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Titre : Better Days
Auteur : Tofee (Participant 27)
Pour : La faucille de Jeaneton (Participant 17)
Fandom : Spiral : les liens du raisonnement
Persos/Couple : Eyes/Kanone (Kôsuké, un peu de Ryôko, mention de Ryôko/Kôsuké)
Rating : PG-13 (slash, vaguement kinky sans être graphique ni réellement sexuel (voir prompt), allusions/mentions de (des tentatives de) meurtre, de suicide, et de maltraitance conjugale (consensuelle). Fluffy.)
Disclaimer : Les personnages et scénario appartiennent à Shirodaira Kyou, Eita Mizuno, Square Enix, etc.
Prompt : "Kanone/Eyes. Happy(?)AU où ils sont vivants, à la manière de Kousuke et Ryouko.
Ils jouent avec la mort pour se rappeler qu'ils sont vivants, et que si l'un pète un plomb, l'autre sera capable de l'arrêter (mais le sera-t-il?). Dans ma tête c'était plutôt pour du kinky, mais si tu n'arrives pas à pousser le rating, tu peux faire dans le plus général. (Si kinky il y a, je pensais au fait qu'il n'y a bien que eux pour faire entrer autant de violence retenue (sang, etc) dans une relation, mais surtout pour le faire uniquement avec douceur, amour, sans réelle confrontation. La violence est ce qu'ils sont, pas quelque chose qu'ils infligent) Bonus points si les réflexes de Kanone sont mis en jeu."
Notes : J'ai été distraite par l'aspect AU plutôt que de me focaliser sur la partie jouer-avec-la-mort du prompt, mais Kanone étant ce qu'il est, c'est pas happy pour autant. Et Eyes est ridicule, je suis vraiment désolée.
Vagues références vaguement spoilerifiques pour la fin du manga, donc (même si c'est AU) ; et pour rappel, Kousuke est l'aîné des BlaChil, Kanone est le suivant avec environ un mois de moins.
À quatre heures du matin, Eyes est réveillé par le bruit sourd de coups sur un mur dans la pièce d'à côté.
À une époque, il aurait roulé sur lui-même jusqu'au bord du lit et sorti un revolver du tiroir de la table de nuit avant même d'ouvrir les yeux. Aujourd'hui, il sait qu'il peut prendre son temps pour se réveiller, se frotter les paupières, s'étirer, qu'il n'y a pas d'urgence particulière, que Kanone va peut-être réussir à se faire saigner mais ne va pas s'ouvrir les veines sans l'avoir prévenu (sans lui avoir demandé la permission).
Eyes a la chair de poule ; en plus de l'absence de corps chaud à côté de lui, la fenêtre est restée ouverte (un autre luxe d'imprudence qu'ils ne se permettent que depuis récemment) et l'air glacial de la nuit nord-américaine a envahi la chambre. Il récupère au sol la robe de chambre pelucheuse fournie par l'hôtel, s'en enveloppe, et pousse du pied la porte de la salle de bain.
Kanone ne sursaute pas à strictement parler : il interrompt le mouvement automatique de sa main vers la jugulaire d'Eyes. (Il continue de prétendre qu'il contrôle, et Eyes continue de ne pas le croire, de ne jamais le ménager, et de ne pas s'inquiéter. Ils ont eu cinq incidents le mois dernier, mais cela va bientôt faire trois ans depuis la dernière fois que Kanone a réellement failli le tuer.)
Eyes bâille. Kanone lui envoie un sourire désarmant et désespéré par le biais du miroir. Au moins, la glace est encore intacte ; les phalanges de Kanone sont rouges, mais ce ne sont que des éraflures, les saignements sont minimes.
Les doigts de Kanone sont légers comme des ailes de libellule quand ils encadrent son visage ; encore maintenant, il semble toujours avoir peur de tenir Eyes trop fort, de l'enserrer — pas de le casser, mais de briser ses liens avec le monde autour d'eux. Eyes s'en moquerait, bien sûr, mais pas Kanone. C'est ridicule, comme beaucoup de choses à propos de lui, son insistance à refuser de croire vraiment qu'Eyes le préfère au reste du monde, mais ce n'est qu'une des nombreuses choses petites et grandes qu'Eyes aime chez lui.
Eyes aime sa chaleur, la fermeté de son corps, le sentir présent et vivant et proche, enfouir son visage contre le sien et respirer son essence plutôt que son odeur.
