![[personal profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/user.png)
![[community profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/community.png)
Titre : Des usages à respecter envers les Fées
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : The Deep (Participant.e 15)
Fandom : Conte – La Belle au Bois Dormant
Persos/Couple : La méchante Fée
Rating : K
Disclaimer : La Belle au Bois Dormant de Perrault appartient au domaine public
Prompt : J'aimerais quelque chose du point de vue de la vieille "méchante" fée, sur comment elle a eu l'idée de cette malédiction, sur à quel point ces entorses à l'étiquette la rendent furieuse. J'aimerais qu'on voie bien qu'elle n'est pas différente de nature des autres fées, qu'elle a même accordé son lot de bénédictions, c'est juste un mauvais jour pour elle. N'importe quel genre de l'humour à l'horreur.
Notes : J’ai trouvé ce prompt très sympa, j’espère que l’idée qui m’est venue pour y répondre te plaira aussi
Vous êtes vous jamais demandé pourquoi la Fée du conte agit-elle ainsi ? Vous le devriez. C’était une vieille fée, ce qui, du point de vue des Humains qui font appel à cette espèce, voulait dire qu’elle était méchante. C’était faux, bien entendu. Les vieilles Fées ne sont pas plus méchantes que les vieilles femmes humaines. Par contre, comme ces dernières, elles sont plus laides que les jeunes et il est bien connu que les rides d’une femme suscitent la méfiance et la crainte. Elles ont aussi plus d’expérience de la vie et avec celle-ci vient l’aigreur et l’impatience. Et puis, détail souvent oublié par les rois et les paysans, elles ont eu le temps de devenir très, très puissantes. Oui, je parle aussi des vieilles femmes.
Cette vieille Fée là avait choisi de vivre retirée du monde l’essentiel de son temps dès l’apparition des premiers signes de l’effacement de sa beauté. Elle avait été jeune, belle, aimée de tous. Tant que cela avait duré, elle avait offert des dons à tous, reines, princes, et même filles de fermes, quand elles étaient méritantes. Elle pouvait s’enorgueillir que telle princesse réduite à l’état de souillon avait épousé un prince malgré la peau d’âne dont elle été affublée et que tel paysan craignant pour sa famille avait découvert un trésor déposé sous la terre par elle qui avait suffit à nourrir ses dix enfants et à tous les marier, garçons et filles.
Et puis un jour, un duc qui l’avait fait quérir pour obtenir son aide lui avait regardé d’un peu trop près le double menton naissant et la verrue qui s’accrochait avec détermination à son nez. Habituée, comme toutes les Fées, à être révérée pour sa grâce et sa beauté, elle décida qu’elle voulait être admirée par tous ou n’être plus vue du tout. Elle s’enferma dans la plus haute et la plus isolée des tours du royaume, refusant ses dons à tous ceux qui refusaient de l’encenser comme avant. Elle était peut être rancunière, mais vu les dons qu’elle avait dispensé avec prodigalité dans tout le royaume, elle trouvait que les Humains auraient pu faire preuve d’un tant soit peu de respect et de lui mentir un peu pour lui faire plaisir.
Que les Fées soient incapables de croire en un mensonge aurait rendu la tâche quelque peu difficile, mais ça c’est une autre histoire. Accessoirement, beaucoup de grand-mères ont le même don, aussi n’essayez jamais de les tromper et de leur faire croire que leur dé à coudre en argent a du glisser derrière un meuble quand vous l’avez glissé dans votre tablier.
Les autres Fées acceptèrent son retrait de la vie publique avec soulagement. Une Fée ridée, de leur point de vue, rendait un mauvais service à toute la profession. Il fallait savoir prendre sa retraite avant la première verrue. D’ailleurs, le métier de sorcière payait tout aussi bien, même s’il était plus risqué et qu’on avait affaire à la concurrence des vieilles femmes humaines qui le sont toutes un peu
Recluse dans sa tour, la fée n’en continua pas moins à recevoir des visites, les premières années. Seulement, sa tour était si reculée qu’elle ne recevait que les plus désespérés et ceux qui savaient que jamais leurs demandes ne seraient entendues par les autres Fées. Biaisée par cet aperçu de l’humanité, la Fée décida qu’elle s’était jusque là abusée elle-même en pleurant sur les chagrins des hommes. Ils n’étaient en fait qu’égoïsme, ambition, jalousie et mesquinerie réunies à l’intérieur d’une seule peau.
