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Titre : Premières heures de liberté
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : Hetepsabet (Participant.e 14)
Fandom : À tout jamais
Persos/Couple : Danielle/Henri, le roi et la reine
Rating : K
Disclaimer : Cendrillon appartient au domaine public, mais À tout jamais appartient à Andy Tennant
Prompt : Danielle. Sur la joie de grandir dans une famille dysfonctionnelle et comment cela l’a impactée sur sa psychologie, son caractère, ses relations avec les autres.
- Possible mention Danielle/Henri et ce que cette relation lui apporte, finalement, peut-être une certaine forme de guérison ou de réconfort, de compréhension mutuelle sur leurs vécus ?
Notes : Merci pour ce joli prompt. J’ai essayé de joindre le côté introspectif à une scène qui manque, à mon avis à ce superbe film.


Le palais était splendide. Jamais Danielle n’avait pensé en contempler un jour l’intérieur et elle en observait à présent les décors avec de grands yeux ébahis. Elle se sentait gauche et provinciale comme jamais auparavant alors que jamais Danielle n’avait eu honte de ce qu’elle était et de ce qu’elle faisait, sauf la nuit où Henri et la baronne l’avaient humiliée devant toute la Cour. La sensation était profondément déplaisante. La baronne disait toujours que Danielle avait trop d’orgueil pour quelqu’un de son rang et aujourd’hui Danielle la croyait sans peine.
Fort heureusement, les couloirs du palais étaient encore bien vides en cette heure matinale, mais Danielle avait parfaitement conscience du spectacle qu’elle donnait avec sa robe sale et ses sabots grossiers. Henri avait été si pressé de la ramener au palais qu’elle n’avait eu que le temps de se laver les mains et le visage dans un ruisseau. Si seuls leurs bruits de pas résonnaient dans les grands couloirs, Danielle avait l’impression d’être poursuivis par des éclats de rire qui ressemblaient forts à ceux de Marguerite et de la baronne de Ghent.
La main d’Henri se posa doucement sur la sienne. Les rires mauvais disparurent de son esprit.
-Vous ne dites rien, Danielle.
Danielle parvint à réunir assez de forces pour lui sourire en retour.
-Le palais est splendide, déclara-t-elle avec sincérité.
Henri leva un sourcil amusé, mais dans lequel perçait un peu d’inquiétude.
-C’est tout ? Je m’attendais à moitié à une diatribe sur la richesse excessive de ma famille tandis que les paysans triment et souffrent. J’avais d’ailleurs à moitié préparé ma réponse et j’étais prêt à vous demander vos solutions. Danielle de Barbarac à court de mots n’est pas un spectacle que je pensais voir un jour. Tout va bien ?
-Oui, le rassura Danielle sans parvenir pour autant à sourire ni à retrouver sa vivacité habituelle. Mais je m’apprête à rencontrer vos parents, le roi et la reine.
-Il n’y a aucune raison d’être nerveuse, promit Henri. Ils vont vous aimer. Ma mère, surtout. Mon père sera un peu plus long à vous accepter. Mais ils vous aimeront, je vous le promet, ne fut-ce que pour la seule raison que vous êtes parvenue à faire ce que nul précepteur n’est jamais parvenu à accomplir : faire de moi un homme qui pourrait bien être digne du trône. Il n’y a aucune raison de vous inquiéter.
Les épaules de Danielle se décrispèrent, non pas à cause du compliment qui venait de lui être fait mais parce qu’elle venait de comprendre que Henri était tout aussi nerveux qu’elle. Il avait peur de l’opinion de ses parents, de les décevoir en choisissant une rien du tout comme Danielle de Barbarac comme épouse. Son inquiétude apportait un semblant de normalité dans la situation surréaliste où Danielle se trouvait. Elle ignorait ce que c’était que de rencontrer un roi ou une reine, mais elle savait ce que c’était que de craindre de ne pas être à la hauteur des espérances de sa famille – ou de ne jamais pouvoir espérer même être l’objet d’espérance – aussi compatissait-elle avec Henri.