Eyes aime savoir que chacun d'entre eux pourrait tuer l'autre en moins de dix secondes, s'il ne résistait pas ; aime savoir qu'aucun d'eux deux ne lutterait ; aime savoir que cela n'arrivera jamais, plus jamais, avoir la certitude qu'ils ne traverseront plus jamais cela, peu importe ce que pense Kanone, aime pouvoir s'abandonner sans la moindre crainte, pouvoir enrouler ses doigts autour de la gorge offerte de Kanone et sentir courir un couteau sur ses flancs, et n'avoir pas le moindre doute même quand parfois ils appuient, quand parfois l'air est bloqué, le sang coule, la peau se contusionne.
Eyes aime cet instant, sentir les jointures des doigts de Kanone effleurer ses pommettes, ses lèvres chercher le pouls pour y presser un baiser avant de murmurer contre sa tempe, Désolé ?, comme un enfant pris en faute, avec ce petit rire contrit qui est toujours le même depuis toutes ces années.
Eyes secoue la tête, s'agenouille devant lui sur le tapis de bain épais et sort la trousse de premiers secours de sous l'évier. Ses mouvements ont été rendus mécaniques par l'habitude de toute une vie, familiers et rassurants pour l'un comme pour l'autre ; Kanone ferme les yeux tandis que les doigts d'Eyes courent sur sa peau, que l'alcool mord ses nerfs à vif et les bandages s'enroulent autour de ses mains.
Ensuite, Eyes le tire par la manche vers le lit et le force à se recoucher, et Kanone ne proteste qu'à peine, laisse Eyes s'étendre sur lui de tout son long et le stabiliser de tout son poids contre le matelas.
À dix heures du matin, quand Eyes ouvre à l'employée du room-service qui apporte le petit-déjeuner, elle rencontre son regard au moment de lui tendre un plateau et se fige. Eyes cligne des yeux, intrigué — il est habitué aux longues oeillades surprises ou énamourées quand il est reconnu, mais la jeune femme les a servis plusieurs fois ces derniers jours et sait déjà très bien qui il est.
— Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Elle détourne les yeux avec nervosité et secoue la tête, mal à l'aise, mais Eyes la surprend quelques secondes plus tard en train de le dévisager à nouveau ; ses yeux s'attardent sur un point précis de sa joue. Il y lève machinalement les doigts et, sous le regard paniqué de la jeune femme, y découvre des traces rouges.
Le sang séché de Kanone, réalise-t-il en se rappelant de la caresse des phalanges écorchées sur son visage. Il a oublié de se laver la figure.
— Je suis désolée, souffle l'employée d'étage avec de grands yeux inquiets.
Eyes la rassure vaguement, plus amusé qu'autre chose par son manque flagrant de discrétion professionnelle ; elle se mord les lèvres, se tortille sur place en se retenant visiblement de jeter un oeil à l'intérieur de la chambre, au lit sur lequel Kanone est encore roulé en boule dans les draps chiffonnés.
— Je suis désolée, monsieur Rutherford, je — monsieur Rutherford, demande-t-elle d'une voix blanche et très basse, est-ce qu'il vous bat ?
Eyes bat des cils.
— Oh, non, s'entend-il répondre tout naturellement, il n'en est plus capable.
La jeune femme semble ne plus savoir où se mettre lorsqu'il sourit brusquement et ajoute :
— Justement.
Il lui assure que non, vraiment, il n'a pas besoin d'aide, la laisse s'excuser à profusion et terminer le service, et est toujours en train de sourire quand il va signaler à Kanone, d'un coup de genou dans les côtes, que le déjeuner est servi.
À quinze heures, pendant une courte pause dans sa journée absurdement chargée (les derniers préparatifs pour le premier concert de la tournée internationale qui va l'occuper jusqu'en décembre), il rédige lentement un message en japonais sur son téléphone portable et le regarde longuement avant de l'envoyer : Bon anniversaire.
La réponse ne prend que quelques minutes (le temps de la transmission internationale et d'un long regard incrédule) à lui parvenir : Crétin !
Eyes sait qu'il sait qu'il sait que c'était la veille, même avec le décalage horaire pris en compte. Il sourit un peu et, sans quitter l'écran de la messagerie, repose son portable sur la table, entre lui et Kanone qui sirote une tasse d'Earl Grey.