Non, la Fée n’était pas méchante. Cependant, ceux qui venaient la voir lui demandaient de méchantes choses ou de profondes sottises. Elle devint aigrie, de voir ses talents gaspillés pour des pécadilles. Elle commença à punir ces sots de la manière la plus fée qui soit : elle leur donna exactement ce qu’ils demandaient quand il était clair qu’ils désiraient quelque chose de différent, ou exactement ce qu’ils désiraient quand ils savaient que le demander risquait d’aboutir au désastre.
Il y eut des plaintes. Les autres Fées les étouffèrent. Après tout, la Fée n’avait fait que respecter avec plus de zèle que de coutume les usages des fées, et pour les fées il n’y avait rien de plus important que les coutumes, les traditions et les usages. Cependant, elles s’arrangèrent pour qu’au fil du temps les gens du royaume oublient qu’il y avait une fée dans la tour, et elles s’y prirent tellement bien qu’elles l’oublièrent aussi, ou la crurent morte et dans tous les cas, inoffensive.
Dans sa tour, la Fée tempêta et cria à l’injustice quand cessèrent de venir les quémandeurs. Elle leur donnait ce qu’ils voulaient. Elle les entendait de se moquer d’elle en descendant de la tour après avoir reçu ses dont, la traitant de guenon, de sorcière, de catin, de bossue, en bref, de tous ces mots que les hommes utilisent pour rabaisser les vieilles femmes chenues à qui l’âge devrait donner droit au même respect que les vieillards cacochymes.
Et maintenant, ils choisissaient de l’ignorer ? Oui, la Fée était furieuse, et tout à fait dans son droit de l’être, selon elle. L’injure, cependant, n’était pas suffisamment grande pour qu’elle quitte sa tour et affiche aux yeux de tous ses rides toujours plus nombreuses et ses cheveux gris.
Puis vint le jour où toutes les Fées du royaume furent conviées pour le baptême de la princesse tant espérée par ses parents. Vous connaissez l’histoire. Mère-grand vous l’a assez souvent racontée. Vous savez que les sept que les envoyés du roi découvrirent dans le royaume furent nommées marraines et que le roi leur fit préparer un couvert magnifique, avec un étui d’or massif, où il y avait une cuillère, une fourchette et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. C’étaient des cadeaux dignes de Fées, et elles s’y connaissaient. Les Fées ont toujours eu un faible pour ce qui brille et ce couvert brillait très fort.
Dans sa tour, la Fée aurait pu tout ignorer de cette naissance et de ses préparatifs, mais un jour qu’elle prenait l’air au sommet de la tour, une pie s’y posa en jacassant.
-Kiak, fit-elle en penchant la tête sur le côté. C’est une belle bague que tu as là.
-Merci. C’est un roi qui me l’a donné quand j’ai fait don à sa fille de la capacité de toujours prendre la décision la plus sage.
-Or et saphirs, admira la pie en connaisseuse. Très belle, mais moins belle que le couvert que le roi fait faire pour les Fées qui seront les marraines de sa fille. Tout en or, en diamants et en rubis.
-Tu l’as vu ?
-Par la fenêtre du grenier de l’orfèvre. Trop lourde pour mes petites pattes, hélas. Tant pis. Je trouverais autre chose pour décorer mon nid.
Elle allait s’envoler. La Fée la retint d’un geste.
-Attends ! Quand donc à lieu le baptême ?
La pie répondit et décolla, laissant la Fée seule avec ses pensées. On l’a dit, les Fées aiment ce qui brille. En fait, ce sont des créatures très simple, même si leur puissance est immense. Elles aiment ce qui brille, elles aiment qu’on les entoure d’amour et de respect et elles aiment qu’on suive les règles. Si vous croyez que les règles à la cour d’un roi sont strictes, ne vous rendez jamais à une assemblée annuelle de Fées. Leur étiquette est si complexe et leurs titres et hauts faits si nombreux que les présentations et salutations prennent cent fois plus de temps que le banquet et le moindre oubli peut créer des rancunes longues de plus de trois cents ans.
