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Titre : Pour une poignée de fleurs bleues
Auteur : Chester (Participant 3)
Pour : Renge (Participant 19)
Fandom : Contes de fées
Persos/Couple : Pierre
Rating : G
Disclaimer : Domaine public pour le conte de Raiponce, les personnages sont à moi
Prompt : Je voudrais un conte où le prince est enlevé et c'est à la princesse/bergère de l'aller sauver, et d'ailleurs ils peuvent même ne pas finir ensemble à la fin (lui avec son beau chevalier et elle avec une gentille sorcière) ! Inspire-toi du conte que tu veux.
Notes : En fait, la suite du conte numéro 1, La femme en rouge (même héros, mais peut se lire indépendamment).


Pierre cheminait depuis deux semaines sans avoir rencontré âme qui vive. Il commençait à regretter amèrement de ne pas avoir été plus attentif en cours de géographie, se contentant de recopier les devoirs sur son frère aîné que le sujet passionnait. Mais en principe, en allant toujours tout droit devant, il finirait bien par aboutir quelque part, non ? Lorsque, enfin, les arbres s'éclaircirent pour laisser place à une clairière, il se retint à grand peine de courir en avant en dépit de sa fatigue. À son grand désappointement, toutefois, il n'y trouva aucune autre construction qu'un muret de pierre qui clôturait une sorte de jardin. Il avait faim. Il ne possédait pas non plus le talent de son aîné pour la chasse, ni de quelconque habilité à faire la cuisine. Depuis quinze jours, il s'était contenté de baies cueillies au hasard des buissons, au mieux d'œufs trouvés par chance dans le nid d'un faisan. Qui disait muret de pierre disait potager, raisonnait son esprit affamé. Hélas, il ne poussait dans l'enclot que des fleurs bleues à la tête hérissée dont il lui semblait vaguement se souvenir que le nom était « raiponce ». Il se demanda si c'était comestible. Il en avait vu dans les jardins du château, mais sans savoir s'il s'agissait de plantes ornementales ou potagères. Peut-être pouvait-on manger les feuilles en salade ? Ou alors cela fonctionnait comme les carottes, la partie intéressante se trouvait sous terre ? Histoire d'en avoir le coeur net, il saisit l'une des longues tiges poilues et tira. Un hurlement aigu retentit presque aussitôt. Surpris, il se retrouva sur le derrière alors qu'une ombre menaçante recouvrait son champ de vision.

— Comment oses-tu toucher à mes raiponces !? crépita une voix de crécelle.

— Je suis désolé, je ne savais pas qu'elles étaient à vous, s'excusa Pierre. Nous sommes en pleine forêt, et il n'y avait personne.

— Cela ne t'autorise pas pour autant à prendre ce qui ne t'appartient pas. Enfin, on n'y peut rien. Tu as touché, tu dois payer.

— Je n'ai pas d'argent... commença l'adolescent.

— Je me contenterai de ta vie, grinça la crécelle.

Cinq doigts tordus par l'âge, munis d'ongles qui ressemblaient davantage à des griffes et qui n'avaient pas du voir l'ombre d'un savon depuis des siècles encadrèrent le visage du malheureux.

— Relève-toi et suis-moi.

Pierre s'empressa de se redresser, avec la ferme intention de s'enfuir dans la direction opposée à celle de cette silhouette courbée sous la vaste capeline qui ne laissait rien voir de son visage. Hélas, ses jambes se révélèrent d'avis contraire et emboîtèrent le pas à la sorcière en dépit de tous ses efforts pour les maîtriser.

Ils marchèrent cinq heures ou cinq minutes, il n'aurait su le dire avec exactitude. Lorsque la silhouette devant lui s'arrêta brutalement, ce fut comme si une main invisible le retenait par sa veste entre les deux omoplates. Il pila, cherchant sa respiration.

— Avance, lui ordonna la crécelle.

Tout aussi involontairement qu'il s'était arrêté, il reparti vers l'avant. Une porte s'ouvrit dans un mur de pierre dont il aurait juré qu'il n'était pas là l'instant d'avant.

— Monte.

Au bout de la cent vingt troisième marche d'escalier en colimaçon, il cessa de compter. L'ascension semblait ne pas avoir de fin.

— Entre.

Il tenta de monter une marche qui n'était plus là, manqua trébucher, se rétablit de justesse et poussa la porte qui signifiait la fin de son supplice. Une pièce ronde percée de quatre fenêtres s'ouvrait sous les toits, au centre de laquelle un fauteuil d'un bleu profond semblait lui tendre les bras. Il s'y jeta, dans l'attente de nouvelles instructions. Le tissu était d'une douceur incomparable sous sa joue, le rembourrage de plumes douces l'enveloppait comme un cocon. Il ne tarda pas à sombrer dans le sommeil.

Lorsqu'il se réveilla, une lumière rougeâtre filtrait par l'une des fenêtres. Il se releva péniblement, fourbu, s'approcha de l'embrasure pour reculer aussitôt. Il se trouvait plus haut qu'il n'était jamais monté et le vertige lui donnait la nausée. Il recula sans trop d'espoir vers la porte... qui n'existait plus. Il se frotta les yeux, refit une vérification complète de la salle : les seules ouvertures, désormais, étaient ces fenêtres qui donnaient sur le vide. La crainte lui broya le coeur : se trouvait-il emmuré vivant, condamné à mourir de faim ? Le jeûne déjà faisait danser des étincelles devant ses yeux.