À dix-sept heures, dans sa loge, au milieu de la dernière interview de la semaine, la question sur sa vie romantique et sa situation actuelle refait soudain surface. Les journalistes ont laissé tomber, récemment, Eyes ayant décidé de publiciser sa musique et ses actes plutôt que d'user de son apparence et de verser dans le glamour et les cancans ; la plupart des reporters ont suivi le mouvement et cessé de lancer des allusions au fait que des milliers de groupies dans le monde entier ne demandent pas mieux que de lui tomber dans les bras. Cela faisait longtemps qu'Eyes n'avait plus entendu la question et son interlocutrice l'a amenée poliment, avec légèreté, presque comme une plaisanterie ; un simple commentaire qui n'espère pas vraiment de réponse.
Eyes réfléchit un quart de seconde de plus que d'habitude, et voit parfaitement bien les mouvements de tête de réprobation frénétiques de sa manager mais il se redresse quand même, ouvre la bouche, et commence : En fait...
Quelques minutes avant d'entrer en scène à vingt heures tapantes (il met un point d'honneur à toujours commencer exactement à l'heure indiquée), Eyes jette distraitement un oeil à la messagerie de son téléphone portable privé et y trouve un message disant simplement, Félicitations !, en anglais.
Bien après les vingt-deux heures prévues, il retourne enfin dans sa loge, les doigts ankylosés, les oreilles tintant encore du bruit des applaudissements, et n'a pas le temps de reprendre son souffle ou de retomber de sa montée de quasi-adrénaline euphorique (il ne s'y fera jamais) avant que Kanone le cogne et le plaque et le presse contre la porte. La poignée rentre dans son dos quelques instants avant qu'ils ne glissent le long de la paroi, lentement, parce que la main de Kanone s'y appuie et cramponne pour les stabiliser (celle qui n'est pas refermée comme un étau sur la mâchoire d'Eyes pour lui maintenir la tête et garder la bouche ouverte).
— Désolé ? murmure Eyes entre deux expirations quand Kanone libère ses lèvres pour aller lui dévorer le cou.
Kanone éclate de rire, des vibrations chaudes qui tressautent contre ses cordes vocales. Puis il enfonce les dents et Eyes, en portant à sa bouche et recouvrant de ses lèvres les bouts des doigts de Kanone, effleurant les bordures des pansements, se demande, vaguement, à travers la brume de douce douleur et plaisir lancinant, s'il a percé la peau, s'il saigne, si Kanone fait couler son sang.
— Ta vie va être encore plus intéressante, commente Kanone contre le creux de sa gorge.
— La nôtre, lui rappelle distraitement Eyes en inspirant et glissant ses mains à l'intérieur de son col, sous sa chemise, le plus loin possible, enfonçant ses ongles dans la peau avant de les ramener lentement vers ses omoplates, coinçant ses doigts sous les arêtes de ses os.
Kanone expire simplement contre sa ceinture scapulaire, lui mordille un peu la clavicule.
— Pour un mois, en tout cas.
— Si Asazuki a réussi, tu ne risques vraiment rien.
— Ça n'a rien à voir ; Asazuki y croit. Il y croit vraiment. J'essaye, Eyes, j'essaye vraiment, mais je...
Eyes lui enfonce un genou dans le flanc et presse, prend appui sur le sol de l'autre pour retourner Kanone, déplace la prise de ses mains sur ses épaules pour le pousser et plaquer contre la porte, l'emprisonner. La position est inconfortable, leurs jambes s'emboîtent mal et leurs poids sont mal répartis, leurs os s'entrechoquent, mais ni l'un ni l'autre ne fait ne serait-ce qu'une grimace.
— Moi, rétorque Eyes imperturbablement, je suis absolument certain qu'il ne va rien arriver. Insinuerais-tu que je puisse avoir tort?
Kanone rit à nouveau contre sa gorge, doucement, un son tout bas couvert par la sonnerie du portable d'Eyes.
— Eh bien, murmure-t-il juste avant d'écarter les bras, je vais espérer que te faire confiance suffit.
Eyes secoue la tête en guise de conclusion et se lève pour aller décrocher.
— Vous êtes tous des idiots, entame aussitôt une voix familière pour toute salutation, donc je te passe Kôsuké, parce qu'il comptait attendre que tu appelles en premier. Comme si ça allait arriver.