Durant leurs rencontres secrètes, Danielle ne lui avait jamais posé de questions sur sa famille. Elle craignait trop qu’il n’y réponde par d’autres de son cru et qu’elle ne soit obligée de broder mensonge sur mensonge jusqu’à s’empêtrer dans leurs toiles. Elle n’avait jamais voulu mentir à Henri, elle y avait juste été obligée. Elle devinait certaines choses cependant, l’envie d’Henri de répondre aux attentes mises en lui opposée à un désir désespéré d’un peu de liberté, la déception du roi devant le peu d’appétit du prince pour le pouvoir et de son manque de respect envers ses devoirs… La reine était davantage un mystère pour elle. Henri ne lui avait pas dit grand-chose à son propos, ni dans un sens, ni dans l’autre, sans qu’elle ne sache si c’était par crainte, amour ou désintérêt pour la femme qui lui avait donné naissance. Très vite elle saurait ce qu’il en était au juste.
Maintenant, le moment était venu de rencontre cette royale famille. Danielle se laissa guider dans une antichambre où Henri l’invita à s’asseoir le temps qu’il aille chercher ses parents pour leur annoncer la nouvelle.

Assise sur un fauteuil de velours qui valait autant que les revenus des terres de son père pendant dix ans, à côté d’une tapisserie brodée de fils d’or et d’un coffre de bois massif aux exquises gravures, Danielle resta seule avec ses pensées.
Elle ne parvenait à croire à sa chance d’être ainsi aimée par Henri, au point qu’il brave toutes les convenances, les souhaits paternels et la raison d’État. Tous ses doutes à son propos s’étaient dissipés. Danielle ne doutait pas qu’il se battrait pieds et griffes pour obtenir qu’elle reste à ses côtés et devienne son épouse. La question était de savoir si elle le méritait et si elle pouvait être égoïste au point de le laisser négliger son devoir envers le royaume. Danielle se savait plus lettrée que la plupart des femmes de son temps, mais cela ne voulait pas dire qu’elle avait reçu l’éducation d’une reine ou qu’elle en avait l’étoffe.
Le grincement de la porte l’arracha à ses pensées. Une femme entra dans la pièce, ou plutôt une grande dame. La baronne se donnait des airs de richesse et de noblesse, mais elle n’arrivait pas aux chevilles de cette dame.
-Vous voilà, sourit l’arrivante. Je crains que mon fils n’ait été guère précis en me disant où vous trouver.
Comprenant à qui elle avait affaire, malgré l’absence de couronne, Danielle bondit sur ses pieds pour faire la révérence à la reine. Celle-ci lui sourit, mais son sourire ne semblait pas atteindre ses yeux.
-Je vous ai surprise mon enfant, et je m’en excuse, déclara finalement la reine. Laissez-moi vous regarder.
La reine prit les mains de Danielle entre les siennes, avant de la scruter d’un regard acéré qui n’avait rien à envier à celui de la baronne de Ghent. Non, ce regard était bien plus profond et glaçant, à moins que Danielle se soit simplement habituée à celui de la baronne au fil des années et des des avanies. La reine l’intimidait plus peut être, car elle voulait lui plaire afin qu’Henri ne soit pas chagriné de les voir en désaccord. Hélas, Danielle n’avait pas la moindre idée de comment y parvenir. Après tout, elle n’avait jamais réussi à obtenir plus de la baronne qu’un mépris agacé.
Les choses peuvent toujours devenir pire, la menaçait cette dernière chaque fois que Danielle ruait dans les brancards. Et elle avait tenu parole en la vendant à Le Pieu. Chaque fois que Danielle avait pensé atteindre le fond, la baronne lui avait prouvé qu’elle pouvait s’enfoncer encore un peu plus dans le désespoir. Danielle s’était efforcée des années durant d’ignorer cette voix haineuse. C’était chose facile quand elle n’avait presque rien à perdre.
À présent cependant, Danielle avait tout ce dont une jeune fille pouvait rêver, l’amour d’un prince et la promesse de devenir son épouse devant Dieu et les hommes. Mais alors qu’elle aurait du se réjouir, il lui semblait entendre la baronne se tenir juste derrière son épaule pour lui souffler d’un ton vénéneux son habituel avertissement. Oui, même si Danielle épousait bel et bien Henri, les choses pouvaient devenir pires qu’avant pour elle si elle n’obtenait pas l’approbation de la famille royale, si la Cour décidait de se moquer d’elle, si la baronne et Marguerite décidaient de se servir d’elle pour obtenir quelque avantage, si...