Cette fée était la plus âgée, pour ne pas dire la plus vieille. En temps que telle, on aurait du lui faire l’honneur de l’inviter la première. De par le nombre et la puissance des bénédictions qu’elle avait décernées au fil des années, elle aurait encore du être la première. La Fée aurait pu décider de faire comme si cet oubli ne lui importait pas, mais elle savait qu’au prochain Parlement des Fées les autres s’afficheraient avec leur couvert en or, et qu’on lui demanderait forcément où était le sien. D’ailleurs, l’invitation avait pu se perdre. La Fée était consciente d’habiter dans un endroit fort reculé.
Elle était magnanime. Elle décida de se rendre à la fête et de recevoir son présent, même si elle n’avait pas reçu l’invitation, qu’elle imaginait de vélin avec des enluminures dorées et de belles images. Toutes celles qu’elle avait reçu au fil des ans trônaient dans une pièce de la tour réservée au souvenir de ses plus grands exploits et de ses plus belles actions.
Un char de bronze tiré par des chats géants la conduisit au palais du roi. Ne sachant pas que cette Fée devait venir, le chambellan de la cour n’avait pu travailler la liste de ses exploits comme il l’avait fait avec les autres. Alors que la présentation de la plus jeune Fée avait duré un peu moins d’une heure, il se contenta d’annoncer en balbutiant la Fée de la tour du Nord. C’était rajouter l’injure à l’insulte. Les fronts de toutes les Fées présentes se voilèrent de honte et de compassion pour leur consœur, mais la Fée n’y vit qu’amusement. Et quand elle vit qu’on devait bouleverser en urgence la table royale pour lui rajouter un siège qui ne portait pas ses couleurs et un couvert d’argent pur, certes, mais infiniment moins précieux que ceux de ses consœurs et identique à ceux des invités de moindre rang, elle pâlit d’horreur et de rage.
Le roi et la reine lui présentèrent leurs excuses et lui firent savoir le bonheur qu’ils avaient à la voir en bonne santé et à l’accueillir en leur demeure. À tort ou à raison, la Fée entendit leurs excuses sur le ton bienveillant qu’on utilise pour les grand-mères qu’on pense gâteuses et dont on espère bien tirer quelque avantage, comme le sac d’or que tout le monde sait qu’elle cache quelque part. La Fée ne s’y laissa pas prendre. Les vieilles dames non plus ne s’y laissent pas prendre, même quand on essaie de les faire parler au moment où elles se réveillent.
La Fée fit semblant d’accepter les excuses et s’assit pour participer au festin, mais dans son esprit tournait en boucle l’idée de venger l’insulte qui lui avait été faite avant que la nouvelle ne se propage parmi ses consœurs. D’ailleurs, elle vengerait ainsi toutes les injures faites aux Fées d’un certain âge et les autres devraient les en remercier par avance avant qu’elles ne subissent elles même l’opprobre qui accompagne la vieillisse.
Son regard se posa sur l’enfant en son berceau. La Fée décida qu’elle devait être sévère, si elle devait marquer le coup en leur nom à toutes et effacer l’insulte. Cela voulait dire que l’enfant devait payer pour ses parents. Elle n’en éprouvait aucune joie personnelle, mais c’était l’usage dans ce genre de circonstances, afin qu’il n’y ait nul besoin de répéter la démonstration. La mort à l’orée de l’âge adulte seule pouvait former l’exemple adéquat. La mort par un instrument de vieille femme, comme ils insistaient tous pour la traiter.
Peut être que c’était trop sévère. Peut être que c’était juste ce qu’il fallait, quoi que le royaume ait plus appris à craindre les vieilles dames plutôt qu’à les respecter. Peut être qu’elle était juste dans un mauvais jour parce que ses articulations lui faisaient mal les nuits froides comme celle-là.
Bref. Vous savez comment cela s’est fini pour la Belle au Bois Dormant.
La morale de ce conte que vous connaissez tous, comprenez-bien, n’est pas que vous trouverez l’amour et que la bonté est toujours récompensée. Non, la morale c’est de toujours respecter vos aînées. Vos grand-mères ne sont peut être pas de méchantes fées, mais elles peuvent vous causer mains tracas si vous ne leur accorder pas le respect qu’elles méritent. Et ce n’est pas parce que c’est votre mère-grand qui vous le dit qu’elle n’en a pas moins raison. Maintenant que cette question est réglée, attisez donc mon feu, réchauffez ma soupe, reprisez ma chemise et rendez-moi mon dé à coudre. Je suis vieille et sourde, mais pas aveugle et je vous garantis qu’aucun de vous autres chenapans n’aura mon or tant que je serais traitée de la sorte.