— C'est un plaisir de t'entendre, Ryôko.
— Félicitations, idiots, rétorque-t-elle tranquillement, mais il entend son amusement.
Eyes se dit que la remercier ne serait sans doute pas complètement justifié, et s'appuie donc contre sa table de maquillage pour attendre patiemment que les amants terribles cessent de se crier dessus.
— Crétins ! s'écrie Asazuki dans un japonais offusqué quand il prend finalement le combiné (Eyes croit avoir compris que Ryôko le lui a simplement envoyé à la tête).
— Non, juste moi. Kanone n'était même pas au courant, corrige-t-il. C'était une décision sur le moment.
— J'espère que tu continueras d'apprécier ta vie ridicule de star de plus en plus assaillie par ses paparazzis, félicitations, idiot.
Eyes ne peut pas s'empêcher de sourire.
— Je sais que tu te marres, mais je suis sérieux !! C'est quoi, ton trip ?! Devenir une icône gay ?!
— LGBT, le corrige distraitement Eyes.
— Peu importe !
— C'est la dénomination politiquement correcte. La communauté LGBT.
— Je m'en fous ! C'est ça, ta grande idée ? Tu vas t'engager en politique, maintenant ?! C'était pas assez ridicule d'être connu internationalement ?
— Je n'ai pas d'agenda politique ou publicitaire, si c'est ce que tu te demandes. C'est juste...
Eyes regarde dans le vide quelques instants, fixant le mur blanc d'en face, cherchant ses mots, sans s'inquiéter qu'Asazuki (ou Kanone, resté adossé à la porte, écoutant sa moitié de conversation dans un silence et une immobilité attentifs) ne prenne son interruption pour de l'hésitation.
— Ça aussi, reprend-il en définitive, c'est de l'espoir que je peux donner à certains par ce que je suis. Par ce que nous sommes.
Il ne regarde pas Kanone, mais il sent ses yeux comme des tisons toujours fixés sur lui, le voit se relever lentement. A l'autre bout du fil, Asazuki reste muet encore un long moment.
— Rutherford, conclut-il finalement, parfois, t'es vraiment ridicule et mièvre à en vomir.
— Je vais te laisser, je dois retourner à mes activités scandaleuses avec mon mystérieux boyfriend pour le plus grand bonheur des tabloïdes et des adolescents tourmentés du monde entier, réplique Eyes sans battre d'un cil. Et vous deux, pour quand sont les enfants ?
— Arrgh, je te déteste.
— Je suis sérieux, moi aussi. Le plus tôt sera le mieux.
— Je viens d'avoir vingt ans, laisse-moi respirer !
— Bien sûr que non, murmure Eyes. Bien sûr que non, Asazuki, c'est maintenant que tout commence.
C'est Kanone qui raccroche à sa place à l'instant où il finit sa phrase — lui prend le combiné des mains et l'embrasse pleinement, lentement, avec autant de passion et ferveur que toujours mais plus calmement ; prenant son temps. Eyes glisse paresseusement les doigts autour de son cou, les entremêle aux fils de son collier qu'il tord et tire machinalement, mais pas au point de couper la respiration de Kanone, juste assez pour frôler sa peau.
Une main de Kanone relâche sa prise douloureuse sur ses cheveux pour venir se refermer autour de la sienne, mais sans lui faire faire quoi que ce soit ; juste une présence.
Rio, quant à elle, ne se manifeste pas, mais Eyes s'attend à ce qu'il faille plusieurs jours, voire des semaines, pour qu'une information aussi triviale que le coming-out d'un musicien l'atteigne et qu'elle trouve un réseau téléphonique ou une connexion Internet dans le village perdu où elle doit être en ce moment. C'est normal.
À quatre heures du matin suivant, Eyes se réveille seul, mais le lit est encore chaud, la porte de la salle de bains ouverte ; Kanone tourne la tête vers lui, le front toujours appuyé contre le nouveau miroir, et lui sourit et fait un petit geste de sa main bandée.
Eyes bâille, se retourne et se rendort, sans inquiétude.
Auteur : Tofee (Participant 27)
Pour : La faucille de Jeaneton (Participant 17)
Fandom : Spiral : les liens du raisonnement
Persos/Couple : Eyes/Kanone (Kôsuké, un peu de Ryôko, mention de Ryôko/Kôsuké)
Rating : PG-13 (slash, vaguement kinky sans être graphique ni réellement sexuel (voir prompt), allusions/mentions de (des tentatives de) meurtre, de suicide, et de maltraitance conjugale (consensuelle). Fluffy.)