-Levez un peu le menton ?, demanda finalement la reine. Oui je commence à comprendre ce qu’Henri voit en vous. Mais nous ne pouvons pas vous laissez-vous présenter ainsi devant le roi. Suivez-moi.
Sans un mot et la bouche sèche, Danielle suivit la reine en se demandant comment elle pouvait bien se repérer dans ces dédales de couloirs et de pièces toutes semblables et ne différent qu’à quelques détails d’ameublements. Elle doutait d’avoir donné bonne impression. À dire vrai, elle ne pouvait faire illusion avec ses vêtements de paysanne et ses gros sabots. Tôt ou tard la reine allait lui en demander des comptes et proclamer que Danielle devait s’effacer, pour le bien du royaume. Ce qu’elle devrait faire alors. Après tout, quelle souillon pouvait s’opposer aux ordres d’un roi ?

Sur le chemin, la reine lui posa des questions sur l’endroit où elle avait grandi et la vie qu’elle avait vécu. Danielle répondit honnêtement, mais machinalement. Une seconde après avoir répondu elle aurait été bien incapable de répéter la question ou de savoir si elle en avait trop dit. La reine finit par se taire, donnant à Danielle l’impression d’avoir échoué à une nouvelle épreuve.
Elles finirent par arriver dans une chambre où des servantes finissaient de déployer des robes de soie et de brocard chamarrés qui faisaient paraître ordinaires les tenues de Marguerite. Avant d’avoir pu comprendre ce qu’elle faisait là, Danielle fut poussée derrière un paravent et priée d’ôter ses vêtements pour enfiler la première des robes. Elle se laissa faire tout aussi machinalement, levant les bras quand on le lui demandait et de tourner sur elle même quand la robe était enfilée, le tout en ayant l’impression de n’être qu’une spectatrice au lieu d’une actrice de cette scène. Même les commentaires de la reine et des servantes semblaient parvenir de l’autre côté d’un mur. C’était étrange de se dire qu’elle avait pu désarmer l’immonde Le Pieu et éviter ses avances mais qu’elle n’était à présente pas plus active qu’une poupée de son. Étrange et désagréable.
-Point trop n’en faut, décréta la reine alors qu’une servante approchait une perle grosse comme une framboise de ses oreilles. Nous ne souhaitons pas donner l’impression qu’elle est une princesse en visite, juste la rendre acceptable aux yeux de sa majesté. Le reste viendra ensuite.
Les paroles figèrent Danielle, malgré le ton aimable de la reine. La baronne lui avait appris à se méfier du sens de chaque mot et à chercher l’insulte qui s’y cachait derrière un faux compliment prononcé d’un ton doucereux.
Dans un miroir sur le mur opposé, Danielle croisa son propre regard et écarquilla les yeux. Les seuls miroirs au manoir étaient justes assez grands pour refléter son visage et Danielle avait interdiction d’y jeter plus d’un coup d’œil sous prétexte qu’elle était déjà bien assez imbue d’elle-même. C’était la première fois qu’elle se mirait quasiment de pied en cap, et vêtue d’une robe de brocart par dessus le marché. Les servantes venaient de la peigner à quatre épingles et d’accrocher quelques perles aux tresses qui paraient à présent son front.
Danielle avait l’air, peut être pas d’une princesse, mais au moins d’une demoiselle de bonne famille, tout à fait apte à être présentée à la cour. Seuls ses yeux trahissaient son inquiétude. Elle s’efforça de redresser ses épaules et de lever son menton pour imiter la noblesse gracieuse de la reine, à des lieux de l’arrogance stupide de la baronne et de Marguerite. À moins, lui souffla la voix de la première, que les manières de la reine ne soient qu’un masque qui cache autant de malignité que celui de la baronne elle-même.
-Voilà qui est parfait, approuva la reine en s’adressant directement à Danielle. Nous ne voulons pas que vous ayez l’air d’une ambitieuse, et ma fois, je crois que nous y sommes parvenues.
-Je ne le suis pas, s’empressa de répondre Danielle, votre majesté. Ambitieuse, je veux dire. Je n’ai pas cherché à séduire le prince, juste à aider un ami. Et je n’ai revu Henri que par le plus grand des hasards.
-Vraiment ?
