparition dans ce texte font partie des plus connus du panthéon. On a d'abord Quetzalcoalt, le "serpent à plumes", dieu de la Terre, de l'Air, du Vent et de l'Eau, force de vie, dieu pacifique protecteur des humains. Il se trouve ici opposé à son ennemi éternel, Tezcatlipoca, le sanguinaire, divinité des guerriers, des magiciens et des esclaves, soleil nocturne, souvent représenté avec un pied sur un miroir d'obsidienne et l'autre sur une tête de serpent. Omniscient, doué du don d'ubiquité, il punit ou récompense les humains selon leurs actions (pour la petite histoire, Quetzalcoalt et Tezcatlipoca sont deux incarnations de Tezcatlipoca lui-même ^^;;; ).
Notez que vous avez aussi pu apercevoir la compagne de Tezcatlipoca, la déesse de l'amour illicite et de la luxure, Tlazolteolt.
Notez aussi qu'un avatar de Quetzalcoalt est à l'origine du soleil, tandis qu'un jeune éphèbe paré de jade et d'obsidienne est devenu le dieu de la Lune: il s'agit de Tecciztecatl, qui récompense Ghost d'un éclat de pierre.
Dans le second rêve, vous avez pu apercevoir le couple divin, créateur des dieux, divinités de la procréation, dont j'ai brodé les aspects à partir de la signification de leurs noms: les "deux dames" sont nommées Omecihuatl, tandis que les "deux seigneurs" s'appellent Ometecuhtli.
Enfin, le petit couple bucolique était composé des dieux des Fleurs, de la Jeunesse, de la Joie, de la Beauté, de la Danse, de la Poésie et de l'Amour, Xochipilli et Xochiquetzal.
-Un Marakame est un chaman, à la fois barde et guérisseur, au Mexique.
-Il y a une ville aux USA qui s'appelle Truth or Consequences O.o;; Oui, je sais, ça a pas de rapport avec ce texte, mais bon... j'ai découvert ça en regardant des photos aériennes des USA pendant la pèriode de recherche d'infos, donc... ça a un léger rapport, sisi ^^;;
-Le titre vient des Chants de Dzitbalché, un recueil rassemblant les paroles d'anciens poèmes Mayas qui ont survécu jusqu'à notre époque. Les poèmes traitent de l'amour, de la philosophie et de la spiritualité; la plupart du temps, ils ont un accompagnement musical.
Auteur : Tilki (Participant 21)
Pour : Lili (Participant 6)
Fandom : Lost Souls / Âmes Perdues
Couple : Steve/Ghost
Rating : NC-17
Disclaimer : Ni Steve, ni Ghost, ni aucune des populations grouillantes des déserts amérindiens ne m'appartiennent. Cependant, comme Miss Brite a fini d'écrire sur ces deux garçons qu'elle adore, elle me pardonnera, je l'espère, de les avoir fait vivre à nouveau.
Prompt : Un rêve de Steve, et l'oeil de Ghost, qui n'arrive pas à s'empêcher de regarder.
Notes : Voir en fin de fic pour l'explication des références.
C'était la fin du voyage. Ils avaient traversé des déserts et des rivières, des villes de déchus et de rêves, des charniers et des edens. La vieille Thunderbird avait soufflé et craché, sa carcasse avait manqué rendre l'âme un nombre de fois incalculable; pourtant, elle avait tenu bon, engloutissant les rubans de bitume. Tous ces kilomètres pour que Lost Souls? puisse jouer, encore et encore, disperser aux quatre vents des accords à la guitare et la magie de la voix de Ghost.
Ils avaient traversé les Etats-Unis d'un bout à l'autre jusqu'à atteindre la Californie et son soleil terrible: Steve avait cru rôtir, Ghost s'était réfugié sous son éternel chapeau de paille, dans la fraicheur toute relative de T-shirts trop grands pour lui. Ils avaient donné le dernier concert de la tournée, avaient cueilli une dernière marée d'applaudissements et de frissons. Ils avaient rangé la guitare de Steve, avaient chargé leurs affaires dans la voiture et s'étaient retrouvés sur la route de l'Arizona, serpentant à travers une curieuse collection de pins, de forêts pétrifiées et de cactus.
Steve Finn n'avait pas encore réfléchi à ce qui viendrait ensuite. Ce qui venait maintenant, alors qu'ils remontaient lentement vers Missing Mile, longeant la frontière mexicaine. L'idée lui avait effleuré l'esprit, bien sûr, seulement la fin du voyage semblait si lointaine... Ce n'était qu'un mirage que l'on apercevait vaguement lorsque le soleil tapait trop fort sur la vieille décapotable, un rêve rassurant quand le regard de Ghost se voilait, quand ils faisaient une découverte de trop et qu'ils se sentaient perdus, trop loin de chez eux...
A présent, il l'avouait sans difficultés après quelques bières, la perspective de regagner sa ville natale effrayait Steve. Cette angoisse était peut-être la conséquence directe des nuits de sommeil agité qu'il passait, ces derniers temps. Il dormait mal ; il manquait de sommeil. Ou bien c'était parce qu'il avait un de ces rares éclats de lucidité sur la vie. Il lui semblait aller droit au trou noir, revenir à rien. Il avait envie de faire crisser les freins de la T-bird, de faire une manoeuvre digne des champions de course qu'on voyait à la télé le dimanche, et de revenir tout droit vers San Francisco. Ils savaient délirer, là-bas.
La main de Ghost se posa sur son poignet, fraîche au milieu de la chaleur infernale.
"T'auras jamais la place de faire demi-tour : on va tomber dans le ravin," murmura doucement le chanteur, brisant la mélodie ronronnante du moteur.
Steve grogna, ne cherchant même pas à comprendre comment Ghost avait pu deviner ses projets de profond changement d'itinéraire. C'était Ghost: il savait.
"J'suis sûr que si je braque suffisamment vite, je fais demi-tour sans problème." La patience de Ghost n'avait qu'un défaut : Steve n'hésitait pas à se montrer borné. Il n'avait rien à perdre.