Disclaimer : Les personnages et scénario appartiennent à Shirodaira Kyou, Eita Mizuno, Square Enix, etc.
Prompt : "Kanone/Eyes. Happy(?)AU où ils sont vivants, à la manière de Kousuke et Ryouko.
Ils jouent avec la mort pour se rappeler qu'ils sont vivants, et que si l'un pète un plomb, l'autre sera capable de l'arrêter (mais le sera-t-il?). Dans ma tête c'était plutôt pour du kinky, mais si tu n'arrives pas à pousser le rating, tu peux faire dans le plus général. (Si kinky il y a, je pensais au fait qu'il n'y a bien que eux pour faire entrer autant de violence retenue (sang, etc) dans une relation, mais surtout pour le faire uniquement avec douceur, amour, sans réelle confrontation. La violence est ce qu'ils sont, pas quelque chose qu'ils infligent) Bonus points si les réflexes de Kanone sont mis en jeu."
Notes : J'ai été distraite par l'aspect AU plutôt que de me focaliser sur la partie jouer-avec-la-mort du prompt, mais Kanone étant ce qu'il est, c'est pas happy pour autant. Et Eyes est ridicule, je suis vraiment désolée.
Vagues références vaguement spoilerifiques pour la fin du manga, donc (même si c'est AU) ; et pour rappel, Kousuke est l'aîné des BlaChil, Kanone est le suivant avec environ un mois de moins.
À quatre heures du matin, Eyes est réveillé par le bruit sourd de coups sur un mur dans la pièce d'à côté.
À une époque, il aurait roulé sur lui-même jusqu'au bord du lit et sorti un revolver du tiroir de la table de nuit avant même d'ouvrir les yeux. Aujourd'hui, il sait qu'il peut prendre son temps pour se réveiller, se frotter les paupières, s'étirer, qu'il n'y a pas d'urgence particulière, que Kanone va peut-être réussir à se faire saigner mais ne va pas s'ouvrir les veines sans l'avoir prévenu (sans lui avoir demandé la permission).
Eyes a la chair de poule ; en plus de l'absence de corps chaud à côté de lui, la fenêtre est restée ouverte (un autre luxe d'imprudence qu'ils ne se permettent que depuis récemment) et l'air glacial de la nuit nord-américaine a envahi la chambre. Il récupère au sol la robe de chambre pelucheuse fournie par l'hôtel, s'en enveloppe, et pousse du pied la porte de la salle de bain.
Kanone ne sursaute pas à strictement parler : il interrompt le mouvement automatique de sa main vers la jugulaire d'Eyes. (Il continue de prétendre qu'il contrôle, et Eyes continue de ne pas le croire, de ne jamais le ménager, et de ne pas s'inquiéter. Ils ont eu cinq incidents le mois dernier, mais cela va bientôt faire trois ans depuis la dernière fois que Kanone a réellement failli le tuer.)
Eyes bâille. Kanone lui envoie un sourire désarmant et désespéré par le biais du miroir. Au moins, la glace est encore intacte ; les phalanges de Kanone sont rouges, mais ce ne sont que des éraflures, les saignements sont minimes.
Les doigts de Kanone sont légers comme des ailes de libellule quand ils encadrent son visage ; encore maintenant, il semble toujours avoir peur de tenir Eyes trop fort, de l'enserrer — pas de le casser, mais de briser ses liens avec le monde autour d'eux. Eyes s'en moquerait, bien sûr, mais pas Kanone. C'est ridicule, comme beaucoup de choses à propos de lui, son insistance à refuser de croire vraiment qu'Eyes le préfère au reste du monde, mais ce n'est qu'une des nombreuses choses petites et grandes qu'Eyes aime chez lui.
Eyes aime sa chaleur, la fermeté de son corps, le sentir présent et vivant et proche, enfouir son visage contre le sien et respirer son essence plutôt que son odeur.