Le sourcil levé de la reine était-il moqueur ou n’était-ce que l’imagination de Danielle ? Elle réalisait que malgré la précarité de sa situation les dernières années, elle avait tout de même eut la chance de savoir à quoi s’en tenir avec son entourage. Elle savait pouvoir trouver affection et soutien auprès de Maurice, Paulette et Louise, une aide irrégulière mais précieuse auprès de Jacqueline, et elle savait à quoi s’en tenir avec la baronne et Marguerite, malgré ce terrible optimisme qui la poussait à toujours espérer une amélioration dans leur comportement à son égard.
Ici à la cour, Danielle ne possédait aucun code, aucune relation pour l’épauler. Si ses lectures lui avaient appris une chose sur la cour, c’était qu’il s’agissait du pire panier de crabes ayant jamais existé. La baronne et Marguerite y étaient tout à fait à leur aise. C’était tout ce que Danielle avait besoin de savoir à son sujet. Mais elle était là à présent, et elle n’avait jamais été aussi heureuse que dans les bras d’Henri quand il écoutait son opinion et hochait la tête pour marquer son approbation et son respect envers ses idées. Danielle n’y renoncerait pour rien au monde. Elle releva la tête pour défier la reine des yeux.
-La première fois fut un hasard, mais pas les autres, reconnut-elle sans rougir. Cependant, je n’ai jamais formé le plan de le séduire pour le contraindre à m’épouser.
-Bien des demoiselles l’auraient pourtant essayé. Si je ne veillais au grain, plus d’une l’aurait entrepris.
-Pas moi, je vous assure, votre majesté. Je ne l’ai revu par la suite que parce que d’autres m’y ont poussé, par amitié pour moi, et pas non plus par ambition. Mes aspirations sont plus simples qu’un trône, fut-il celui de France.
Le sourcil levé fit son retour. Il était d’une efficacité remarquable.
-Et quelle est alors la nature de ces ambitions ?
Danielle se mordit les lèvres avec nervosité. La baronne de Ghent lui avait appris à ne jamais trahir ses rêves, car elle pouvait les lui voler aussi bien que tout le reste. Les révéler à la reine ne pouvait que lui donner une ascendance sur Danielle, mais elle n’osait mentir.
-Une vie simple sur les terres de mon père, confessa-t-elle, avec à mes côtés une famille aimante et un époux qui me respecterait autant qu’il m’aimerait avec qui je passerait toutes mes heures éveillées.
-Henri semble vous vouer cet amour et ce respect. J’espère qu’ils seront durable. Le cœur des rois est fort inconstant, comme je vous souhaite de ne pas l’apprendre. Mais même si vous vous aimez, si vous l’épousez, vous n’aurez rien de tout le reste de vos souhaits. Une fois roi, le gouvernement de la France sera sa priorité bien avant son épouse, qu’il le veuille ou non et vous devrez abandonner vos terres pour l’aider à administrer tout un royaume.
-Je le sais bien, votre majesté. Mais chaque chose à un prix en ce bas-monde et Henri vaut bien le reste de mes rêves.
-Vous avez une vision du monde que je trouve ma foi aussi sage qu’amère. Où avez-vous appris à être aussi cynique, mon enfant ? Mais j’oubliais, vous avez vécu près de la baronne de Ghent. Je suppose que vos seuls choix étaient d’acquérir la force de lui tenir tête ou de prendre un couteau et de nous débarrasser de cette mauvaise herbe.
Danielle cligna des yeux. La verve de la reine lui plaisait, mais elle craignait fort d’en être la victime dès qu’elle aurait le dos tourné ou d’être amenée à médire avec elle des courtisans comme Marguerite et la baronne le faisaient tout leur saoul, aussi se contenta-t-elle d’incliner la tête.
-Vous n’êtes guère bavarde, remarqua la reine. Mon fils m’a pourtant laissé entendre que vous étiez intarissable sur un certain nombre de sujets.
-Cela fait beaucoup de choses à assimiler, votre majesté.
-J’imagine. Ce fut difficile pour moi et pourtant j’ai été préparée dès mon enfance à envisager un mariage royal. L’éducation que vous avez reçue était tout autre, si j’en crois votre récit et celui d’Henri. Vous allez faire une étrange reine, je crois. Vous serez en tout cas la première reine d’Europe à parler philosophie avec nos écrivains humanistes.