Il décida à tout le moins d'explorer sa prison avant de se laisser aller complètement au désespoir. Quatre fenêtres, un fauteuil, un grand lit à baldaquin, une coiffeuse ornée d'un miroir et garnie de tout le nécessaire pour une coquette, du côté opposé une bibliothèque, un chevalet supportant une toile vierge, et ô miracle une petite porte laquée. Pierre se rua vers elle, poussa un grand coup et manqua s'étaler de l'autre côté, dans un minuscule cabinet de toilette. De la baignoire à la chaise percée, rien ne manquait au confort des lieux qu'une possibilité d'évasion. Dépité, il ressortit, vérifia le mur opposé : pas de porte, mais une sorte de placard fermé de deux battants laqués du même bleu que celle du cabinet de toilette. Lorsqu'il les ouvrit, une odeur délicieuse se répandit dans la pièce. Pain frais, soupe chaude, beignets de viande lui mirent l'eau à la bouche. Il enleva le plateau, le déposa sur la table basse devant le fauteuil et vérifia qu'il n'existait aucune ouverture dans la niche où il l'avait trouvé. Dépité, il entreprit de faire néanmoins honneur au repas. Dans le pichet, il trouva non pas de l'eau, mais une sorte d'infusion désaltérante, au goût frais et fleuri. Peut-être ces fameuses raiponces sur lesquelles il aurait été mieux inspiré de ne jamais poser la main ?

Une fois repus, il rangea le plateau dans son logement, puis se dirigea vers le cabinet de toilette. Une main passée sous le robinet de la baignoire suffit pour l'emplir d'une eau tiède et parfumée. Il s'y glissa avec plaisir. S'il devait vivre dans une prison, au moins était-ce une prison dorée.

Effectivement, les jours suivants, il constata que rien ne lui manquait. S'il consacra la première semaine à trouver une possibilité d'évasion, il eut bien vite fait le tour de la pièce et dut se rendre à l'évidence.

Aussi passa-t-il par la suite ses journées à lire ou à peindre, tout en guettant par la fenêtre un improbable visiteur. Mais il ne passait jamais que des biches ou des lapins qui s'enfuyaient au son de sa voix. Au moins, se consolait-il, il serait plus calé que son frère en histoire et en géographie le jour où il ressortirait : les livres de la bibliothèques offraient une source de connaissances infinie, et renouvelable. Il avait entrepris de compter les jours à l'aide d'encoches sur le montant du lit, mais il eut bientôt une nouvelle source de mesure du temps : ses cheveux, qui poussaient à une vitesse suspecte. L'ennui, c'était qu'il n'avait aucun moyen de les couper : nul ciseau dans ses tiroirs, nul couteau sur ses plateaux où la nourriture arrivait déjà découpée en morceaux. Ils atteignirent bientôt ses épaules, puis le milieu de son dos, puis ses fesses, puis le sol. Chaque matin il passait plus de temps à les coiffer. Un jour, se prit-il à espérer, ils seraient suffisamment longs pour atteindre le bas de la tour, et alors il pourrait s'évader. N'était-ce pas là le plan de la sorcière ? Rasséréné par cette idée, il se mit à entretenir avec d'autant plus de soin sa chevelure.

Un matin, alors qu’il venait à mettre la dernière touche à un portrait de mémoire de son frère, il entendit une voix sous ses fenêtres. Ce n’était pas la voix cassée de la sorcière, mais une voix jeune, vibrante : vivante. Il se rua dans l’embrasure de la fenêtre est. En bas de la tour, un jeune garçon le hélait.

— Ohé, là-haut ! Comment on monte ?

Il voulut lui faire signe qu’il n’existait aucun moyen d’accès, mais un mouvement maladroit défit la chevelure qu’il tenait attachée dans son dos, cent fois repliée sur elle-même. Les fils d’or se déroulèrent le long de la muraille : à la grande surprise de Pierre, ils atteignaient quasiment le bas du mur.

— Faut grimper ? grogna le jouvenceau, mécontent. Vous auriez pu faire un escalier.

Avant que Pierre n’ait eu le temps de lui expliquer la situation, il avait empoigné les cheveux à pleines mains et progressait telle une araignée le long de la tour. Le prisonnier en fut réduit à tirer à son tour de toutes ses forces sur la chevelure malmenée pour empêcher son cuir chevelu de s’arracher. Son humeur s’en vit quelque peu égratignée lorsque le visiteur parvint à la fenêtre. Ou plutôt, rectifia-t-il mentalement, la visiteuse. Si elle portait les cheveux courts ainsi que des vêtements masculins, ce qui l’avait trompé de loin, la courbe de sa poitrine était indubitablement féminine.

— Au lieu de mater mes seins, tu pourrais me dire où est rangé ce fichu Codex ? s’impatienta l’objet de ton attention.