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : The Deep (Participant.e 15)
Fandom : Conte – La Belle au Bois Dormant
Persos/Couple : La méchante Fée
Rating : K
Disclaimer : La Belle au Bois Dormant de Perrault appartient au domaine public
Prompt : J'aimerais quelque chose du point de vue de la vieille "méchante" fée, sur comment elle a eu l'idée de cette malédiction, sur à quel point ces entorses à l'étiquette la rendent furieuse. J'aimerais qu'on voie bien qu'elle n'est pas différente de nature des autres fées, qu'elle a même accordé son lot de bénédictions, c'est juste un mauvais jour pour elle. N'importe quel genre de l'humour à l'horreur.
Notes : J’ai trouvé ce prompt très sympa, j’espère que l’idée qui m’est venue pour y répondre te plaira aussi
Vous êtes vous jamais demandé pourquoi la Fée du conte agit-elle ainsi ? Vous le devriez. C’était une vieille fée, ce qui, du point de vue des Humains qui font appel à cette espèce, voulait dire qu’elle était méchante. C’était faux, bien entendu. Les vieilles Fées ne sont pas plus méchantes que les vieilles femmes humaines. Par contre, comme ces dernières, elles sont plus laides que les jeunes et il est bien connu que les rides d’une femme suscitent la méfiance et la crainte. Elles ont aussi plus d’expérience de la vie et avec celle-ci vient l’aigreur et l’impatience. Et puis, détail souvent oublié par les rois et les paysans, elles ont eu le temps de devenir très, très puissantes. Oui, je parle aussi des vieilles femmes.
Cette vieille Fée là avait choisi de vivre retirée du monde l’essentiel de son temps dès l’apparition des premiers signes de l’effacement de sa beauté. Elle avait été jeune, belle, aimée de tous. Tant que cela avait duré, elle avait offert des dons à tous, reines, princes, et même filles de fermes, quand elles étaient méritantes. Elle pouvait s’enorgueillir que telle princesse réduite à l’état de souillon avait épousé un prince malgré la peau d’âne dont elle été affublée et que tel paysan craignant pour sa famille avait découvert un trésor déposé sous la terre par elle qui avait suffit à nourrir ses dix enfants et à tous les marier, garçons et filles.
Et puis un jour, un duc qui l’avait fait quérir pour obtenir son aide lui avait regardé d’un peu trop près le double menton naissant et la verrue qui s’accrochait avec détermination à son nez. Habituée, comme toutes les Fées, à être révérée pour sa grâce et sa beauté, elle décida qu’elle voulait être admirée par tous ou n’être plus vue du tout. Elle s’enferma dans la plus haute et la plus isolée des tours du royaume, refusant ses dons à tous ceux qui refusaient de l’encenser comme avant. Elle était peut être rancunière, mais vu les dons qu’elle avait dispensé avec prodigalité dans tout le royaume, elle trouvait que les Humains auraient pu faire preuve d’un tant soit peu de respect et de lui mentir un peu pour lui faire plaisir.
Que les Fées soient incapables de croire en un mensonge aurait rendu la tâche quelque peu difficile, mais ça c’est une autre histoire. Accessoirement, beaucoup de grand-mères ont le même don, aussi n’essayez jamais de les tromper et de leur faire croire que leur dé à coudre en argent a du glisser derrière un meuble quand vous l’avez glissé dans votre tablier.
Les autres Fées acceptèrent son retrait de la vie publique avec soulagement. Une Fée ridée, de leur point de vue, rendait un mauvais service à toute la profession. Il fallait savoir prendre sa retraite avant la première verrue. D’ailleurs, le métier de sorcière payait tout aussi bien, même s’il était plus risqué et qu’on avait affaire à la concurrence des vieilles femmes humaines qui le sont toutes un peu
Recluse dans sa tour, la fée n’en continua pas moins à recevoir des visites, les premières années. Seulement, sa tour était si reculée qu’elle ne recevait que les plus désespérés et ceux qui savaient que jamais leurs demandes ne seraient entendues par les autres Fées. Biaisée par cet aperçu de l’humanité, la Fée décida qu’elle s’était jusque là abusée elle-même en pleurant sur les chagrins des hommes. Ils n’étaient en fait qu’égoïsme, ambition, jalousie et mesquinerie réunies à l’intérieur d’une seule peau.