À nouveau, Danielle s’inclina sans rien dire, mais s’empourpra en entendant ce qu’elle percevait comme un muet reproche et en pensant une fois de plus à la différence de station entre elle et Henri ainsi qu’à l’image qu’elle allait donner à la cour. En même temps, elle sentait une colère familière couver au fond de son estomac. Il n’y avait peut être pas d’égalité entre les hommes et il n’y en aurait pas avant longtemps, mais les souillons et les vagabonds méritaient le même respect que les nobles de la cour.
-Je crains de ne pouvoir changer qui je suis, votre majesté, avoua-t-elle franchement. Je n’y suis jamais parvenue malgré tous les efforts entrepris pour y parvenir.
-Entrepris par vous, ou par d’autres ?, demanda la reine. Oh, inutile de répondre, je comprends bien. De ce que j’ai compris, vous étiez la belle-fille de la baronne et sa bonne à tout faire, pour ne pas dire son souffre-douleur. Danielle combien de fois avez vous reçu un mot affectueux de cette femme ? Un mot de reconnaissance ?
-Aucun, votre majesté. J’ai appris à me contenter de ce que j’avais et à ne pas espérer des choses inaccessibles.
-Pourtant vous désirez des choses inaccessibles, d’après Henri. Le droit pour toutes les femmes d’étudier comme les hommes, le droit pour les bohémiens d’être traités comme le seraient de bons chrétiens…
-Je n’aime pas l’injustice.
La reine poussa un soupir et congédia d’un geste les servantes, comme si elle avait jusque là oublié leur existence.
-Vous êtes un peu trop sur la défensive, mon enfant, la tança-t-elle. C’est une force qui vous sera utile, mais qui pourra aussi vous causer du tort. Je le dis pour votre bien, afin que vous soyez armée pour affronter les obstacles qui vous attendent. Henri vous aime, et je ne suis pas votre ennemie.
-J’entends, votre majesté.
-Je ne crois pas, soupira la reine. Mais je suppose que vu les circonstances dans lesquelles vous avez grandi nous ne pouvions espérer qu’il en soit autrement. D’ailleurs, nous avons quelques jours pour vous apprendre l’essentiel et vous aurez ensuite toute une vie pour apprendre le reste. En attendant, venez. Il est temps pour vous de rencontrer le roi.

À nouveau, Danielle se retrouva à la suivre de pièce en pièce. Elle réalisa à la beauté des salles traversées que la reine avait pris garde à la faire passer jusque là par des endroits relativement déserts. Maintenant que Danielle ressemblait au rôle qu’elle allait jouer à présent, la reine pouvait l’afficher aux yeux de tous.
À leur passage, les courtisans s’inclinaient devant la reine. Mais après, une vague de murmures se déplaçaient. Danielle n’eut pas de mal à comprendre que ces murmures la concernaient. La cour se demandait qui était cette jeune femme ayant la faveur de la reine. Peut être certains reconnurent en elle la jeune personne au centre du scandale du dernier bal. Avant le soir, il était probable que l’histoire se répande dans tous le château. Et demain, ce serait le tour de la ville, ce qui voulait dire que très vite la baronne de Ghent en entendrait parler. Cette idée retourna l’estomac de Danielle.
Dans les fenêtres impeccablement lavées du château, elle voyait son reflet la suivre, cette autre Danielle habillée en dame de la cour. Si on oubliait les yeux, elle semblait à son aise dans cet environnement. Danielle réalisa que la rumeur qui les suivait ne s’accompagnait ni de moqueries, ni d’accusations tonitruantes comme celles de la baronne au bal.
D’un coup, elle fut saisie par la révélation qu’elle était cette jeune femme dans le miroir. Elle avait su faire illusion auprès du prince, et même du signore Da Vinci qui en la préparant pour le bal, lui avait avoué avoir pensé qu’elle cachait un secret, mais pas de cette taille. Et le signore Da Vinci avait côtoyé nombre de puissants avant d’arriver à la cour de France. Elle avait sauvé le prince des bohémiens par son astuce. Elle avait lu des livres que le prince héritier du royaume avait à peine survolé. Par son travail, elle avait aidé la maison de son père à subsister tandis que la baronne s’efforçait de la démolir pierre par pierre avec ses dépenses et ses intrigues. Et si elle n’avait pu obtenir de cette mégère l’amour d’une mère, elle avait beaucoup appris à ses côtés, notamment quel exemple ne pas suivre.