Son compagnon ne s'énervait jamais, encore moins s'il avait passé les dernières heures à téter sagement un goulot de bouteille vide. "Tu sais ce qu'il nous faudrait? Une voiture volante."
"Ouais. J'en parlerai au garagiste la prochaine fois que je l'amène en réparation. Peut-être qu'il pourra rajouter des ailes."
"S'il y a un chat orange sur son enseigne, il t'arrangera ça," déclara Ghost avant de retourner à sa bouteille, fermant les yeux pour mieux apprécier le vent dans ses cheveux pâles. Il avait sur les genoux un autre cadavre de bouteille en verre, difforme et poussiéreux, acheté à des gosses malingres.
Par pur esprit de représailles, Steve désigna la chose du menton. "T'aurais jamais dû claquer cinq dollars pour ce truc."
"Je l'apporterai à Miz Caitlin en souvenir, ça lui fera plaisir," répondit Ghost, indifférent.
"Tu t'es fait arnaquer. C'est pas le soleil qu'a réussi à faire fondre ça," insista Steve.
Ghost se contenta de sourire sans répondre, et Steve réalisa qu'il n'avait plus envie de faire demi-tour. Le blues qui lui pourrissait les entrailles depuis quelques jours avait momentanément disparu.
Il voulut tendre le bras vers Ghost, l'attirer pour une accolade virile, peut-être respirer son odeur rassurante de forêt et de contes de fée, mais ça aurait fait pédale.
Ses mains agrippèrent plus fermement le volant.
Ils continuèrent leur route, se rapprochant à chaque seconde de la Caroline du Nord. La prochaine étape était une ville frontalière de taille moyenne: suffisamment grosse pour abriter une antenne de la Border Patrol, mais trop petite pour figurer dans la majorité des guides touristiques qu'achetaient les gringos.
Si la T-bird donnait des signes de fatigue, Steve l'emmènerait chez le garagiste du coin. Il espérait secrètement qu'un chat orange figurerait sur l'enseigne.
***
La ville était aussi mangée de désert que Missing Mile l'était par le kudzu. Un vent poussiéreux et lourd la dévorait vivante.
Les habitants n'étaient que des ombres, terrées derrière les stores d'enseignes écrites tantôt en espagnol, tantôt en américain. Les seuls qui sortirent dehors pour dévisager les étrangers furent des officiers des douanes, hommes bedonnants à la peau mate, posture menaçante.
Ce n'était pas encore le Mexique, mais plus tout à fait les Etats-Unis: une zone intermédiaire.
Ils prirent une chambre sans air conditionné, dans un petit hôtel miteux. La pièce comprenait deux lits séparés: comme d'habitude, ils déplacèrent les matelas afin de les coller l'un à l'autre. Ghost dormait mieux lorsqu'il sentait la chaleur rassurante du corps de Steve contre son flanc ; quant au bassiste, il était plus tranquille à proximité de Ghost, comme un molosse en territoire étranger qui n'aurait pu trouver le sommeil qu'en sachant son maître sous la protection de ses crocs.
Cette proximité avait eu ses inconvénients lors de leur voyage. Néanmoins, elle avait surtout eu des avantages: elle leur avait offert des heures de sommeil réparateur, paisible. Oui, ça avait toujours fonctionné...
...jusqu'à ces derniers jours.
Ca avait commencé après qu'ils aient laissé derrière eux Los Angeles. Ca n'avait fait qu'empirer ensuite.
Au départ, Ghost avait fait semblant de ne rien remarquer. Couché dans la pénombre, il avait écouté avec inquiétude la respiration de Steve devenir irrégulière, avait distingué les crispations qui tordaient son visage de dormeur... pourtant, avant qu'il n'ait pu essayer d'établir un contact avec son esprit endormi, son ami s'était calmé. Et Ghost avait glissé dans un sommeil agité.
A mesure que les jours passaient, le sommeil de Steve était de plus en plus perturbé.
Ghost avait essayé de lui en parler, un matin, autour d'un petit déjeuner acheté la veille dans une minuscule supérette. Il avait fini de lécher le miel sur son doigt, et avait plongé son regard dans celui de Steve.
"Tu fais des cauchemars, en ce moment."
Steve avait haussé les épaules pour signifier que le sujet n'avait que peu d'importance.
"Rien de grave," dit-il avant de se reconcentrer sur la crème épaisse qu'il avait mélangée à des céréales.
"Tu es sûr que...?"
"Ecoute, c'est juste leur bouffe qui me rend malade. Leur maïs à la con. C'est tout, j'te jure" avait ronchonné Steve. Ghost avait compris que mettre ce sujet sur le tapis dès le réveil avait été une erreur stratégique. Il avait laissé tombé.
Pourtant, il devint vite clair que les galettes et rouleaux de maïs n'avaient rien à voir avec ce qui agitait Steve. Non.
Steve venait de crier dans son sommeil. Un cri rauque d'homme torturé.
Le coeur battant, Ghost chercha des bribes de l'odeur de Steve, sueur et nuits au coin du feu à boire des bières en écoutant des histoires. Il ne trouva que des sentiments noirs, des puits qui aspiraient tous les essais de Ghost pour le calmer, pour l'apaiser. Il ne trouva que des murs autour d'une souffrance qu'il ne comprenait pas. Il se dégageait de lui une aura que Ghost détesta et qui lui laboura le coeur.
Alors, pris de panique, Ghost fit quelque chose qu'il s'interdisait en temps normal. Quelque chose que Steve aurait pu mal interpréter. Quelque chose qui aurait pu les séparer.
Sur des jambes tremblantes, il quitta son lit pour s'agenouiller au-dessus du corps de Steve. Le bassiste eut un gémissement guttural: son corps s'arquebouta entre les cuisses de Ghost, qui faillit renoncer.
Mais Steve souffrait.
Ghost posa les mains sur les tempes de son compagnon, et ferma les yeux.
Il lui fallut se concentrer, insister encore et encore, avant d'apercevoir les premières images.