Non, la Fée n’était pas méchante. Cependant, ceux qui venaient la voir lui demandaient de méchantes choses ou de profondes sottises. Elle devint aigrie, de voir ses talents gaspillés pour des pécadilles. Elle commença à punir ces sots de la manière la plus fée qui soit : elle leur donna exactement ce qu’ils demandaient quand il était clair qu’ils désiraient quelque chose de différent, ou exactement ce qu’ils désiraient quand ils savaient que le demander risquait d’aboutir au désastre.
Il y eut des plaintes. Les autres Fées les étouffèrent. Après tout, la Fée n’avait fait que respecter avec plus de zèle que de coutume les usages des fées, et pour les fées il n’y avait rien de plus important que les coutumes, les traditions et les usages. Cependant, elles s’arrangèrent pour qu’au fil du temps les gens du royaume oublient qu’il y avait une fée dans la tour, et elles s’y prirent tellement bien qu’elles l’oublièrent aussi, ou la crurent morte et dans tous les cas, inoffensive.
Dans sa tour, la Fée tempêta et cria à l’injustice quand cessèrent de venir les quémandeurs. Elle leur donnait ce qu’ils voulaient. Elle les entendait de se moquer d’elle en descendant de la tour après avoir reçu ses dont, la traitant de guenon, de sorcière, de catin, de bossue, en bref, de tous ces mots que les hommes utilisent pour rabaisser les vieilles femmes chenues à qui l’âge devrait donner droit au même respect que les vieillards cacochymes.
Et maintenant, ils choisissaient de l’ignorer ? Oui, la Fée était furieuse, et tout à fait dans son droit de l’être, selon elle. L’injure, cependant, n’était pas suffisamment grande pour qu’elle quitte sa tour et affiche aux yeux de tous ses rides toujours plus nombreuses et ses cheveux gris.
Puis vint le jour où toutes les Fées du royaume furent conviées pour le baptême de la princesse tant espérée par ses parents. Vous connaissez l’histoire. Mère-grand vous l’a assez souvent racontée. Vous savez que les sept que les envoyés du roi découvrirent dans le royaume furent nommées marraines et que le roi leur fit préparer un couvert magnifique, avec un étui d’or massif, où il y avait une cuillère, une fourchette et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. C’étaient des cadeaux dignes de Fées, et elles s’y connaissaient. Les Fées ont toujours eu un faible pour ce qui brille et ce couvert brillait très fort.
Dans sa tour, la Fée aurait pu tout ignorer de cette naissance et de ses préparatifs, mais un jour qu’elle prenait l’air au sommet de la tour, une pie s’y posa en jacassant.
-Kiak, fit-elle en penchant la tête sur le côté. C’est une belle bague que tu as là.
-Merci. C’est un roi qui me l’a donné quand j’ai fait don à sa fille de la capacité de toujours prendre la décision la plus sage.
-Or et saphirs, admira la pie en connaisseuse. Très belle, mais moins belle que le couvert que le roi fait faire pour les Fées qui seront les marraines de sa fille. Tout en or, en diamants et en rubis.
-Tu l’as vu ?
-Par la fenêtre du grenier de l’orfèvre. Trop lourde pour mes petites pattes, hélas. Tant pis. Je trouverais autre chose pour décorer mon nid.
Elle allait s’envoler. La Fée la retint d’un geste.
-Attends ! Quand donc à lieu le baptême ?
La pie répondit et décolla, laissant la Fée seule avec ses pensées. On l’a dit, les Fées aiment ce qui brille. En fait, ce sont des créatures très simple, même si leur puissance est immense. Elles aiment ce qui brille, elles aiment qu’on les entoure d’amour et de respect et elles aiment qu’on suive les règles. Si vous croyez que les règles à la cour d’un roi sont strictes, ne vous rendez jamais à une assemblée annuelle de Fées. Leur étiquette est si complexe et leurs titres et hauts faits si nombreux que les présentations et salutations prennent cent fois plus de temps que le banquet et le moindre oubli peut créer des rancunes longues de plus de trois cents ans.
Cette fée était la plus âgée, pour ne pas dire la plus vieille. En temps que telle, on aurait du lui faire l’honneur de l’inviter la première. De par le nombre et la puissance des bénédictions qu’elle avait décernées au fil des années, elle aurait encore du être la première. La Fée aurait pu décider de faire comme si cet oubli ne lui importait pas, mais elle savait qu’au prochain Parlement des Fées les autres s’afficheraient avec leur couvert en or, et qu’on lui demanderait forcément où était le sien. D’ailleurs, l’invitation avait pu se perdre. La Fée était consciente d’habiter dans un endroit fort reculé.