Peut être qu’il y avait bien en elle l’étoffe d’une reine. Peut être qu’Henri avait su voir en elle quelque chose qu’elle même avait encore du mal à percevoir, alors même qu’elle était fière d’elle-même.

Henri les attendait en tournant en rond dans une antichambre plus richement meublée que toutes les autres. En les voyant, son visage s’illumina et Danielle ne put s’empêcher de lui rendre son sourire. Il saisit ses mains pour les baiser avec passion. Les larmes montèrent aux yeux de Danielle, mais elle parvint à les retenir.
-Vous êtes splendide, Danielle, souffla-t-il à son oreille.
-Grâce à l’aide de votre mère. Elle semble bien bonne.
Le doute s’immisça malgré elle dans ses paroles, mais Henri ne parut pas y prendre garde.
-Vous allez l’aimer, promit-il. Vous allez enfin recevoir l’amour que vous méritez, de moi comme des autres. Ensemble, nous allons faire de grandes choses.
Danielle hocha la tête. Les yeux d’Henri ne mentaient pas quand il promettait à Danielle que sa mère allait l’aimer. Il le pensait vraiment et peut être était-elle bel et bien sincère. Peut être était-elle différente de la baronne.
-Henri, allez dire à votre père que nous sommes là, intervint la reine. Nous vous suivons, mais j’ai une dernière chose à dire à Danielle.
Le prince, son prince, déposa un dernier rapide baiser sur sa joue et disparut dans la pièce voisine d’un pas guilleret. Danielle déglutit et se prépara à affronter sa future belle-mère. Celle-ci continua de l’observer encore un peu puis hocha la tête en souriant d’un air satisfait.
-Je vous ai jugée un peu vite et un peu sévèrement, je crois, mais j’ai vu juste tout à l’heure en disant que vous étiez trop sur la défensive. En vous regardant et en vous écoutant, je peinais à croire en la sincérité de votre affection pour mon fils. Je me demandais si vous n’étiez pas une intrigante simplement plus douée que les autres. Mais votre regard ne peut plus tromper personne quand vous le regardez. Vous l’aimez vraiment.
-J’en suis la première surprise. Quand je l’ai rencontré…
Danielle s’interrompit et rougit, mais la reine se contenta de secouer la tête avec amusement.
-Je connais mon fils et j’ai désespéré longtemps de son caractère. J’ai, je suppose, ma place de responsabilité là-dedans et son père aussi. Je n’ai peut être pas été assez présente ou assez attentive. L’éducation d’une princesse porte davantage sur le devoir de fournir des enfants à son époux que de savoir quoi en faire une fois qu’ils sont nés. Quoi qu’il en soi, vous me l’avez changé et je vous en remercie. Nous allons nous entendre, je crois, une fois que nous aurons appris à nous connaître.
Spontanément, la reine déposa à son tour un baiser sur le front de Danielle. La boule dans sa gorge l’empêcha alors de répondre, mais la reine, semble-t-il, n’attendait rien en retour. Elle se contenta de se diriger vers la porte. Danielle comprit qu’elle était censée la suivre à présent et rencontrer l’homme le plus puissant du royaume.
La porte s’ouvrit sur la salle du trône et le roi les attendait sur celui-ci, seul, mais avec Henri à son côté. La reine jeta un coup d’œil à Danielle, comme si elle s’attendait à la voir trembler devant cette vue et sourit en voyant que ce n’était pas le cas.
La peur avait désertée Danielle. Elle ne l’avait pas souvent ressenti depuis la mort de son père, car sa plus grande crainte, rester seule sans personne après avoir déjà perdu sa mère, s’était déjà réalisée de la pire façon qui soit. Le brusque changement, après les journées passées à se préparer au pire tout en préparant son évasion quand elle était chez Le Pieu, avait été trop brutal pour elle.
Danielle était remise à présent. Chaque pas qui la rapprochait du trône la soulageait d’une partie du poids qui pesait sur ses épaules et lui permettait de faire le point sur elle même et sur son parcours. Il n’y avait plus de miroir ou de fenêtre dans laquelle se contemplait, mais Danielle avait l’impression d’avancer vers son reflet plus que vers le trône.