Pierre rougit jusqu’à la racine des cheveux et balbutia quelque chose d’inintelligible tout en s’efforçant de regagner la maîtrise de ses pensées.

— Codex ?

— Ouais. Un gros bouquin à la couverture marron avec des fleurs incrustées sur la couverture. Des raiponces y parait.

— Ah, ça.

Pierre y avait jeté un œil deux jours auparavant, mais n’avait rien compris aux caractères qui ne correspondaient à rien de ce qu’il connaissait.

— Tiens.

La fille lui jeta un coup d’œil suspicieux.

— Tu me le donnes comme ça ? Tu n’es pas censé être le gardien ou quelque chose du genre ?

— Pas du tout ! Je suis prisonnier ici, si tu me sors de là tu peux prendre tout ce que tu veux.

— Prisonnier ? Pourquoi tu n’as pas utilisé tes cheveux pour sortir ?

— Ben, je ne savais pas qu’ils étaient déjà si longs… Et puis il faudrait que je les coupe pour pouvoir faire une corde et je n’ai rien pour ça.

Une lame étincelante brilla soudain sous sa gorge alors que la jeune fille empoignait la chevelure blonde de l’autre main. L’espace d’un instant il pensa qu’elle allait l’égorger pour pouvoir s’enfuir avec le codex, lorsque le poids tirant sur sa tête s’allégea considérablement.

— T’as qu’à faire une échelle de corde le temps que je vérifie la bibliothèque, lança la jeune fille alors qu’il considérait, hébété, l’amas de boucles blondes gisant au sol. Ses cheveux se trouvaient à présent coupés à hauteur des épaules, de façon asymétrique mais il n’allait pas s’en plaindre. Il noua à la hâte le reste pour former une sorte d’échelle sinon réussie du moins suffisamment solide pour supporter le poids de deux personnes. Lorsqu’il releva la tête, la fille contemplait le portrait qu’il avait achevé un peu plus tôt dans la matinée.

— C’est qui le mec à côté de toi ?

— Mon frère.

— Il est pas mal, faudra que tu nous présentes.

Pierre réprima l’agacement familier à constater que dès que Galaad apparaissait dans le secteur, fut-ce en peinture, il n’existait plus pour personne, pour suggérer qu’ils se sortent de cette pièce avant le retour de la sorcière.

Hélas, à peine avait-il posé le pied sur le sol qu’une main crochue s’abattit sur son épaule accompagnée d’une voix qui le fit involontairement grincer des dents.

— Alors comme ça, on voulait nous fausser compagnie ? C’est très vilain, ça…

— Mais elle nous saoule, la vioque, commenta une autre voix un peu au-dessus de Pierre.

La sorcière releva la tête juste un peu trop tard : l’arme de la jeune fille avait atteint son but, en plein cœur. Pierre contempla la mare de sang noir qui s’étalait peu à peu autour du corps avant de reporter son attention sur sa sauveuse.

— Comment tu savais que c’était une méchante ?

— Sa tronche me revenait pas.

— Oh. Euh. Merci. Comment tu t’appelles, au fait ?

— Fiona.

— Tu es une princesse ?

— ça va pas, non ? J’ai une tête de princesse ? Je suis une mercenaire, moi. Et ça, ajouta-t-elle en tapotant la reliure de cuir, ça va me rapporter un bon paquet.

— Ah. C’est bien. Et euh, tu vas par où ?

— Je retourne à Lucrèze.

— Moi aussi !

Grâce à ses lectures, Pierre avait désormais une meilleure idée de l’endroit où se situait Lucrèze, sur la côte ouest des Terre du Levant. Loin. Ce qui lui convenait parfaitement – et cela n’eût-il pas été le cas, il s’en serait accommodé plutôt que de demeurer seul.

— On n’a qu’à faire la route ensemble.

— ça dépend. Qu’est-ce que tu sais faire ?

— Euh…

— Tu sais te battre ? Lire les cartes ? Voler ? Tirer à l’arc ? Jouer ? Ou au moins t’occuper des chevaux, de la cuisine… ?

Le nez de Pierre baissait un peu plus à chaque énumération. Il finit par lâcher d’une petite voix.

— Peindre ?

Un gros soupir échappa à Fiona.

— Bon, je suppose qu’il va falloir faire avec. Mais que jusqu’à Lucrèze, hein. Après tu te démerdes.

— Promis !

Pierre avait retrouvé d’un coup tout son enthousiasme, comme si le fait d’avoir été soulagé de la masse de ses cheveux avait du même coup libéré son esprit.

— Au fait, on devrait prendre quelques raiponces.

— Pourquoi ?

— Je pense que l’infusion aurait un bon succès auprès des personnes affligées de difficultés capillaires… les chauves, quoi ! Crois-moi, ça marche du tonnerre.

Un coup d’œil à l’échelle de cheveux suffit pour convaincre Fiona. La jeune femme et son aide passèrent une journée entière à cueillir des fleurs puis à les faire infuser pour en remplir des flacons vides trouvés chez la sorcière. Suite à quoi ils prirent le chemin de Lucrèze, l’esprit chargé de rêves de gloire et de liberté.

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