Eyes aime savoir que chacun d'entre eux pourrait tuer l'autre en moins de dix secondes, s'il ne résistait pas ; aime savoir qu'aucun d'eux deux ne lutterait ; aime savoir que cela n'arrivera jamais, plus jamais, avoir la certitude qu'ils ne traverseront plus jamais cela, peu importe ce que pense Kanone, aime pouvoir s'abandonner sans la moindre crainte, pouvoir enrouler ses doigts autour de la gorge offerte de Kanone et sentir courir un couteau sur ses flancs, et n'avoir pas le moindre doute même quand parfois ils appuient, quand parfois l'air est bloqué, le sang coule, la peau se contusionne.
Eyes aime cet instant, sentir les jointures des doigts de Kanone effleurer ses pommettes, ses lèvres chercher le pouls pour y presser un baiser avant de murmurer contre sa tempe, Désolé ?, comme un enfant pris en faute, avec ce petit rire contrit qui est toujours le même depuis toutes ces années.
Eyes secoue la tête, s'agenouille devant lui sur le tapis de bain épais et sort la trousse de premiers secours de sous l'évier. Ses mouvements ont été rendus mécaniques par l'habitude de toute une vie, familiers et rassurants pour l'un comme pour l'autre ; Kanone ferme les yeux tandis que les doigts d'Eyes courent sur sa peau, que l'alcool mord ses nerfs à vif et les bandages s'enroulent autour de ses mains.
Ensuite, Eyes le tire par la manche vers le lit et le force à se recoucher, et Kanone ne proteste qu'à peine, laisse Eyes s'étendre sur lui de tout son long et le stabiliser de tout son poids contre le matelas.
À dix heures du matin, quand Eyes ouvre à l'employée du room-service qui apporte le petit-déjeuner, elle rencontre son regard au moment de lui tendre un plateau et se fige. Eyes cligne des yeux, intrigué — il est habitué aux longues oeillades surprises ou énamourées quand il est reconnu, mais la jeune femme les a servis plusieurs fois ces derniers jours et sait déjà très bien qui il est.
— Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Elle détourne les yeux avec nervosité et secoue la tête, mal à l'aise, mais Eyes la surprend quelques secondes plus tard en train de le dévisager à nouveau ; ses yeux s'attardent sur un point précis de sa joue. Il y lève machinalement les doigts et, sous le regard paniqué de la jeune femme, y découvre des traces rouges.
Le sang séché de Kanone, réalise-t-il en se rappelant de la caresse des phalanges écorchées sur son visage. Il a oublié de se laver la figure.
— Je suis désolée, souffle l'employée d'étage avec de grands yeux inquiets.
Eyes la rassure vaguement, plus amusé qu'autre chose par son manque flagrant de discrétion professionnelle ; elle se mord les lèvres, se tortille sur place en se retenant visiblement de jeter un oeil à l'intérieur de la chambre, au lit sur lequel Kanone est encore roulé en boule dans les draps chiffonnés.
— Je suis désolée, monsieur Rutherford, je — monsieur Rutherford, demande-t-elle d'une voix blanche et très basse, est-ce qu'il vous bat ?
Eyes bat des cils.
— Oh, non, s'entend-il répondre tout naturellement, il n'en est plus capable.
La jeune femme semble ne plus savoir où se mettre lorsqu'il sourit brusquement et ajoute :
— Justement.
Il lui assure que non, vraiment, il n'a pas besoin d'aide, la laisse s'excuser à profusion et terminer le service, et est toujours en train de sourire quand il va signaler à Kanone, d'un coup de genou dans les côtes, que le déjeuner est servi.
À quinze heures, pendant une courte pause dans sa journée absurdement chargée (les derniers préparatifs pour le premier concert de la tournée internationale qui va l'occuper jusqu'en décembre), il rédige lentement un message en japonais sur son téléphone portable et le regarde longuement avant de l'envoyer : Bon anniversaire.
La réponse ne prend que quelques minutes (le temps de la transmission internationale et d'un long regard incrédule) à lui parvenir : Crétin !
Eyes sait qu'il sait qu'il sait que c'était la veille, même avec le décalage horaire pris en compte. Il sourit un peu et, sans quitter l'écran de la messagerie, repose son portable sur la table, entre lui et Kanone qui sirote une tasse d'Earl Grey.