Elle était magnanime. Elle décida de se rendre à la fête et de recevoir son présent, même si elle n’avait pas reçu l’invitation, qu’elle imaginait de vélin avec des enluminures dorées et de belles images. Toutes celles qu’elle avait reçu au fil des ans trônaient dans une pièce de la tour réservée au souvenir de ses plus grands exploits et de ses plus belles actions.
Un char de bronze tiré par des chats géants la conduisit au palais du roi. Ne sachant pas que cette Fée devait venir, le chambellan de la cour n’avait pu travailler la liste de ses exploits comme il l’avait fait avec les autres. Alors que la présentation de la plus jeune Fée avait duré un peu moins d’une heure, il se contenta d’annoncer en balbutiant la Fée de la tour du Nord. C’était rajouter l’injure à l’insulte. Les fronts de toutes les Fées présentes se voilèrent de honte et de compassion pour leur consœur, mais la Fée n’y vit qu’amusement. Et quand elle vit qu’on devait bouleverser en urgence la table royale pour lui rajouter un siège qui ne portait pas ses couleurs et un couvert d’argent pur, certes, mais infiniment moins précieux que ceux de ses consœurs et identique à ceux des invités de moindre rang, elle pâlit d’horreur et de rage.
Le roi et la reine lui présentèrent leurs excuses et lui firent savoir le bonheur qu’ils avaient à la voir en bonne santé et à l’accueillir en leur demeure. À tort ou à raison, la Fée entendit leurs excuses sur le ton bienveillant qu’on utilise pour les grand-mères qu’on pense gâteuses et dont on espère bien tirer quelque avantage, comme le sac d’or que tout le monde sait qu’elle cache quelque part. La Fée ne s’y laissa pas prendre. Les vieilles dames non plus ne s’y laissent pas prendre, même quand on essaie de les faire parler au moment où elles se réveillent.
La Fée fit semblant d’accepter les excuses et s’assit pour participer au festin, mais dans son esprit tournait en boucle l’idée de venger l’insulte qui lui avait été faite avant que la nouvelle ne se propage parmi ses consœurs. D’ailleurs, elle vengerait ainsi toutes les injures faites aux Fées d’un certain âge et les autres devraient les en remercier par avance avant qu’elles ne subissent elles même l’opprobre qui accompagne la vieillisse.
Son regard se posa sur l’enfant en son berceau. La Fée décida qu’elle devait être sévère, si elle devait marquer le coup en leur nom à toutes et effacer l’insulte. Cela voulait dire que l’enfant devait payer pour ses parents. Elle n’en éprouvait aucune joie personnelle, mais c’était l’usage dans ce genre de circonstances, afin qu’il n’y ait nul besoin de répéter la démonstration. La mort à l’orée de l’âge adulte seule pouvait former l’exemple adéquat. La mort par un instrument de vieille femme, comme ils insistaient tous pour la traiter.
Peut être que c’était trop sévère. Peut être que c’était juste ce qu’il fallait, quoi que le royaume ait plus appris à craindre les vieilles dames plutôt qu’à les respecter. Peut être qu’elle était juste dans un mauvais jour parce que ses articulations lui faisaient mal les nuits froides comme celle-là.
Bref. Vous savez comment cela s’est fini pour la Belle au Bois Dormant.
La morale de ce conte que vous connaissez tous, comprenez-bien, n’est pas que vous trouverez l’amour et que la bonté est toujours récompensée. Non, la morale c’est de toujours respecter vos aînées. Vos grand-mères ne sont peut être pas de méchantes fées, mais elles peuvent vous causer mains tracas si vous ne leur accorder pas le respect qu’elles méritent. Et ce n’est pas parce que c’est votre mère-grand qui vous le dit qu’elle n’en a pas moins raison. Maintenant que cette question est réglée, attisez donc mon feu, réchauffez ma soupe, reprisez ma chemise et rendez-moi mon dé à coudre. Je suis vieille et sourde, mais pas aveugle et je vous garantis qu’aucun de vous autres chenapans n’aura mon or tant que je serais traitée de la sorte.
no subject
Date: 2023-07-25 01:07 pm (UTC)The Deep
no subject
Date: 2023-07-25 02:38 pm (UTC)