Steve était couché au-dessus d'une masse de chair indistincte, floue. Son corps nu semblait luire dans les ténèbres astrales. Ghost cligna des yeux, se rappela qu'il avait déjà vu Steve nu, un nombre incalculable de fois, que ce n'était pas grave, que ça n'avait jamais rien voulu dire, alors pourquoi se laisser distraire à présent? Il se força à creuser plus loin, à attraper d'autres images.
Steve cherchait à posséder le corps informe sous lui. Non, plus qu'informe... la chose était mouvante. Un instant, Steve était en train de pénétrer Ann. Le suivant, il se livrait à un corps à corps enfiévré dans les bras d'une petite blonde aux larges seins, une fan sans doute, croisée lors d'un concert. Puis la chose fondait à nouveau en une pâte de peau se modelant sous les coups de reins de Steve, l'attirant plus profondément en elle, le faisant plier et se tordre. Steve semblait tour à tour se livrer à elle puis tenter de la fuir. Des cris inarticulés déchiraient sa bouche.
Ghost déglutit. Se força à ne plus regarder ce spectacle. Si ça avait été un rêve érotique ordinaire, jamais il ne serait resté à épier d'avantage. Il respectait toujours l'intimité de Steve, même si cela le torturait parfois, même s'il savait que jamais il ne pourrait avoir accès à cette partie de Steve dans le monde corporel, alors que ç'aurait été si facile d'en profiter ici, si facile...
Oui, vraiment, il se serait retiré du rêve. Seulement la chose sous Steve palpitait de néant et d'ombre, faisait se dresser les cheveux sur la nuque de Ghost. A son contact, il partageait sa faim sans fond, son avidité destructrice, et le souvenir du sang dégorgeant du coeur palpitant des éphèbes.
Cette chose allait tuer Steve.
Il fit de son mieux pour se concentrer, se récita ce qu'avait dit Miz Deliverance un soir d'automne, quand Ghost lui avait parlé du point d'ombre qu'il avait vu en rêve. Il se concentra et se laissa guider par le souvenir de la voix de sa grand mère. Avec d'infinies précautions, il laissa couler la lumière.
Il comprit immédiatement qu'il avait adopté la bonne stratégie: la masse de peau se mit à fondre, à goutter comme de l'argile trop liquide. Bientôt, le corps de Steve fut libéré, et disparut.
Il comprit aussi très rapidement qu'il n'était pas préparé à ce qui allait suivre. Lorsque ce qui restait d'argile se mit à siffler et à s'élever jusqu'à dessiner une figure humaine. Une femme à la peau brune et aux cheveux de nuit, qui aurait été magnifique si ses traits n'avaient été déchirés par la rage.
Elle allait passer à l'attaque, exhalant des ondes de néant. La lumière ne servirait à rien. Ghost sentit la peur lui courir dans les veines.
Il se mit à prier.
Apparemment, l'échange avait été observé de près par les puissances de ces royaumes. Un dragon orné de plumes bleues et vertes émergea des limbes en grondant. Il ondula autour de Ghost, comme pour le protéger de sa masse immense. Le médium resta immobile, les sens en alerte, attendant de voir ce qui se passerait. La femme avait reculé, crachant avec une hargne grandissante.
Alors, deux autres arrivants entrèrent dans la danse. Il y eut d'abord un jeune homme au corps argenté, orné de pierreries, qui se plaça aux côtés de Ghost, un sourire rassurant aux lèvres.
Quelques secondes plus tard, l'espace à la droite de la femme se déchira dans un grand bruit de tonnerre, laissant le passage à un guerrier immense. Il lui sembla que le nouvel arrivant n'était fait que d'ombre et de sang. Que ses yeux étaient des miroirs. Il crut entendre le sifflement d'un serpent. Il n'eut pas le temps de vérifier: le dragon avait plongé sur le couple, qui soudain disparut.
Ghost fit un pas en avant, mais avant qu'il n'ait pu se déplacer, le jeune homme couleur de lune lui saisit la main. Des doigts s'entrelacèrent avec les siens, abandonnèrent quelque chose dans sa paume.
Le battement d'ailes d'un oiseau de nuit brisa le rêve.
Ghost rouvrit les yeux à la réalité.
Son corps était trempé de sueur. Il avait mal à la tête. Sous lui, Steve dormait, la respiration régulière.
Il avait dans la main un éclat de pierre noir.
***
Ca prit Ghost le lendemain.
Steve se sentait plus reposé que d'habitude, lorsqu'il ouvrit les yeux. Ca augurait d'une bonne journée: il avait prévu de continuer de suivre la frontière, de s'arrêter peut-être dans un de ces bars où les filles dansaient à moitié nues sur les tables, établissements fréquents le long des itinéraires préférés des routiers.
A la place, Ghost le regarda sortir de la douche en sirotant une boisson non identifiée, avant de déclarer:
"J'ai besoin de voir un médecin."
Steve haussa un sourcil.
"T'es malade?", demanda-t-il. Cette option lui semblait peu probable. Ou alors, malgré leurs années de vie commune, malgré les liens qui les unissait, il connaissait Ghost moins bien qu'il ne le pensait. Son ami fit non de la tête, agitant ses longues mèches blondes, une expression indéchiffrable sur le visage.
"...T'es enceint?" Ok, c'était une blague con, mais ça valait le coup, juste pour voir Ghost s'étrangler autour d'une gorgée.
"Je veux juste voir un médecin, je dois parler d'un truc à quelqu'un."
"Y a une pharmacie à deux rues, on est passés devant en arrivant," soupira Steve.
Ghost fronça les sourcils comme si Steve venait de proférer une absurdité. "Pas ce genre de médecin." Et les deux yeux trop pâles se rivèrent aux siens.
C'était une attaque déloyale, qui faisait mouche à chaque fois.
Une heure plus tard, Steve et Ghost étaient plantés au comptoir d'accueil de l'hôtel, luttant pour se faire comprendre du gérant.
"Un foutu docteur ! Vous devez avoir ça dans ce trou, nan ?" s'énerva Steve.
Le gérant le regarda avec des yeux morts avant d'asséner pour la vingtième fois "No comprendo."