À dix-sept heures, dans sa loge, au milieu de la dernière interview de la semaine, la question sur sa vie romantique et sa situation actuelle refait soudain surface. Les journalistes ont laissé tomber, récemment, Eyes ayant décidé de publiciser sa musique et ses actes plutôt que d'user de son apparence et de verser dans le glamour et les cancans ; la plupart des reporters ont suivi le mouvement et cessé de lancer des allusions au fait que des milliers de groupies dans le monde entier ne demandent pas mieux que de lui tomber dans les bras. Cela faisait longtemps qu'Eyes n'avait plus entendu la question et son interlocutrice l'a amenée poliment, avec légèreté, presque comme une plaisanterie ; un simple commentaire qui n'espère pas vraiment de réponse.
Eyes réfléchit un quart de seconde de plus que d'habitude, et voit parfaitement bien les mouvements de tête de réprobation frénétiques de sa manager mais il se redresse quand même, ouvre la bouche, et commence : En fait...
Quelques minutes avant d'entrer en scène à vingt heures tapantes (il met un point d'honneur à toujours commencer exactement à l'heure indiquée), Eyes jette distraitement un oeil à la messagerie de son téléphone portable privé et y trouve un message disant simplement, Félicitations !, en anglais.
Bien après les vingt-deux heures prévues, il retourne enfin dans sa loge, les doigts ankylosés, les oreilles tintant encore du bruit des applaudissements, et n'a pas le temps de reprendre son souffle ou de retomber de sa montée de quasi-adrénaline euphorique (il ne s'y fera jamais) avant que Kanone le cogne et le plaque et le presse contre la porte. La poignée rentre dans son dos quelques instants avant qu'ils ne glissent le long de la paroi, lentement, parce que la main de Kanone s'y appuie et cramponne pour les stabiliser (celle qui n'est pas refermée comme un étau sur la mâchoire d'Eyes pour lui maintenir la tête et garder la bouche ouverte).
— Désolé ? murmure Eyes entre deux expirations quand Kanone libère ses lèvres pour aller lui dévorer le cou.
Kanone éclate de rire, des vibrations chaudes qui tressautent contre ses cordes vocales. Puis il enfonce les dents et Eyes, en portant à sa bouche et recouvrant de ses lèvres les bouts des doigts de Kanone, effleurant les bordures des pansements, se demande, vaguement, à travers la brume de douce douleur et plaisir lancinant, s'il a percé la peau, s'il saigne, si Kanone fait couler son sang.
— Ta vie va être encore plus intéressante, commente Kanone contre le creux de sa gorge.
— La nôtre, lui rappelle distraitement Eyes en inspirant et glissant ses mains à l'intérieur de son col, sous sa chemise, le plus loin possible, enfonçant ses ongles dans la peau avant de les ramener lentement vers ses omoplates, coinçant ses doigts sous les arêtes de ses os.
Kanone expire simplement contre sa ceinture scapulaire, lui mordille un peu la clavicule.
— Pour un mois, en tout cas.
— Si Asazuki a réussi, tu ne risques vraiment rien.
— Ça n'a rien à voir ; Asazuki y croit. Il y croit vraiment. J'essaye, Eyes, j'essaye vraiment, mais je...
Eyes lui enfonce un genou dans le flanc et presse, prend appui sur le sol de l'autre pour retourner Kanone, déplace la prise de ses mains sur ses épaules pour le pousser et plaquer contre la porte, l'emprisonner. La position est inconfortable, leurs jambes s'emboîtent mal et leurs poids sont mal répartis, leurs os s'entrechoquent, mais ni l'un ni l'autre ne fait ne serait-ce qu'une grimace.
— Moi, rétorque Eyes imperturbablement, je suis absolument certain qu'il ne va rien arriver. Insinuerais-tu que je puisse avoir tort?
Kanone rit à nouveau contre sa gorge, doucement, un son tout bas couvert par la sonnerie du portable d'Eyes.
— Eh bien, murmure-t-il juste avant d'écarter les bras, je vais espérer que te faire confiance suffit.
Eyes secoue la tête en guise de conclusion et se lève pour aller décrocher.
— Vous êtes tous des idiots, entame aussitôt une voix familière pour toute salutation, donc je te passe Kôsuké, parce qu'il comptait attendre que tu appelles en premier. Comme si ça allait arriver.
— C'est un plaisir de t'entendre, Ryôko.
— Félicitations, idiots, rétorque-t-elle tranquillement, mais il entend son amusement.
Eyes se dit que la remercier ne serait sans doute pas complètement justifié, et s'appuie donc contre sa table de maquillage pour attendre patiemment que les amants terribles cessent de se crier dessus.