Elle se voyait elle-même, avec tous ses défauts que la baronne était trop contente de pouvoir pointer du doigt pour se moquer d’elle. Danielle était fière, bornée, désobéissante, colérique… La liste était sans fin. Mais la reine avait raison de dire qu’être sur la défensive était sa force. La fierté lui avait permis de tenir bon face aux avanies de son enfance. Être bornée avait sauvé le pauvre Maurice de la déportation aux Amériques. Être désobéissante l’avait amené à rencontrer Henri. Quand à sa colère, elle était légitime, et Danielle savait la brider quand il était nécessaire. Ce n’était que face à la baronne et Marguerite qu’elle était capable d’en perdre la maîtrise au point d’en arriver à une violence physique.
Jamais quiconque n’avait mis le doigt sur ses vertus, à part son père et de vieux serviteurs l’ayant choyé comme l’enfant qu’ils n’avaient jamais eu, et maintenant Henri et la reine. Enfin, Danielle les voyait. La conviction, la loyauté envers les siens, la compassion, l’espoir en l’humanité et sa capacité à progresser… Tout ceci la servirait, si elle devenait reine. Et si elle avait survécu à dix ans en compagnie de Marguerite et de la baronne de Ghent, elle était entièrement capable de s’adapter pour survivre à ses premiers mois à la cour et devenir la reine dont Henri aurait besoin d’ici quelques années. C’était un défi, mais Danielle aimait les défis.
La reine serait son allié, si elle était aussi pleine de bons sentiments à son égard qu’elle le semblait. Danielle se demandait à présent si sa réticence n’était pas simplement due au fait que la seule mère dont elle se souvenait à présent était la baronne. Elle qui avait toujours pris garde à ne pas juger les autres comme elle l’était sur son apparence et à toujours faire confiance à l’honnêteté des personnes qu’elle rencontrait se retrouvait pour la première fois à se méfier instinctivement de quelqu’un, juste parce que la reine lui rappelait la baronne et qu’elle croyait reconnaître les mêmes doubles sens dans ses paroles. Maintenant qu’elle s’en rendait compte, Danielle se jura de repartir d’un bon pied avec elle.
Enfin elle parvint devant le trône. Elle garda la tête haute, comme le lui avait recommandé la reine, et fit une révérence aussi gracieuse que possible. Le roi l’observa longtemps sans ciller, comme l’avait fait la reine, mais lui ne cacha pas sa méfiance à l’égard de Danielle. Elle n’en supporta pas moins ce regard avec plus d’assurance qu’elle ne l’avait fait pour la reine, jusqu’à ce que le roi pousse un soupir mi-agacé, mi-soulagé et ne s’installe plus confortablement sur son trône.
-Enfin, déclara-t-il à la cantonade comme s’il terminait une conversation interrompue un instant, je suppose qu’elle fera l’affaire. Ce n’est pas pire que ce que cela aurait donné avec l’Espagnole. Là nous aurions été la risée de l’Europe !
Danielle ne commenta pas les propos du roi, mais prit bonne note de la façon dont Henri et la reine semblèrent respirer plus facilement juste en entendant le roi formuler à voix haute son consentement. Henri et elle, comprit-elle n’étaient pas si différents. Le roi n’était pas la baronne mais Henri aussi avait grandi dans une famille qui fonctionnait cahin-caha. Danielle comprenait mieux le comportement de la reine – son amertume était due à l’atmosphère pesante de la cour et aux échecs de sa vie de famille, pas à la réussite de Danielle – tout comme celui du prince à leur rencontre. Porter sur ses épaules le poids de trop d’attentes n’était pas si différent du fait d’être sous-estimée et rabaissée en permanence. La souillon et le prince n’avaient en apparence rien en commun, mais Danielle savait que rien n’était moins vrai. Ils partageaient ce désir désespéré de rendre fières des personnes que rien ne pourraient satisfaire, l’envie de croquer la vie à pleine dents sans craindre d’êtres mordus en retour, un certain goût du risque et elle lui avait transmis cette envie sincère d’aider le monde à avancer conformément aux plus beaux idéaux humanistes.
Les choses pouvaient toujours devenir pire. Mais en cet instant, Danielle décida de se libérer de l’emprise de la baronne et de profiter pleinement de ses premières heures de liberté.

Date: 2023-08-12 03:58 pm (UTC)
From: (Anonymous)
Merci pour cette très belle fic ! L'aspect introspectif se mêle très bien à cette scène qui, effectivement, manque au film :)

Hetepsabet

Date: 2023-08-14 02:55 pm (UTC)
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From: [personal profile] eilisande
Merci !

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