Le poing de Steve se crispa, faillit partir s'écraser en plein sur le nez du mexicain. Ghost le retint à temps. Il se plaça devant Steve, et, paraissant hésiter sur chaque mot, demanda: "Por favor... Uno... marakame?"
L'homme eut un embryon de réaction: il les dévisagea un long moment, sans prononcer le moindre mot. Steve venait de décider qu'ils avaient affaire à un rescapé de lobotomie, quand l'homme grogna "Momentito," avant de disparaitre.
Steve se retint de crier uniquement parce qu'il savait que leur situation aurait pu être pire: il avait appris, d'expérience, que rien n'était plus décourageant que "momento" sur l'échelle des ordres mexicains.
Un long moment plus tard, le gérant reparut, accompagné d'une petite femme à la peau plus sombre et ridée que l'écorce du grand chêne. Ses yeux étaient deux billes argentées.
Elle tendit les mains vers Ghost, et aussitôt Steve sentit monter en lui un germe d'inquiétude et de colère... d'autre chose aussi, peut-être, cependant il n'avait pas le temps de se lancer dans une psychanalyse: cette sorcière ne lui inspirait pas confiance et elle avait les mains sur Ghost...
Minute. Non, en fait, c'était Ghost qui avait pris les deux mains ridées au creux des siennes.
Ghost hocha la tête sans rien dire, murmura un remerciement, et fit signe à Steve de le suivre.
"Je sais où on doit aller," expliqua Ghost en vissant son chapeau de paille sur son crâne.
"Super," fit Steve d'un ton peu convaincu. ...Il le suivit néanmoins.
Ils laissèrent derrière eux les immeubles de béton tachés de poussière. Ils accordèrent un regard aux musiciens vêtus de noir, jouant devant les volutes jaunes et blanches du palais de justice. Ils dépassèrent les scarifications d'or et d'arc-en-ciel de l'église du coin.
Il fallut encore traverser les rues bordées de maisons, pavés de blancheur éclatante, avant de s'enfoncer plus loin encore, marcher jusqu'à ce que leurs pieds les torturent.
Ils finirent par atteindre le quartier des favelas, le repère des immigrés clandestins, sans cartes de séjour, ceux qui vendaient un peu de leur vie en échange d'un maigre salaire, d'un travail au milieu des pesticides ou des usines frontalières.
Alors, une fois arrivés au coeur d'un dédale de gravats et de cartons percés, devant une bicoque branlante, Ghost déclara qu'ils étaient arrivés.
Au pied du porche se trouvait la gueule grimaçante de jaguars, taillés dans une pierre couleur peau. Steve ne les quitta pas des yeux: il avait cru voir bouger celui de droite.
Ghost ne leur prêta pas la moindre attention. Il s'enfonça plus avant dans l'ombre de la maison. Steve resta sur ses talons, suffisamment près de lui pour sentir la chaleur de son pouls.
Ils étaient une douzaine, groupés autour d'un minuscule feu de cheminée, fredonnant une mélopée. L'atmosphère était étouffante. Ils étaient maigres, recroquevillés sur eux-mêmes. Un instant, Steve crut voir ces momies aztèques que l'on sortait parfois de leur sommeil, afin d'orner de leur photo des couvertures en papier glacé. Des paupières papillonnèrent, ici et là. Des yeux comme des billes de nuit détaillaient les deux arrivants.
Steve eut envie de tirer Ghost vers l'arrière pour le sortir de là.
Un homme aux traits épais et au visage orné de traces blanches se leva, à l'autre bout de la pièce. Faisant signe à Steve de rester immobile, Ghost s'avança, silhouette pure et claire au milieu des fumées et des relents d'orage.
Le jeune homme sortit quelque chose de sa poche, murmura quelques phrases d'explications que Steve ne saisit pas. L'indien ferma les yeux, oscilla d'avant en arrière.
Il s'entretint avec Ghost pendant un moment qui dura une éternité. Durant tout ce temps, Steve demeura debout, sentinelle raide et attentive. Sa gorge le brûlait; ses yeux pleuraient des larmes de poussière. Il poussa un lourd soupir de soulagement quand Ghost s'écarta et lui fit signe de sortir.
Après ça, le soleil était presque rafraichissant.
"Qu'est-ce qu'il t'a refilé?" fit Steve en désignant les deux sachets en plastique que Ghost avait à la main.
"Je sais pas trop. C'est de la part des dieux," répondit Ghost en levant devant son nez les petits sachets. Ils étaient emplis d'une poudre brune et d'une herbe séchée très verte. Steve n'aimait pas trop ça.
"Et qu'est-ce que tu vas en faire?"
"Tu verras. ...ça te dit d'aller prendre une Dos X?" Ghost pivota sur lui-même, un sourire aux lèvres, et Steve arrêta de poser des questions. Après tout, il avait bien besoin d'une bière pour se remettre. Le reste pouvait attendre.
L'utilité du cadeau de l'indien ne fut expliqué que le soir venu.
Steve venait de poser devant lui une canette de bière et s'installait pour feuilleter un magazine en anglais et espagnol peuplé de filles aux poitrines de taille respectable, quand Ghost surgit de nulle part.
"Ferme les yeux," ordonna-t-il avec une lueur taquine dans ses yeux trop bleus.
Steve était écrasé par la fatigue du jour: il obéit.
Quand il rouvrit les yeux, sa despé avait disparut. Trônait à la place un bol plein d'une tisane fumante. Et Ghost, un sourire aux lèvres, de l'air calme du prestidigitateur après un numéro bien fait.
"Tu déconnes, hein?" demanda Steve, regrettant instantanément la note de désespoir qui avait percé dans ces quelques mots.
"Tu veux bien dormir ce soir?" répondit Ghost, de ce petit ton amusé qu'il prenait parfois.
Steve capitula: il se saisit du bol d'une main et approcha le breuvage brûlant de ses narines pour en inspirer prudemment l'arôme. "C'est quoi?"
Ghost récita, aussi sérieusement qu'un écolier déclamant une poésie: "Coquelicot, houblon, valériane. Et autre chose que je n'ai pas reconnu."