— Crétins ! s'écrie Asazuki dans un japonais offusqué quand il prend finalement le combiné (Eyes croit avoir compris que Ryôko le lui a simplement envoyé à la tête).
— Non, juste moi. Kanone n'était même pas au courant, corrige-t-il. C'était une décision sur le moment.
— J'espère que tu continueras d'apprécier ta vie ridicule de star de plus en plus assaillie par ses paparazzis, félicitations, idiot.
Eyes ne peut pas s'empêcher de sourire.
— Je sais que tu te marres, mais je suis sérieux !! C'est quoi, ton trip ?! Devenir une icône gay ?!
— LGBT, le corrige distraitement Eyes.
— Peu importe !
— C'est la dénomination politiquement correcte. La communauté LGBT.
— Je m'en fous ! C'est ça, ta grande idée ? Tu vas t'engager en politique, maintenant ?! C'était pas assez ridicule d'être connu internationalement ?
— Je n'ai pas d'agenda politique ou publicitaire, si c'est ce que tu te demandes. C'est juste...
Eyes regarde dans le vide quelques instants, fixant le mur blanc d'en face, cherchant ses mots, sans s'inquiéter qu'Asazuki (ou Kanone, resté adossé à la porte, écoutant sa moitié de conversation dans un silence et une immobilité attentifs) ne prenne son interruption pour de l'hésitation.
— Ça aussi, reprend-il en définitive, c'est de l'espoir que je peux donner à certains par ce que je suis. Par ce que nous sommes.
Il ne regarde pas Kanone, mais il sent ses yeux comme des tisons toujours fixés sur lui, le voit se relever lentement. A l'autre bout du fil, Asazuki reste muet encore un long moment.
— Rutherford, conclut-il finalement, parfois, t'es vraiment ridicule et mièvre à en vomir.
— Je vais te laisser, je dois retourner à mes activités scandaleuses avec mon mystérieux boyfriend pour le plus grand bonheur des tabloïdes et des adolescents tourmentés du monde entier, réplique Eyes sans battre d'un cil. Et vous deux, pour quand sont les enfants ?
— Arrgh, je te déteste.
— Je suis sérieux, moi aussi. Le plus tôt sera le mieux.
— Je viens d'avoir vingt ans, laisse-moi respirer !
— Bien sûr que non, murmure Eyes. Bien sûr que non, Asazuki, c'est maintenant que tout commence.
C'est Kanone qui raccroche à sa place à l'instant où il finit sa phrase — lui prend le combiné des mains et l'embrasse pleinement, lentement, avec autant de passion et ferveur que toujours mais plus calmement ; prenant son temps. Eyes glisse paresseusement les doigts autour de son cou, les entremêle aux fils de son collier qu'il tord et tire machinalement, mais pas au point de couper la respiration de Kanone, juste assez pour frôler sa peau.
Une main de Kanone relâche sa prise douloureuse sur ses cheveux pour venir se refermer autour de la sienne, mais sans lui faire faire quoi que ce soit ; juste une présence.
Rio, quant à elle, ne se manifeste pas, mais Eyes s'attend à ce qu'il faille plusieurs jours, voire des semaines, pour qu'une information aussi triviale que le coming-out d'un musicien l'atteigne et qu'elle trouve un réseau téléphonique ou une connexion Internet dans le village perdu où elle doit être en ce moment. C'est normal.
À quatre heures du matin suivant, Eyes se réveille seul, mais le lit est encore chaud, la porte de la salle de bains ouverte ; Kanone tourne la tête vers lui, le front toujours appuyé contre le nouveau miroir, et lui sourit et fait un petit geste de sa main bandée.
Eyes bâille, se retourne et se rendort, sans inquiétude.
OP
Date: 2012-08-08 04:39 pm (UTC)AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
IL N'Y A PAS DE MOTS POUR EXPRIMER MON FANGIRLISME SUR CE TEXTE
Les relations et tensions sont là, ils sont merveilleusement IC, c'est délicieusement kinky, j'adore les cameo, Eyes se met à devenir positif, et aaaaaaaaaaaaah.
Je posterai un commentaire plus complet plus tard, là je suis trop occupée à fangirler
encore OP
Date: 2012-08-09 01:21 am (UTC)Toujours pas de commentaire cohérent, mais cette partie est magnifique.
Dans mon headcanon, les gamins de ces deux-là maltraiteront autant leur père que leur mère ne le fait déjà