"Sympa. Un bouquet. ...Tu sais, fallait pas, c'est pas la Saint Valentin." Il devait probablement ressembler à un gamin boudeur, mais vu le goût de ce truc, il se trouvait parfaitement le droit d'émettre quelques critiques. D'autant plus que... "Je dois aussi avaler ce qui traine au fond?"
Ghost cligna des yeux, de l'air du chat surpris par l'envol multicolore d'un papillon. "...ce qui traine...?"
"Le caillou noir."
Les lèvres de Ghost firent un o silencieux; une mèche de cheveux retomba sur son visage, comme une aile que l'on replie. "Tu n'es pas censé le boire, mais tu peux l'avaler si tu veux. Tu digéreras mieux le maïs."
Steve baissa la tête dans son bol, s'emplit les poumons de l'odeur d'étés morts et de roulades dans les champs secs. Il réussit à le finir sans s'étouffer.
Quand il ne resta plus au fond que la petite pierre noire, il alla s'effondrer sur son lit, signalant son exploit d'un grognement profond.
Le matelas s'enfonça sous le poids d'un corps; Steve pensa que Ghost venait lui rendait la bière en guise de récompense. Cependant, le parfum lourd et épicé qui lui fit frémir les narines le détrompa.
"Il y a aussi ça," fit Ghost en lui tendant le joint allumé.
Steve goûta distraitement les traces de la salive de Ghost, tira sur le joint. Il ferma les yeux, se laissa rouler sur le dos. La fumée qui lui réchauffa les poumons était plus capiteuse que d'habitude. Ghost se mit à chanter, une mélodie aux paroles incompréhensibles, qui lui évoquait quelque chose sans qu'il sache quoi.
Une à une, les circonvolutions de son cerveau se déroulèrent. D'une main déjà paresseuse, il repassa le joint à Ghost, sentit son sourire contre ses doigts. Les muscles de son corps se détendaient les uns après les autres.
Il le savait déjà: il passerait une nuit excellente.
***
Ghost se laissait bercer par l'herbe et le vrombissement étouffé de la route. Il avait cessé de fredonner depuis longtemps, vaincu par la danse langoureuse de la fumée. A ses côtés, la poitrine de Steve se soulevait en mouvements amples et réguliers, signe qu'il était profondément endormi.
Oui, Steve était détendu, à cet instant; il n'aurait pas peur. Il ne fuirait pas. Et Ghost avait besoin de respirer sa chaleur réconfortante. Tellement besoin, lui qui se sentait perdu, loin de son univers familier, confronté à des serpents et des créatures de nuit.
Avant que son esprit ne parte complètement en territoire mouvant, Ghost roula sur le côté, jusqu'à se couler au creux des draps trempés de sueur, enfouir le nez dans le parfum de bières et de routes. Il s'installa confortablement, dos au torse maigre, sentant la cage thoracique de Steve se gonfler comme pour se mêler à celle de Ghost. Il sourit avant de fermer les yeux.
Son rêve n'était qu'une crème de nuages, un océan blanc. Ghost s'aventura un peu au hasard dans ce paysage, attendant de voir quelles histoires les songes allaient lui apporter.
Quand il les rencontra, il n'eut pas peur. C'était les grands-parents éternels, les éclats de vie, le feu primitif. Ils lui prirent chacun un bras, le guidèrent de leurs 8 mains, écartant les brumes sur leur passage. Ghost ne pouvait penser qu'à ces quatre sourires qui le bénissaient.
Les deux hommes à sa droite s'effleuraient mutuellement de leur main libre et lui murmuraient la fusion ultime et l'amour des origines. Les deux femmes chantaient entre deux baisers une litanie faite de remerciements et de cadeaux. Ils riaient sans faire le moindre bruit: leur escorte était tout à la fois naturelle et solemnelle.
Il s'arrêtèrent brusquement. Ils soufflèrent. Tout ce qui restait de nuages autour d'eux se dissipa.
Il y avait un jeune homme et une jeune femme agenouillés, à quelques mètres: leurs têtes et leurs seins étaient parés de fleurs des champs, leur peau dorée de soleil. Ils étaient penchés au-dessus d'un corps.
Long, maigre, anguleux, cheveux en bataille et joues mal rasées, lui dévorant son visage.
Ghost retint sa respiration.
Steve.
Il tomba à genoux devant ce corps nu, offert. La peau rendue pâle par des virées sur la lune et dans les enfers terrestres baignés de fumée. Les paupières légèrement rouges, porteuses de rêves morts, et qui seraient soyeuses sous ses lèvres. Les mèches couleur aile de corbeau, indisciplinées et douces. Sous les ondulations des côtes, le ventre, mis à nu, vulnérable et...
Ghost trembla.
Il savait que ces divinités ne songeaient pas à mal, ne voulaient que le récompenser, qu'elles ignoraient tout de Steve, qu'elles ne voyaient certainement pas ça comme un viol. Il savait qu'il aurait du fuir, se couper de cette image, quitter le rêve, s'il voulait éviter que son monde s'effondre, s'il voulait garder avec lui ce qui soutenait son univers.
Cependant la fatigue des mois d'errance lui rongea le coeur. Il était épuisé. Il voulait retrouver la paix qu'il connaissait dans son nid.
Les deux jeunes dieux parés de fleurs posèrent une main légère comme les herbes folles sur son épaule. L'encouragèrent à se pencher en avant.
Et Ghost cessa de résister.
Leurs lèvres s'effleurèrent, et Ghost sentit son âme entière être traversée d'un courant électrique, un éclair bleu foudroyant, dévastateur. Ghost sentit la paroi de verre qui le séparait toujours de Steve fondre, se mêler à autre chose, et ce sentiment était tellement nouveau... tellement...
Les lèvres s'entrouvrirent et leurs langues glissèrent l'une contre l'autre. L'éclair implosa en un millier d'étincelles.
La bouche de Steve était aussi accueillante qu'elle l'avait été, tous ces soirs trop arrosés, lorsque Steve pouvait rendre l'alcool responsable de la tendresse échangée. Ghost gémit.
C'était meilleur. Bien meilleur. C'était leurs âmes qui se connectaient, leurs coeurs qui fondaient l'un dans l'autre, comme si Ghost avait soudain accès à tout ce qu'était Steve, comme si Ghost abandonnait toutes les barrières qu'il avait dressé pendant des années autour de lui.
Il lui sembla qu'il pleurait, des larmes de soulagement, celles que l'on verse en trouvant une source pure, après avoir erré toute une existence dans le désert. C'était une sensation absolue, vertigineuse.
Et puis quelque chose commença à déraper.
Un sentiment de peur le submergea: il n'aurait pas du faire ça, non, il ne pouvait pas. Il sentit la culpabilité lui tordre l'âme. Peut-être que Steve ne voulait pas ça, peut-être... Il paniqua.
Il fuit.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, la première chose dont il eut conscience fut la lumière, aveuglante malgré les stores baissés. Le soleil du matin nouveau qui se lève.
La seconde chose dont il prit conscience fut la bouche contre la sienne, le goût de Steve, et son odeur.
Il s'écarta, coeur battant plus vite qu'un cavalier de l'orage. Le lien entre eux s'atténua.
Steve était réveillé. Steve le fixait d'un air perdu, le souffle court. Steve avait l'expression hésitante qu'il adoptait généralement lorsque Ghost le prenait en faute.
"Ghost, je... je suis désolé, je sais pas ce qui..."
Il chercha des yeux autour de lui, à la recherche peut-être d'un t-shirt pour retrouver un peu de dignité, ou pour chercher une issue de secours.
"Je voulais pas..."
Il bredouilla le reste de sa phrase, cherchant à sortir du lit dans le même temps.
Ghost lui saisit le poignet pour l'immobiliser.
C'était incroyable, ce contact. Une seconde de séparation puis être connecté à nouveau. Commencer à apprivoiser cette nouvelle sensation, différencier ses sentiments de ceux de Steve, ne pas les laisser s'emballer dans une tornade de peurs et d'hésitations... calmer Steve, qui devait avoir ressenti cet échange, oui, qui avait agi concrètement, avec ses mains et son corps, selon la vieille méthode instinctive brevetée Steve Finn. Calmer Steve, qui avait finalement paniqué, entraînant avec lui Ghost sans le vouloir, Ghost qui ne savait pas encore, mais qui comprenait, maintenant, oh oui...
Steve ne voulait pas fuir parce qu'il ne voulait pas de Ghost. Il n'allait pas le détester. Il était mal à l'aise, oui, et hésitant. Cependant, cela n'était que le résultat de moqueries entendues dans les cours de récréation, de réflexions haineuses de son père, de ses propres doutes et incertitudes....
Ghost relâcha progressivement son étreinte sur le poignet de Steve. Sa main remonta lentement le long de son bras. Jusqu'à effleurer doucement ses tempes, pour ne pas rompre le contact intime, mais ne pas forcer non plus...
"Tu me fais confiance...?" Ghost n'avait pas réellement besoin de poser cette question. Il savait. Néanmoins, Steve avait besoin d'entendre ces mots.
C'était une clé. Il suffisait de doucement l'utiliser, pour finir par ouvrir cette porte terriblement impressionnante, pour dévoiler le chemin vers un territoire sur lequel ni l'un ni l'autre n'avait eu le courage de s'aventurer.
Steve avait peur, oui. Pourtant, pas plus qu'il n'avait reculé devant la forêt de royaumes morts, ce soir d'octobre, il ne perdit courage. Il fixa Ghost un long instant, hésitant, tremblant presque, de précieuses secondes durant lesquelles Ghost laissa tomber le peu de barrières qui restaient encore entre eux, pour que son ami comprenne, qu'il sente... Les pupilles de Steve étaient dilatées, mangeaient son regard sombre. Il hocha doucement la tête.
Ghost lui offrit son sourire, une caresse légère contre ses lèvres, un baiser aussi doux qu'une bulle de coton.
Et Steve, Steve qui était rongé de doutes mais qui tentait d'être honnête avec lui-même, l'éternel Steve Finn, ouvrit la bouche. Leva les bras pour attirer à lui Ghost.
Ils restèrent ainsi, l'un contre l'autre, coeurs apaisés et corps fiévreux, impatients de compléter leur union, comme s'ils ne pouvaient supporter plus longtemps de rester séparés. Ils cherchaient à retrouver leur intégrité, retrouver cette moitié d'âme perdue, redevenir complets, entrevoir l'absolu.
Ghost sentit leurs sueurs se mêler, créer un nouveau nectar au goût unique, le sel de la peau de Steve et la saveur giroflée de l'essence de Ghost. Il sentit les courants d'énergie qui passaient entre eux s'enflammer, sentit un peu de sa conscience partir, emportée par les vieux instincts, par les cris de son corps.
A mesure que ses battements de coeurs se précipitaient, Steve devenait moins hésitant. Il repoussa Ghost vers l'arrière, couvrit sa gorge de baisers, et ses mains se perdirent sur le corps de Ghost au gré de caresses appuyées, fortes, là où auraient dû se trouver des seins, là où auraient dû se courber les hanches, là où des plis humides auraient dû l'accueillir... Quand ses doigts atteignirent l'érection tendant le caleçon de coton de Ghost, il eut un sursaut, voulut retirer sa main. Ghost lui attrapa le poignet avec précaution, le guida vers le membre gonflé en lui murmurant mentalement des paroles apaisantes.
Il faillit crier lorsque Steve le prit en main. Ghost avait déjà vaguement ressenti ces fièvres, les avait devinées dans les souvenirs de corps à corps, dans les propositions d'adolescents dans des toilettes sales ou dans des baisers volés par quelques âmes de passage. Mais ça n'avait rien à voir avec ce qu'il ressentait à présent.
Il voulait que ça ne s'arrête jamais, que Steve continue de toucher, ici, oui, et lorsqu'il effleurait le gland du bout du pouce, qu'il faisait exploser des étincelles dans le bas-ventre de Ghost, oh dieux...! Il ne pensait plus. Tout son corps se tendait vers cette exquise torture, pressait Steve de mettre plus de force, oui, plus de force...
Ghost gémit en sentant l'éclair de plaisir le traverser. Il se contracta lorsqu'il jouit.
Il resta immobile un instant, incapable du moindre mouvement. Il se reconnecta petit à petit au monde réel, au rythme de la pluie de baisers angoissés que Steve déposait sur son front.
"Steve..." réussit-il à exhaler dans un sourire, et aussitôt, la bouche au goût de tabac froid et d'errances fut sur la sienne. Ghost réalisa que c'était ce qu'il voulait, rester ainsi connectés, toujours.
Il réalisa aussi, avec un temps de retard, qu'il s'était égoïstement laissé emporter par le plaisir.
Se laissant guider par son instinct, luttant pour se souvenir des bribes de rêves qu'il avait perçues, il les fit rouler tous les deux sur le côté, de sorte qu'il pouvait faire face à Steve, continuer de l'embrasser sans rester écrasé sous lui. Surtout, cela lui dégageait une main, et il tenta d'imiter ce qu'avait fait Steve, laissa ses doigts explorer le corps de son amant, s'attardant sur les tétons qui faisaient frissonner Steve, puis sur la peau tendue de son bas-ventre et de son aine.
'Comme avec une fille, mais par derrière, du calme, c'est comme avec une fille...' faisait l'onde de nervosité qu'exhalait le ventre de Steve. Ghost eut un petit rire léger.
"Plus ou moins," répliqua-t-il à voix haute, et Steve fronça les sourcils. Sa tête retomba lourdement lorsque la main de Ghost effleura sans le vouloir son sexe dressé. Juste pour voir l'effet que cela produirait, Ghost recommença, un peu plus fort, un peu moins innocemment: Steve prit une inspiration entre ses dents serrées. Le bras qu'il avait passé autour de Ghost se crispa un peu.
Se laissant emporter par le plaisir qu'exhalait chaque pore de la peau de Steve, Ghost continua ses mouvements de va-et-vient autour du sexe tendu. A un moment, inquiet, il s'interrompit, juste le temps de s'humidifier la main: les cils à demi-baissés, Steve l'observa se lécher la paume et les doigts. Les ondes de plaisir doublèrent lorsque Ghost reprit ses caresses.
Il s'émerveillait de sentir ce sexe lourd dans sa main, à peine moins long que le sien, veines gonflées et rougies, de la couleur d'un fruit mûr. Il rit intérieurement de son association d'idées, se demandant s'il fallait le goûter, le sentir fondre contre sa langue, s'abreuver de son jus...
Cependant, il avait bien trop fait durer les choses. Steve perdait pied.
Ghost fut soudain ramené à sa position initiale, le lourd corps de Steve au-dessus du sien, désespéré d'augmenter la friction entre eux deux, de se plonger au sein d'une chaleur accueillante. Il lui dévorait la gorge de baisers, suçait avidement la peau: Ghost sentit les vagues du plaisir l'emporter à nouveau.
Ils jouèrent avec le corps de l'autre avec une urgence renouvelée, jusqu'à ce que soudain Steve écarte plus fermement les jambes de son partenaire, guide ses cuisses jusqu'à placer son sexe contre les fesses de Ghost. Le médium cligna des yeux, lutta contre l'appréhension qui l'avait saisit: il se mordit la lèvre inférieure, se força au calme, tout en essayant désespérément de savoir ce qu'il devait faire, si...
"Dans mon jean..." grogna Steve, regard aveuglé par la fièvre, mains fouillant dans le sac plastique lui servant de trousse de toilette. Au milieu du kaléidoscope d'images que Steve envoyait, Ghost réussit à apercevoir la poche arrière du jean sale, les pochettes que l'on déchire du bout des dents, la fine membrane que l'on déroule.
Se penchant avec précaution, il attrapa le jean abandonné au sol, en sortit un préservatif. D'une main légèrement tremblante, il ouvrit l'emballage, plaça le disque de latex sur le sexe tendu, en pinça légèrement le haut. Le déroula lentement. Il prit une grande inspiration lorsque les doigts de Steve vinrent masser son anus, y appliquant une substance froide.
Et puis...
Ghost plongea ses yeux dans ceux de Steve.
D'un regard, il lui transmit toute la confiance et l'amour qu'il avait pour lui. 'Je ne te laisserai pas tomber, Steve Finn. Jamais.'
Steve s'enfonça en lui lentement, prenant appui sur le matelas, attendant que Ghost lui fasse signe de commencer à bouger.
C'était bon. Obtenir enfin ce qu'ils avaient toujours voulu tous les deux. Leur compagnon sur la route du grand hiver.
Les mouvements de reins de Steve s'accélérèrent. Ghost cueillit ses larmes une à une, du bout des lèvres, tendrement, jusqu'à ce que le sexe enfoncé en lui effleure un point de plaisir caché quelque part dans ses entrailles, le faisant se courber, crisper ses muscles autour de Steve.
Il ne sut pas qui d'entre eux avait crié lorsque l'orgasme les prit. Ils glissèrent dans le sommeil, ensuite, un repos que ne troublèrent ni dieux ni monstres, un écho de la paix ultime, le délice d'une petite mort.
***
Ils ne discutèrent pas de ce qui venait d'arriver. De ce qui se passerait ensuite. Steve n'était pas certain de vouloir s'aventurer sur ce terrain-là.
Au réveil, il avait passé un long moment à contempler Ghost endormi. Il s'était passionné pour la manière dont une des mèches de cheveux pâles se soulevait en rythme avec sa respiration. L'expression paisible qu'il arborait, confiante, le visage de celui qui détient tout le savoir du monde, qui connait les jours passés et les siècles à venir.
Quand Steve fut un peu plus réveillé, il ne put s'empêcher de noter qu'en dépit de sa beauté éthérée, le corps de Ghost possédait une mâchoire carrée, des hanches étroites, une maigreur ne laissant que peu de place aux formes charnelles. Sa pomme d'adam cassait la colonne pâle qu'était son cou.
Steve promena ses yeux sur la petite chambre miteuse: pas de lingerie délicate au milieu des habits gisants au sol.
Steve alla se réfugier sous une longue douche froide, parce qu'il était trop tôt pour de la tequila.
Quand il en sortit -en ayant bien pris soin de se vêtir entièrement-, Ghost avait préparé un petit déjeuner de fortune. Des biscuits, un yaourt et un gobelet de café instantané l'attendaient.
Ghost, aussi étrangement que cela puisse paraître, ne paraissait pas affecté par ce qui s'était passé. La seule chose qui le différenciait du Ghost d'avant, c'était le petit sourire s'allumant dans ses yeux bleus, chaque fois que son regard se posait sur Steve.
C'était incompréhensible. Steve, lui, avait toutes les peines du monde à ne rien laisser paraître de son malaise, à arrêter de se répéter que Ghost était son bon dieu de presque frère, et qu'on ne fait ce genre de choses avec un frangin. Surtout, il essayait de s'empêcher de remarquer les suçons sur la peau pâle, ou la manière dont Ghost se baissait pour ramasser son sac de voyage usé.
Parce que *non*, ce n'était pas *normal*
En revanche, il s'autorisa un regard intimidant à l'attention du gérant, qui s'était permis de murmurer quelque chose à l'oreille de Ghost.
Ils n'évoquèrent pas non plus le sujet alors que Steve conduisait. Ghost se contentait de chantonner un vieux tube des années 50 d'un air rêveur, tête appuyée au bord de la portière. Steve se sentait tour à tour déçu de ne pouvoir crever l'abcès, et soulagé de ne pas avoir à affronter une discussion perturbante alors qu'ils longeaient le bord d'un à-pic. Si Steve était responsable de la mort de Ghost, la dernière goutte de magie en ce monde, il s'en voudrait jusque dans la tombe. Et sans doute au delà.
Ils finirent par s'éloigner de la frontière, suivirent une nationale qui fendait de grandes plaines désertiques. Ils avaient roulé pendant presque une demi-journée. Et Steve se rendait toujours dingue à force d'efforts pour ne pas penser.
"Pour vaincre l'anxiété, ma grand-mère disait qu'il suffisait d'avoir sur soi un sachet empli de gros sel, de houx et d'un clou rouillé, fermé par un ruban rouge." Ghost marqua une pause avant d'ajouter. "Mais tu pourrais aussi crier un grand coup."
Steve jeta un regard en coin à Ghost, immobile sur le siège du passager, yeux fermés et air calme, comme s'il n'avait rien dit.
Ils continuèrent de rouler en silence, jusqu'à ce que les nerfs de Steve ne lâchent.
"Ghost, je suis désolé. Je..." Steve s'interrompit lorsque la main de Ghost s'égara sur sa nuque.
"Tu ne peux pas me mentir, Steve Finn. Tu n'es pas plus désolé que moi."
Les doigts sur sa nuque commencèrent un léger massage. "Je suis heureux."
Il se demanda toute sa vie s'il s'était laissé emporter, ou si un courant chaud comme un après-midi d'été avait vraiment couru de la main de Ghost au reste de son être. Une onde d'amour, rassurante et protectrice.
Son bras attrapa Ghost de son propre accord, entoura ses épaules avec toute la tendresse maladroite dont Steve était capable. S'il fut surpris d'abord de cette démonstration d'affection intime, Ghost le cacha bien.
Il eut un sourire, et ferma les yeux en posant la tête sur l'épaule de Steve.
Leurs cheveux entraînés par le vent se mêlaient, mèches d'or et d'ombre.
"...Je t'aime."
Notes:
-Les Dieux Aztèques qui font une apparition dans ce texte font partie des plus connus du panthéon. On a d'abord Quetzalcoalt, le "serpent à plumes", dieu de la Terre, de l'Air, du Vent et de l'Eau, force de vie, dieu pacifique protecteur des humains. Il se trouve ici opposé à son ennemi éternel, Tezcatlipoca, le sanguinaire, divinité des guerriers, des magiciens et des esclaves, soleil nocturne, souvent représenté avec un pied sur un miroir d'obsidienne et l'autre sur une tête de serpent. Omniscient, doué du don d'ubiquité, il punit ou récompense les humains selon leurs actions (pour la petite histoire, Quetzalcoalt et Tezcatlipoca sont deux incarnations de Tezcatlipoca lui-même ^^;;; ).
Notez que vous avez aussi pu apercevoir la compagne de Tezcatlipoca, la déesse de l'amour illicite et de la luxure, Tlazolteolt.
Notez aussi qu'un avatar de Quetzalcoalt est à l'origine du soleil, tandis qu'un jeune éphèbe paré de jade et d'obsidienne est devenu le dieu de la Lune: il s'agit de Tecciztecatl, qui récompense Ghost d'un éclat de pierre.
Dans le second rêve, vous avez pu apercevoir le couple divin, créateur des dieux, divinités de la procréation, dont j'ai brodé les aspects à partir de la signification de leurs noms: les "deux dames" sont nommées Omecihuatl, tandis que les "deux seigneurs" s'appellent Ometecuhtli.
Enfin, le petit couple bucolique était composé des dieux des Fleurs, de la Jeunesse, de la Joie, de la Beauté, de la Danse, de la Poésie et de l'Amour, Xochipilli et Xochiquetzal.
-Un Marakame est un chaman, à la fois barde et guérisseur, au Mexique.
-Il y a une ville aux USA qui s'appelle Truth or Consequences O.o;; Oui, je sais, ça a pas de rapport avec ce texte, mais bon... j'ai découvert ça en regardant des photos aériennes des USA pendant la pèriode de recherche d'infos, donc... ça a un léger rapport, sisi ^^;;
-Le titre vient des Chants de Dzitbalché, un recueil rassemblant les paroles d'anciens poèmes Mayas qui ont survécu jusqu'à notre époque. Les poèmes traitent de l'amour, de la philosophie et de la spiritualité; la plupart du temps, ils ont un accompagnement musical.